Le R111-2 pour gérer durablement la ressource en eau !

robinet eau

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Après la pollution de l’air (TA Paris, 2 juillet 2021, n°1920927 / 1921120 et n°2004241, pour en savoir plus consultez notre commentaire), la raréfaction de la ressource en eau serait-elle en passe de devenir le nouveau motif environnemental de refus d’autorisation d’urbanisme ?

À l’heure où les pouvoirs publics restreignent l’utilisation de la ressource aquatique, la question de la motivation juridique de telles mesures se pose. En janvier 2023, neuf maires de la communauté de communes des Pays de Fayence ont pris la décision de refuser tout permis de construire portant sur de nouvelles habitations, et ce pendant une période de 5 ans. Cette décision inédite s’inscrit dans le cadre d’un plan de réduction globale de la consommation d’eau sur le  territoire de la communauté de communes, afin de pallier la baisse drastique de la ressource et mettre en place de nouvelles solutions d’approvisionnement. Face à l’accumulation de phénomènes climatiques violents (faible pluviométrie, répétition des phénomènes caniculaires et de surcroît l’intensification du risque d’incendie) portant atteinte à la ressource, le développement du parc immobilier semble ne plus être une priorité.

Si ce type de délibération n’est pas en soi opposable aux demandes de permis de construire et d’occupation des sols, en tant qu’elles exigent un examen au cas par cas et neutre de la part l’autorité de police, la question se pose immanquablement de la prise en compte par les autorisations d’urbanisme de la ressource en eau à l’ère du dérèglement climatique.

C’est justement ce que juge de façon très intéressante le Tribunal administratif de Toulon dans un jugement du 23 février 2024, n° 2302433, (téléchargeable sur Doctrine).

Le requérant arguait en effet de la conformité du projet de construction litigieux à ces dispositions, en ce que «l’augmentation du besoin en eau et la réduction de cette ressource ne sauraient porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique».

«Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations»

Pour caractériser une telle atteinte, les juges toulonnais se sont appuyés sur une étude produite par un bureau à la demande de la communauté de communes du Pays de Fayence et reprise dans l’avis de cette dernière. Ce document met en lumière une insuffisance de la ressource en eau à très court terme, du fait de l’assèchement de deux forages et du faible niveau d’un troisième.

Dans un tel contexte, le projet comporte ainsi un risque pour la salubrité publique, en ce qu’il expose à la fois les futurs occupants de la construction litigieuse mais également tous les usagers du service, pourtant tiers à l’opération projetée (en ce sens, voir CE, 1er mars 2004, n° 209942, Cne de Villelaure , Lebon ; RFDA 2004. 646 ; AJDA 2004. 1559 ; Bull. CPU n° 2004-3, p. 20 ; DAUH 2005, p. 323, 394 et 544; JCP Adm. 2004. 1329, note Billet; Constr.-Urb. 2004, no 110, note Benoit-Cattin).

Au vue de la saturation des capacités en eau de la commune et de l’aggravation de cette situation induite par le projet, le tribunal a reconnu l’insuffisance de la ressource en eau, à la date de refus du permis de construire, comme une atteinte à la salubrité publique.

Dès lors, c’est à bon droit que le maire s’est opposé au projet au motif qu’il est de nature à porter atteinte à la salubrité publique.

Les juges ont par ailleurs rappelé que l’autorité en charge de l’instruction de la demande devait vérifier en amont si le permis peut être assorti de prescriptions spéciales, auquel cas le projet ne pourrait alors être refusé. En l’espèce et c’est sans doute ce que le jugement a de plus remarquable, le Tribunal considère «il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire aurait pu valablement accorder le permis de construire sollicité en l’assortissant de prescriptions» (TA de Toulon, 23 février 2024, n° 2302433, point 4).

En effet il faut bien comprendre ce que cela signifie : la construction n’est finalement plus écologiquement viable selon le raisonnement judiciaire et c’est dire que la décroissance urbanistique d’initiative locale est validée par le juge sur un territoire aussi symbolique que le Var.

Indépendance judiciaire dans l’appréhension de la salubrité publique au moyen de l’article R. 111-2 et décentralisation des décisions sont assurément les deux ressorts pour projeter localement les exigences d’un développement durable intégrant réellement la gestion équilibrée de la ressource en eau.

En revanche le même jugement, semblant au moins implicitement hiérarchiser les usages de l’eau, censure le maire pour avoir refusé le même permis au motif du risque incendie sur le terrain du R. 111-2 :

«pour refuser le permis de construire sollicité par M. R., le maire de la commune relève que les deux poteaux d’eau incendie (PEI) opérationnels situés à moins de 200 mètres du projet de construction sont «des poteaux privés». Mais, d’une part, il résulte du règlement départemental de défense extérieur contre l’incendie (DECI) du Var approuvé par l’arrêté préfectoral n°2017/01-004 du 8 février 2017, visé dans la décision en litige, que le service public de la DECI est réalisé dans l’intérêt général et qu’il intéresse tous les points d’eau préalablement identifiés mis à la disposition des services d’incendie et de secours. La qualification de PEI privé ou de PEI public modifie seulement la charge des dépenses et les responsabilités af érentes et non l’usage. D’autre part, ainsi que le soutient le requérant, deux autres PEI opérationnels se trouvent à moins de 200 mètres du terrain d’assiette du projet de sorte que, lors de l’instruction de la demande du pétitionnaire, la commune de Fayence pouvait aisément établir que le projet bénéficiait des dispositifs suffisants pour répondre utilement au risque incendie» (TA de Toulon, 23 février 2024, n° 2302433, point 3).

Et cette affaire démontre encore que les conditions de desserte d’un projet de construction au sens de l’article R.111-11 du code de l’urbanisme ne sont pas non plus un moyen durable de la gestion de la ressource en eau.

Rappelons qu’aux terme de cette disposition :

«Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés».


Or dans un second moyen, le pétitionnaire avance avec succès que la commune n’établit pas l’insuffisance de ressource en eau qu’elle prétend et qu’en tout état de cause, lesdits travaux sont sans incidence sur le possible raccordement au réseau public qu’il a mentionné sur le plan de masse joint à sa demande.

Selon le Tribunal :

«Si, tel que dit précédemment, il ressort des pièces du dossier que la commune établit bien l’insuffisance des ressources en eau, en revanche, les travaux dont la commune fait état pour y remédier, ayant trait à la recherche et à l’exploitation de nouvelles ressources en eau, ne sont toutefois pas directement nécessaires à la desserte du terrain d’assiette du projet, dont il n’est pas contesté qu’il puisse être raccordé au réseau public d’eau potable. Par suite, le requérant est fondé à demander l’annulation de ce motif illégal» (TA de Toulon, 23 février 2024, n° 2302433, point 6).

Il est vrai que la jurisprudence du Conseil d’État, dont participe parfaitement ce considérant, demeure axé sur l’adaptabilité du service public :

«il résulte de ces dispositions qu’un permis de construire doit être refusé lorsque, d’une part, des travaux d’extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou d’électricité sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d’autre part, lorsque l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation» (CE, 4 mars 2009, n°303867, cons.1).