Les projets ENR (éolien, solaire, hydroélectricité etc.) temporairement reconnus d’intérêt public supérieur par le droit européen (règlement UE 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022)

solaire éolien

Par Maître Sébastien BECUE, avocat of counsel (Green Law Avocats)

Un nouvel épisode marquant sur la question de l’articulation entre protection de la biodiversité et développement des énergies renouvelable : l’adoption du règlement temporaire du 22 décembre 2022 (téléchargeable ci-dessous).

CONTEXTE

Il s’agit d’un nouveau mouvement essentiel en matière de dérogation « espèces protégées » pour les projets d’énergies renouvelables, après l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 15 décembre 2022 et ses premières applications (Cf. commentaire sur le blog).

Par un règlement temporaire du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 29 suivant, le Conseil européen indique en effet que :

Sont présumés relever de l’« intérêt public supérieur et de l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques » lors de « la mise en balance des intérêts juridiques dans chaque cas », pour les décisions de délivrance des dérogations prévues par les directives suivantes :

1. Sur le champ d’application de la présomption d'intérêt public supérieur

Le règlement du 22 décembre 2022 est temporaire : sa durée de validité, fixée par son article 10, est de 18 mois à compter de son entrée en vigueur le 30 décembre 2022.

Et l’article premier du règlement prévoit que ses dispositions, et donc la présomption :

Il appartient donc aux États membres de pérenniser ce dispositif, et de le doter d’un champ d’application large ; rappelons qu’une proposition en ce sens est actuellement débattue devant l’Assemblée nationale et doit faire l’objet d’une décision le mardi 10 janvier 2023.

Précisons qu’en application de l’article 288 du traité européen, « le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. ».

Si le règlement indique encore que les États membres gardent une marge de manœuvre pour restreindre l’application du règlement :

Il nous semble toutefois que cette faculté exige un acte positif de la part des Etats membres, à savoir l’adoption d’un texte restreignant le champ de la présomption.

En l’absence d’un tel texte, le règlement apparaît donc applicable immédiatement par les préfets et le juge administratif lorsqu’il sera saisi de projets concernés par la présomption.

2. Le choix du motif justifiant l’établissement de la présomption peut interroger.

Le choix des notions d’« intérêt public supérieur » et d’« intérêt de la santé et de la sécurité publiques » peut interroger de prime abord, dès lors qu’il ne fait pas référence à la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur ».

Ce choix est néanmoins déminé par la référence à « l’intérêt de la santé et de la sécurité publique », notion présente dans l’ensemble des textes communautaires et nationaux relatifs aux espèces protégées :

Notons qu’en Allemagne, la Cour supérieure de Münster avait déjà jugé que le développement des énergies renouvelables relève de la santé et de la sécurité publiques, dans une décision du 12 mars 2021 (n°7 B 8/21).

La motivation est explicitée par le Conseil dans le préambule du règlement.

Les énergies renouvelables sont essentielles :

Les porteurs de projets d’énergie renouvelable pourront désormais se prévaloir directement de l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, en plus des autres raisons impératives d’intérêt public majeur qu’ils invoquent généralement.

3. La présomption est simple et peut être conditionnée

Le préambule du Règlement précise qu’il s’agit d’une « présomption simple », qui peut être renversée « lorsqu’il est clairement établi que ces projets ont des incidences négatives majeures sur l’environnement qui ne peuvent être atténuées ou compensées ».

Il s’agit bien d’une « mise en balance des intérêts juridiques » – protection de l’environnement versus les motifs présentés ci-dessus, qui peut donc s’avérer en défaveur du projet.

En matière spécifiquement d’analyse de l’impact sur les espèces protégées, le règlement précise que la présomption « ne s’applique que si et dans la mesure où des mesures appropriées de conservation des espèces contribuant au maintien ou au rétablissement des populations d’espèces dans un état de conservation favorable sont prises et des ressources financières suffisantes ainsi que des espaces sont mis à disposition à cette fin ».

Cette précision ne semblait pas réellement nécessaire puisque l’on rappelle que la RIPM ne constitue que le premier critère de délivrance de dérogation.

Rappelons en effet que l’établissement de cette présomption ne revient pas à donner un blanc-seing pour la destruction de spécimens d’espèces protégées comme certains commentaires cherchent parfois à le faire croire.

Il s’agit de remédier au « goulot d’étranglement » que constituait le critère de la RIPM, et d’ainsi réintroduire de la proportionnalité dans l’appréciation de l’opportunité d’un projet.  Les développeurs devront toujours satisfaire aux deux autres critères d’octroi de la dérogation, à savoir justifier le choix d’implantation de leur projet, ainsi que de présenter des mesures de nature à éviter et réduire au mieux les impacts des espèces.

Prochain épisode : la décision à venir de l’Assemblée nationale du 10 janvier 2023 sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables.