Evaluation environnementale : derrière la « Montagne d’Or », la notion de « projet » en question au Tribunal administratif de Guyane

3D exclamation mark  photo realistic isometric projection grass ecology theme on whitePar Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat au Barreau de Lille, Green Law Avocats

 

Le Tribunal administratif a rendu le 11 février 2019 une décision remarquée (n°1800145 et 1800149) en lien avec le projet décrié d’exploitation aurifère en Guyane, dit de la « Montagne d’Or ».

Saisi par les associations France Nature Environnement et Maiouri Nature Guyane, le Tribunal a annulé l’arrêté du 13 décembre 2017 par lequel le préfet de la Guyane avait autorisé la société SAS Compagnie Montagne d’Or à ouvrir des travaux d’exploitation d’or alluvionnaire dans la limite de la concession Paul Isnard située sur le territoire de la commune de Saint-Laurent du Maroni.

Au-delà de l’écho médiatique suscité par ce jugement au regard des vives polémiques entourant la réalisation de la mine d’or à ciel ouvert porté par la société Compagnie Montagne d’Or, la décision retient notre intérêt en ce qu’elle se prononce sur la notion de « projet », devenue depuis quelques années la pierre angulaire du droit de l’évaluation environnementale.

Analyse.

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Pour mémoire, le régime juridique de l’évaluation environnementale a fait récemment l’objet de réformes majeures dont la dernière en date résulte de l’ordonnance n°2016-1058 du 3 août 2016  et son décret d’application n°2016-1110 du 11 août 2016. Cette réforme a eu pour objet de transposer en droit national la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement telle que modifiée par la directive 2014/52/UE.

Or, l’un des apports majeurs de cette transposition a été de privilégier la notion de « projet » en lieu et place des termes de « procédure » ou de « programme de travaux ». Ce changement sémantique avait pour objectif d’adapter le droit de l’évaluation environnementale à la réalité concrète des projets, ce que l’ancienne terminologie échouait à faire dans certains cas de figure. Ainsi, une procédure (exemple : une zone d’aménagement concerté (ZAC), un permis de construire, etc.), n’est pas en soi susceptible d’avoir un impact notable sur l’environnement : c’est en réalité le projet, indépendamment de la procédure dont il relève, mais en fonction de sa nature, de sa dimension, du lieu dans lequel il sera développé, qui est susceptible d’avoir un tel impact sur l’environnement.

Reprenant stricto sensu les termes de la directive, le législateur a défini le projet comme la « réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol » (article L. 122-1 du code de l’environnement).

Le législateur a également entendu incorporer dans le droit national l’approche extensive de la notion de projet développée notamment par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui s’oppose au fractionnement des projets. Dans un arrêt de 1999, la Cour avait ainsi précisé que : « L’objectif de la réglementation ne saurait en effet être détourné par un fractionnement des projets et […] l’absence de prise en considération de leur effet cumulatif ne doit pas avoir pour résultat pratique de les soustraire dans leur totalité à l’obligation d’évaluation alors que, pris ensemble, ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement […] » (CJCE, 21 septembre 1999, Commission c/ Irlande (C-392/96), point 76).

C’est afin d’adapter le droit national à cette exigence que l’article L. 122-1 du code de l’environnement comporte la mention suivante : « Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité ».

Le projet et l’ensemble de ses composantes doivent ainsi être évalués globalement au sein d’une même étude d’impact.

Dans l’affaire commentée, le Tribunal administratif de Guyane a considéré que le projet autorisé par l’arrêté litigieux constituait en réalité une composante du projet industriel d’extraction minière du secteur Montagne d’Or, en adoptant le raisonnement suivant :

« […] compte-tenu du lieu d’exploitation d’or alluvionnaire, de l’existence d’un programme industriel d’exploitation minière dans le même secteur, également porté par la SAS Compagnie Montagne d’Or, de la proximité géographique immédiate de ces deux programmes ainsi que de l’identité de la ressource recherchée, l’exploitation d’or alluvionnaire au lieu-dit Boeuf Mort et le programme industriel d’exploitation minière du secteur Montagne d’Or, alors même que celui-ci n’est qu’envisagé à la date de l’arrêté en litige et que les deux programmes font appel à des modes d’exploitation différents, alluvionnaire pour l’un et par extraction pour l’autre, constituent des interventions dans le même milieu naturel, indépendamment de leur fractionnement dans le temps et dans l’espace. Ainsi, ils doivent être regardés comme constituant un seul et même « projet », au sens du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ».

La conséquence de cette interprétation du Tribunal est que l’arrêté litigieux encourt l’annulation en ce que son étude d’impact aurait dû prendre en compte le projet d’extraction minière dit de la « Montagne d’Or » afin de permettre à l’autorité environnementale et au préfet de disposer d’une vue précise et cohérente des enjeux et effets du projet, pris dans son ensemble :

« Dès lors, l’étude d’impact réalisée dans le cadre de la demande d’autorisation d’ouverture de travaux miniers dans la concession Paul Isnard en vue de l’exploitation d’or alluvionnaire se devait, en application des dispositions du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement rapportées au point 3, d’appréhender de manière globale les interventions humaines dans le milieu naturel ou le paysage. Faute de prise en compte du projet industriel d’exploitation minière par l’étude d’impact, celle-ci a présenté un caractère partiel qui n’a pas permis à l’autorité environnementale puis au préfet de la Guyane de disposer d’une vue précise et cohérente des enjeux et effets du projet dans son ensemble. Par suite, l’arrêté en cause, pris à l’issue d’une procédure entachée d’illégalité, doit, pour ce premier motif, lequel présente un caractère substantiel, être annulé ».

Le juge administratif guyanais a retenu les critères suivants pour identifier l’existence d’un seul et même projet :

  • La proximité géographique des deux projets, tous deux situés au sein de la concession minière Paul Isnard ;
  • Le fait que les deux projets soient portés par la même entité, la SAS Compagnie Montagne d’Or ;
  • L’identité de la ressource recherchée, à savoir le minerai d’or.

La méthode du Tribunal administratif guyanais suit ainsi les préceptes édictés par le Guide d’interprétation de la réforme du 3 août 2016 élaboré par le Commissariat Général au développement durable (CGDD), qui consacre une fiche technique à la notion de projet. En effet, ce document invite, sur la base de la jurisprudence rendue par la CJUE, à recourir à un « faisceau d’indices » pour identifier l’unicité d’un projet, notamment :

–   La proximité géographique ou temporelle ;

–   Des similitudes et interactions entre les différentes composantes du projet ;

–   L’objet et la nature des opérations.

Le Tribunal administratif ne tient en revanche pas compte de deux facteurs plaidant en faveur de la distinction des deux projets.

Tout d’abord, l’un est basé sur la méthode dite alluvionnaire alors que l’autre se fonde sur le recours à l’extraction.

En outre, et c’est surtout sur ce point que la décision doit être soulignée, le juge administratif estime qu’il importe peu que le projet d’extraction dit de la Montagne d’Or soit seulement « envisagé » à la date de l’arrêté contesté. Selon cette conception, la réalisation hypothétique d’un projet ne fait donc pas obstacle à ce qu’il soit considéré comme la composante d’un seul et même projet et qu’il doive par conséquent en être tenu compte.

Si cette interprétation du Tribunal administratif nous semble cohérente au regard des précisions qui ont été apportées par les textes et par la jurisprudence (peu fournie à ce jour) sur la notion de projet, des questionnements sérieux demeurent sur certains points qui sont passés sous silence par la décision commentée.

En effet, si l’on se réfère notamment au Guide d’interprétation de 2016 on observe que ce document met l’accent, aux fins d’identifier l’existence d’un seul et même projet, sur la nécessaire interdépendance entre les différentes composantes de ce projet. Il est ainsi précisé :

« Le projet doit donc être appréhendé comme l’ensemble des opérations ou travaux nécessaire pour le réaliser et atteindre l’objectif poursuivi. Il s’agit des travaux, installations, ouvrages ou autres interventions qui, sans le projet, ne seraient pas réalisés ou ne pourraient remplir le rôle pour lequel ils sont réalisés ».

Le Guide fournit d’ailleurs des exemples pour illustrer cette interprétation, tels que la construction d’un stade nécessitant un défrichement et la réalisation de voies d’accès pour le desservir : le stade mais aussi le défrichement et la voie d’accès qui lui sont indispensables constituent donc un seul et même projet.

Notons que l’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (AE CGEDD) a également apporté des précisions sur la notion de projet à l’occasion dans le cadre de sa fonction consultative. Cette autorité estime quant à elle que l’identification d’un seul et même projet implique également « l’analyse conjointe des liens fonctionnels et des objectifs des opérations qui potentiellement le constituent. Un tel choix a vocation à être également justifié au regard des interactions entre ces différents aménagements » (voir sur ce point AE CGEDD, avis n°2017-82 du 20 décembre 2017 sur la demande de cadrage relative au projet Euro3Lys à Saint-Louis (68)).

Or, en l’espèce, peut-on véritablement considérer que les deux projets, au-delà de leurs similitudes évidentes, sont interdépendants entre eux ? L’existence de l’un conditionne-t-elle la réalisation de l’autre ? La réponse est à notre sens négative. A en croire le Tribunal administratif de Guyane, le critère de l’interdépendance entre les composantes d’un projet semble finalement ne constituer qu’un indice, parmi d’autres, permettant d’identifier le projet dans sa globalité, et non pas un facteur devant impérativement être pris en compte.

Des précisions jurisprudentielles apparaissent donc souhaitables afin de pouvoir cerner cette notion de « projet » encore fuyante et malléable. En attendant, l’on s’amusera du paradoxe entre l’interprétation faite par le juge administratif dans ce jugement et la communication effectuée par la société pétitionnaire selon laquelle cette décision n’a « aucune incidence » sur le projet « Montagne d’Or »…