Dans une décision Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 12/09/2012, n°11-10687, la Cour de cassation a jugé que les servitudes d’utilité publique instituées avant le 28 février 2002 sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation ne peuvent ouvrir droit à leur indemnisation par l’exploitant.
Ce faisant, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux en précisant que la loi n°2002-276 du 27 février 2002 instituant l’indemnisation des servitudes prévues à l’article L515-11 du code l’environnement dispose uniquement pour l’avenir.
Les faits:
Dans cette affaire, il s’agit d’une société foncière A. ayant acquis en 1995 un terrain sur lequel a été institué au mois de février 2000, des servitudes d’utilité publique telles que prévues au Code de l’environnement aux articles L515-8 à L515-12, en raison de la présence d’une pollution résiduelle à l’amiante. En effet, sur ce terrain, a été exploitée jusqu’en 1986 par la société B., une installation classée pour la protection de l’environnement ayant engendrée des pollutions. La société foncière A., se prévalant d’un préjudice direct, matériel et certain résultant de l’institution de ces servitudes, saisi le juge de l’expropriation, pour que celui-ci fixe l’indemnité que devra lui payer le dernier exploitant du site, c’est-à-dire la société B., en réparation de ce préjudice. Le juge de l’expropriation, au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties, prend la décision de chiffrer le préjudice à la somme de 1 143 368 euros.
La société B. arguant notamment que la société A. aurait acquis le terrain litigieux dans le but d’obtenir une indemnité conteste le droit à indemnisation de cette société en interjetant appel de la décision du juge de l’expropriation devant la Cour d’appel de Bordeaux. La Cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt en date du 24 novembre 2010 va infirmer la décision du juge de l’expropriation en réformant son évaluation du préjudice à 1 189 102,32 euros tout en décidant, cependant, que les conditions d’indemnisation prévues à l’article L.515-11 du Code de l’environnement étaient bien remplies par la société A.
La société B., insatisfaite de cette décision, se pourvoit en cassation. Elle soutient dans un moyen principal que la Cour d’appel a violé les articles 2 du Code civil, et L515-11 et L515-12 du Code de l’environnement dans leur rédaction antérieure à la loi n°2002-276 du 27 février 2002.
Les juges de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation vont lui donner raison en affirmant que la loi du 27 février 2002, « a ajouté à l’article L. 515-12 du code de l’environnement, l’indemnisation, dans les conditions prévues à l’article L. 515-11, des servitudes prévues aux articles L. 515-8 à L. 515-11 pouvant être instituées sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation, (…) » et qu’ « En l’absence d’une disposition contraire expressément affirmé par le législateur, la loi n°2002-276 du 27 février 2002 (…) ne dispose que pour l’avenir »… autrement dit, que les servitudes instituées avant l’entrée en vigueur de la Loi ne pouvaient donner lieu à une indemnisation.
La servitude dont il est question dans le litige ayant été instituée le 14 février 2000, la Cour de cassation conclue en la violation par la Cour d’Appel de Bordeaux des articles précités. Elle décide, par suite, en réponse à un moyen annexe que l’institution avant le 28 février 2002 de servitudes d’utilité publique sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation ne peut ouvrir droit à leur indemnisation par l’exploitant.
Une solution critiquable au vu des travaux parlementaires
Si cette solution peut sembler de prime abord dans la droite ligne de la jurisprudence en matière de non-rétroactivité de la loi, elle apparait, dans une lecture plus approfondie, être inappropriée en l’espèce.
En effet, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation avait déjà jugé par un arrêt du 1er octobre 2008 (3ème civ., 01/10/2008, n°07-15717), que, concernant l’article L.515-8 du Code de l’environnement, la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 n’était pas rétroactive. Cette loi avait eu pour effet d’étendre le champ d’application des servitudes prévues à cet article aux risques supplémentaires créées par une installation nouvelle sur un site existant et par conséquence avait ouvert droit à leur indemnisation.
Ainsi, en application du principe de non rétroactivité, le juge judiciaire est venu affirmer que seules des installations nouvelles postérieure à la loi du 30 juillet 2003 et créant des risques supplémentaires pouvaient ouvrir droit à indemnisation.
Par conséquent, la position de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 septembre 2012 est, concernant le principe de non-rétroactivité, en accord avec ses décisions antérieures.
Cependant, l’affirmation par la Cour de cassation de l’inexistence avant 2002 d’une possibilité d’indemnisation de la part de l’exploitant des servitudes d’utilité publique prévues à l’article L.515-12 du Code de l’environnement est plus critiquable.
En effet, en prenant cette décision, elle valide le premier moyen de cassation présenté par l’avocat de la société B et selon lequel : « l’institution des servitudes d’utilité publique prévues par l’article 7.5 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 197 6, devenu article L. 515-12 du code de l’environnement, ne pouvait, jusqu’en 2002, donner lieu à indemnisation de la part de l’exploitant ; que ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, non rétroactive, qu’est ouverte la possibilité d’indemnisation des servitudes de l’article L. 515-12 du code de l’environnement, dans les conditions prévues à l’article L. 515-11 du même code ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le juge de l’expropriation était saisi, en application de l’article L. 515-11 du code de l’environnement, d’une demande indemnitaire formée par la société A. à l’encontre de la sociétéB., ancien exploitant de l’installation polluante, et ayant pour fondement l’institution de servitudes résultant de l’arrêté préfectoral édicté le 14 février 2000, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi précitée de 2002 ; que dans ces conditions, le prétendu préjudice lié à l’institution de la servitude n’était pas indemnisable par l’exploitant ».
En validant ce moyen, la Cour de cassation donne une lecture étonnante de l’article L.515-12 du Code de l’environnement en vigueur avant le 28 février 2002 et contredit les motifs même de l’article de la loi du 27 février 2002 modifiant l’article précité.
En effet, l’article 7.5 de la loi du 19 juillet 1976, codifié à l’article L.515-12 du Code de l’environnement prévoit avant l’entrée en vigueur de la loi de 2002 notamment que : « les servitudes prévues aux articles L. 515-8 à L. 515-11 peuvent être instituées sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation ainsi que sur les sites de stockage de déchets ou d’anciennes carrières ».
Cet article, par son renvoi express aux articles L.515-8 à L.515-11, plutôt que de créer de nouvelles servitudes, étend le champ d’application des servitudes prévues à l’article L.515-8. Les servitudes d’utilité publique trouvant à s’appliquer du fait de l’article L.515-12 sont donc soumises aux règles des articles L.515-8 à L.515-11, c’est-à-dire notamment le droit à leur indemnisation au profit des propriétaires par l’exploitant de l’installation en cause.
La circulaire de la ministre de l’environnement du 10 décembre 1999 relative aux sites et sols pollués, indique en outre en son point 6 à l’intention des Préfets que : « Lorsqu’un site a été traité en vue d’un usage donné, il convient de veiller à ce qu’il ne soit pas ultérieurement affecté à un nouvel usage incompatible avec la pollution résiduelle du site sans que les travaux nécessaires soient entrepris. La procédure de servitude d’utilité publique prévue à l’article 7-5 de la loi du 19 juillet 1976 est l’instrument juridique permettant de gérer ce type de situation.
Cette procédure doit être privilégiée dans la mesure où elle permet une indemnisation des propriétaires concernés par le responsable de la pollution ».
De plus, il ressort des débats parlementaires, ainsi que du rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat à l’occasion de la discussion de la loi n°2002-276 que la modification de l’article L.515-12 a notamment pour but de : « déterminer des conditions d’indemnisation plus claires pour les propriétaires dans la mesure où, s’il n’y a pas accord, le juge de l’expropriation sera saisi ». Le législateur explique ainsi que cette modification n’a pas pour but de créer une nouvelle indemnisation, mais de clarifier les conditions de cette indemnisation.
Par conséquent, il est difficile de conclure en l’absence d’un droit à indemnisation du propriétaire par l’exploitant avant la loi de 2002 concernant les servitudes trouvant à s’appliquer du fait de l’article L.515-12 du Code de l’environnement.
La Cour de cassation, ayant pourtant conclue en ce sens, il conviendra de vérifier si les juges de la Cour d’Appel de Toulouse devant laquelle l’affaire est renvoyée, se plient à cette solution critiquable.
Etienne POULIGUEN
Juriste
Green Law Avocat