Glyphosate et principe de précaution : AMM du Roundup annulée
Par Mathieu DEHARBE, juriste (Green Law Avocats)
Depuis l’adoption de son règlement d’exécution du 28 novembre 2023, la Commission européenne a renouvelé pour dix ans, soit jusqu’au 15 décembre 2033, l’approbation dans l’UE de la substance active « glyphosate » (JO L, 2023/2660, 29.11.2023).
Toutefois, il convient de rappeler que le recours à cette substance active est source de contentieux comme a pu en témoigner l’adoption des arrêtés anti-pesticides (voir notre commentaire sur le blog).
Encore récemment l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Roundup Pro 360 était encore pendante malgré l’adoption du règlement d’exécution de la Commission.
En effet, la Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé le jugement du tribunal administratif de Lyon qui a annulé cette AMM.
D’ailleurs, la société Bayer Seeds a intenté un pourvoi en cassation contre cet arrêt en soutenant que la juridiction d’appel a méconnu son office lors l’examen du moyen tiré de la violation du principe de précaution.
Finalement, le juge de cassation a rejeté le pourvoi et confirmé l’annulation de l’AMM du Roundup 360 pro (décision commentée : CE, 23 octobre 2024, req. n°456108).
A juste titre, la Haute juridiction considère d’une part que l’annulation de l’AMM doit être fondée sur le principe de précaution garanti par droit de l’UE (I.).
D’autant plus, le Conseil d’État précise davantage l’office du juge de l’excès de pouvoir lorsqu’il statue sur sur un moyen tiré la violation du principe de précaution (II.).
I. Une annulation de l'AMM fondée sur le principe de précaution garanti en droit de l’UE
Avant d’annuler l’AMM pour violation du principe de précaution garantie par l’UE, la Haute juridiction a contrôlé l’invocabilité de ce principe (B.).
Cette approche vise à prévenir les conflits de normes qui résultent de la valeur à la fois constitutionnelle et conventionnelle du principe de précaution (A.).
A. Le principe de précaution, une règle de valeur constitutionnelle et conventionnelle
Avant tout, le principe de précaution a une valeur constitutionnelle mais aussi conventionnelle.
Premièrement, ce principe dispose de bases juridiques tant au sein du droit primaire que du droit dérivé de l’Union Européenne (article 191 § 2 du Traité sur le fonctionnement du droit de l’Union Européenne ; article 1er § 4, du règlement n°1107/2009).
Par ailleurs, la Haute juridiction européenne reconnaissait que cette norme constitue aussi un principe général du droit de l’Union Européenne (CJCE, National Farmers’ Union et autres, 5 mai 1998, C-157/96 ; CJCE, Royaume-Uni c. Commission, 5 mai 1998, C-180/96).
Deuxièmement, le droit constitutionnel français consacre ce même principe à l’article 5 de la Charte de l’environnement.
A ce titre, cette règle de valeur constitutionnelle est invocable tant devant le juge constitutionnel (Conseil Const., 19 juin 2008, n°2008-564 DC) le juge administratif (CE, 19 juillet 2010, Association du Quartiers les Hauts de Choiseul, req. n°328687).
Même si les différents fondements du principe de précaution lui confère une certaine protection, cette circonstance amène le juge a contrôlé davantage son invocabilité.
B. Un contrôle de l'invocabilité du principe de précaution garantie par le droit de l'UE
De prime abord, le juge administratif vérifie si un principe général du droit de l’UE garantit l’effectivité du respect du principe constitutionnel invoqué (CE, 8 février 2007, Arcelor, req. n°287110 ; CE, 3 octobre 2016, Confédération paysannes et autres req. n°388649).
En somme, la Haute juridiction a dû contrôler l’invocabilité du principe précaution garantie par le droit de l’UE en s’inspirant de cette jurisprudence :
« D’une part, le principe de précaution tel que garanti par le droit de l’Union européenne et rappelé au paragraphe 4 de l’article 1er du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, assure une protection au moins équivalente à celle découlant du principe de précaution tel que garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement. D’autre part, il n’est ni soutenu, ni établi, ni ne l’était devant les juges du fond, que l’application de ce principe communautaire de précaution conduirait à méconnaître une autre disposition ou un autre principe de l’ordre constitutionnel.» (décision commentée : CE, 23 octobre 2024, req. n°456108, point 3).
À l’issue de ce contrôle, le Conseil d’État considère que la Cour aurait dû apprécier la légalité de l’AMM au regard du principe de précaution tel que garantie par le droit de l’UE pour les motifs suivants :
- Premièrement, ce dernier assure une protection au moins équivalente à celle découlant de l'article 5 de la Charte de l'environnement ;
- Deuxièmement, son application ne méconnaît pas une autre disposition ou un autre principe de l'ordre constitutionnel ;
- Troisièmement, le règlement n°1107/2009 opère une complète harmonisation des conditions des AMM ;
- Quatrièmement, le CRIIGEN invoquait le principe de précaution garanti par le droit de l’UE.
Pour autant, le Conseil d’État n’a pas annulé l’arrêt de la Cour mais a opéré une substitution de motif.
II. Des précisions sur l'office du juge de l'excès de pouvoir face au principe de précaution en contentieux des AMM
Dans le contentieux des AMM, le Conseil d’État a précisé l’office du juge de l’excès de pouvoir lorsqu’il statue sur un moyen tiré de la violation du principe de précaution.
En premier lieu, le juge n’a pas à tenir compte des données scientifiques disponibles après la date d’édiction de l’AMM (A.).
En deuxième lieu, la juridiction doit effectuer un contrôler entier de la violation du principe de précaution dans le contentieux des AMM (B.).
A. Aucune obligation du juge de tenir compte des données scientifiques disponibles après la date d'édiction de l’AMM
Alors que les parties se prévalent d’études produites postérieurement à la date d’adoption de l’acte contesté, la Haute juridiction estime que le juge de l’excès de pouvoir n’a pas en tenir compte pour apprécier la violation du principe de précaution :
« pour apprécier une éventuelle méconnaissance du principe de précaution par l’acte administratif dont la légalité est soumise à son examen, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de se déterminer au regard de l’ensemble des données scientifiques disponibles à la date à laquelle celui-ci a été pris, sans tenir compte d’études scientifiques postérieures, lesquelles sont sans incidence sur la légalité de l’acte contesté et seulement susceptibles, si elles remettent en cause l’appréciation initialement portée, d’imposer aux autorités compétentes d’en tirer les conséquences. » (décision commentée : CE, 23 octobre 2024, req. n°456108, point 4).
Sur ce point, la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que les parties ne pouvaient utilement s’appuyer des différents avis et études relatifs au glyphosate intervenus postérieurement à la décision d’octroi de l’AMM.
Ici, le Conseil d’État fait simplement application du principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir statue au jour de l’édiction de l’acte administratif (CE, 31 mars 2023, req. n°470216, point 1).
Notons que la Haute juridiction rappelle que l’administration doit tout de même prendre en compte les nouvelles données scientifiques lorsqu’elles remettent en cause son appréciation initiale.
B. La reconnaissance d'un contrôle entier de la violation du principe de précaution
Concernant le degrés de contrôle de la violation du principe de précaution, le Conseil d’État estime que le juge de l’excès de pouvoir ne doit pas se limiter à l’erreur manifeste d’appréciation :
« C’est sans erreur de droit que la cour a exercé un contrôle entier, et non un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation, pour statuer, au vu des éléments portés à sa connaissance, sur l’existence de risques pour l’environnement et pour la santé liés à l’utilisation du Roundup Pro 360 susceptibles de justifier l’application du principe de précaution et prononcer, en application de ce principe, l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché de ce produit phytopharmaceutique.» (décision commentée : CE, 23 octobre 2024, req. n°456108, point 5).
Au contraire, le juge peut exercer un contrôle entier au vu des éléments portés à sa connaissance pour statuer sur l’existence de risques lié à l’usage du produit visé dans l’AMM.
Il s’ensuit que même à l’issue de ce contrôle entier, la Cour administrative d’appel pouvait prononcer l’annulation de l’AMM du Roundup Pro 360.
En cela, cette approche diffère de la jurisprudence du Conseil d’État sur l’étendu du contrôle du juge administratif sur la violation du principe de précaution.
Jusqu’ici, les violations de l’article 5 de la charte de l’environnement font l’objet de l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 19 juillet 2010, req. n°328687, considérant 3).
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