Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
Le 20 septembre 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne(C.J.U.E., 20 septembre 2017, C-215/16, C-216/16, C-220/16, C-221/16 consultable ici) a rendu un arrêt qui peut faire réfléchir sur les rasions d’être du développement éolien, même à l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique semble s’être imposé comme un objet de l’Union européenne
Suite à plusieurs questions préjudicielles posées par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha en Espagne (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche), la CJUE a en effet jugé que le droit européen ne s’opposait pas à ce qu’une réglementation nationale prévoie la perception d’une redevance frappant les aérogénérateurs destinés à la production d’énergie électrique. En l’occurrence la loi espagnole en cause du 21 mars 2011 prévoyait le paiement d’une telle redevance, le fait générateur de la redevance étant constitué par « les atteintes et les incidences négatives sur l’environnement et sur le territoire causé par l’installation ».
Les requérants, assujettis à cette redevance, l’ont jugée inconstitutionnelle et incompatible avec le droit de l’Union : le litige a ainsi été porté devant la Cour supérieure de justice de Castille-La Manche. La juridiction a alors posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE :
« 1) Puisque les “régimes d’aide” définis à l’article 2, sous k), de la directive [2009/28], et parmi eux les incitations fiscales telles que les réductions fiscales, les exonérations et les remboursements d’impôt, sont conçus comme des instruments visant à atteindre les objectifs de consommation d’énergies renouvelables prévus dans cette directive, doit-on considérer que les incitations ou les mesures citées ont un caractère obligatoire et sont contraignantes pour les États membres, avec un effet direct, en ce qu’elles peuvent être invoquées et opposées par les particuliers affectés devant tout type d’instances publiques, judiciaires et administratives ?
2) L’expression “mais sans s’y limiter” figurant dans l’énumération, parmi les “régimes d’aide” visés à la question précédente, de mesures d’incitation fiscale consistant dans des réductions fiscales, des exonérations et des remboursements d’impôt signifie-t-elle qu’il convient de considérer que la non-imposition compte au nombre de ces incitations, c’est-à-dire l’interdiction de tout type de prélèvement spécifique et particulier, s’ajoutant aux impôts généraux grevant l’activité économique et la production d’électricité, qui taxerait l’énergie produite à partir de sources renouvelables ? De même, convient-il de considérer que l’interdiction générale précitée inclut l’interdiction de double imposition, de cumul ou de chevauchement de plusieurs impôts généraux ou spécifiques qui grèvent différentes phases de l’activité de production d’énergies renouvelables et ont une incidence sur le même fait générateur grevé par la redevance éolienne en cause ?
3) En cas de réponse négative à la question précédente et si l’imposition de l’énergie produite à partir de sources renouvelables est acceptée, aux fins de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [2008/118], la notion de “finalité spécifique” doit-elle être interprétée en ce sens que l’objectif visé doit être exclusif et que, en outre, l’impôt grevant les énergies renouvelables doit avoir, du point de vue de sa structure, une nature véritablement extrafiscale et non simplement budgétaire ou de perception de recettes ?
4) Conformément à l’article 4 de la directive [2003/96], qui, lorsqu’il mentionne les niveaux de taxation que les États membres doivent appliquer aux produits énergétiques et à l’électricité, prend pour référence les niveaux minima prévus par [cette] directive, entendus comme la somme de l’ensemble des impôts directs et indirects appliqués sur ces produits au moment de leur mise à la consommation, doit-on considérer que cette somme doit conduire à exclure du niveau de taxation exigé par la[dite] directive les impôts nationaux n’ayant pas une nature véritablement extrafiscale au regard de leur structure et de leur finalité spécifique, telle qu’interprétée selon la réponse donnée à la précédente question ?
5) Le terme “frais” utilisé à l’article 13, paragraphe 1, sous e), de la directive [2009/28] est-il une notion autonome du droit [de l’Union] devant être interprétée dans un sens plus large, comme incluant et étant synonyme de la notion d’impôt en général ?
6) En cas de réponse affirmative à la question précédente, les frais à acquitter par les consommateurs visés à l’article 13, paragraphe 1, sous e), de la directive [2009/28] ne peuvent-ils inclure que les impositions ou prélèvements fiscaux qui visent à compenser, le cas échéant, les dommages causés par l’incidence [des installations éoliennes] sur l’environnement et qui tentent de réparer, avec le montant perçu, les dommages liés à une telle atteinte ou incidence négative, à l’exclusion des impôts ou des prestations qui, en ce qu’ils grèvent les énergies non polluantes, ont une finalité essentiellement budgétaire ou de perception de recettes ? »
La CJUE répond aux première, deuxième, cinquième et sixième questions en relevant que la directive 2009/28 (relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables) oblige les Etats membres à avoir une certaine part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans leur consommation finale d’énergie en 2020. Pour cela ils sont tenus de mettre en place des mesures conçues de manière efficace et notamment peuvent mettre en place des « régimes d’aides ». Néanmoins la Cour relève que « les Etats membres disposent d’une marge d’appréciation quant aux mesures qu’ils estiment appropriés pour atteindre les objectifs contraignants nationaux globaux », et rien ne leur interdit d’imposer une redevance, comme rien ne les oblige à mettre en place des régimes d’aides.
La Cour poursuit :
« Or, il ne peut être exclu qu’une redevance, telle que celle en cause au principal, puisse rendre moins attrayante la production et l’utilisation de l’énergie éolienne ainsi que compromettre son développement.
Toutefois, même s’il était admis que cette redevance, nonobstant sa portée régionale et le fait qu’elle concerne une seule source d’énergie renouvelable, est susceptible de conduire l’État membre concerné à ne pas respecter l’objectif contraignant national global fixé à l’annexe I, partie A, de la directive 2009/28, il en résulterait, tout au plus, une violation, par cet État membre, de ses obligations au titre de cette directive, sans que l’instauration d’une telle redevance puisse, pour autant, être considérée, en elle‑même, comme contraire à ladite directive, dès lors que les États membres disposent, ainsi qu’il a été relevé au point 32 du présent arrêt, d’une marge d’appréciation pour atteindre ledit objectif, sous réserve qu’ils respectent les libertés fondamentales garanties par le traité FUE ».
Ainsi s’ils peuvent adopter (et non doivent) des mesures de soutien aux énergies renouvelables, rien de les empêche d’établir un prélèvement tel que celui en cause.
La Cour juge ensuite que la directive 2003/96 (relative à la taxation des produits énergétiques et de l’électricité) n’est pas applicable ratione materiae puisqu’il « il n’existe aucun lien entre, d’une part, le fait générateur de la redevance en cause au principal et, d’autre part, la production effective d’électricité par les aérogénérateurs et encore moins la consommation de l’électricité produite par ceux-ci ».
S’agissant ensuite de la directive 2008/118 (relative au régime général d’accise), la Cour estime que la redevance n’entre pas dans le champ de cette directive, et que la question de savoir si cette redevance a pour objectif la protection de l’environnement relève du seul droit national. Le gouvernement espagnol et la Communauté autonome de Castille-La Manche avaient ici relevé que cette redevance poursuivait une finalité environnementale « dès lors qu’elle est destinée à internaliser les coûts découlant des atteintes à l’environnement générées par le développement de parcs éoliens, afin de promouvoir l’innovation technologique en réduisant le nombre de ces parcs ou leur taille. »
La CJUE a ainsi validé un système de taxe, qui vient pénaliser l’énergie éolienne, en tant qu’elle générerait des atteintes et des incidences négatives sur l’environnement et sur le territoire.
Selon le site gouvernemental espagnol, cela reviendra à taxer un total de 14 millions d’euros par an.
Si en France l’énergie éolienne est soumise à différentes taxes et impôts (IFER, taxe foncière ; CFE, CVAE), rien de similaire n’existe. A la différence de l’Espagne les collectivités territoriales françaises ne disposent pas de la liberté de créer des impôts nouveaux pour alimenter leur budget. Ainsi une telle taxe devrait être décidée par le Parlement en vertu de l’article 34 de la Constitution « la loi fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».
Il n’en est pas moins vrai que l’IFER a en son temps suscité un rejet des opérateurs français et une tentative, là aussi vaine de contester le principe de cette taxation devant le Conseil d’Etat (CE, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 16/11/2011, 349751, Inédit au recueil Lebon) : déjà en 2011 la Haute juridiction administrative française avait valider sans aucune réserve constitutionnelle ou conventionnelle une hausse de l’ordre de 140 % par rapport au tarif applicable pour l’année 2010 de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux applicable aux installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent, aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique hydraulique des courants et aux centrales de production d’énergie électrique d’origine photovoltaïque.
Il est maintenant question de réorienter cette manne de l’IFER des EPCI vers les communes pour relancer l’éolien en France. En effet lorsque ces communes appartiennent à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité professionnelle unique ou à fiscalité éolienne unique, les communes d’implantation des parcs éoliens ne perçoivent plus aucune part de l’IFER. Elles sont dépendantes des règles internes à l’EPCI pour bénéficier d’une aléatoire redistribution, et ce malgré l’instauration depuis le 1er janvier 2016 de la procédure dite « de révision libre », procédure facultative qui permet au conseil communautaire de procéder à une révision libre des attributions de compensation afin de tenir compte le cas échéant de la dynamique de la fiscalité éolienne). « Or, quand le maire doit expliquer aux habitants qu’on ne touche rien directement pour la commune si on installe des éoliennes, ce n’est pas toujours simple », faisait valoir en fin d’année Sébastien Lecornu, en se disait favorable à une meilleure répartition de l’intéressement fiscal en donnant une part directement aux communes (LE MONDE ECONOMIE | 30.11.2017). Mais au final un amendement sénatorial en ce sens n’a pas été retenu dans la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
Reste que la taxation des EnR prend surtout le risque de priver les Etats membres à fort potentiel éolien et qui pourraient dépasser leur propre objectif au regard de la directive 2009/28/CE, de la possibilité de signer un accord de transfert statistique d’énergies renouvelables, comme le permet la même directive ; à l’instar de celui signé le 26 octobre dernier entre le Luxembourg et la Lituanie alors qu’au demeurant 11 Etats membres ont déjà atteint leurs objectifs pour 2020 (la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, la République tchèque, la Roumanie et la Suède) et que d’autres sont très en retard sur ces mêmes objectifs (l’Allemagne, la Belgique, Chypre, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, la Lettonie, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie et le Royaume-Uni).
L’implantation d’éoliennes ne devrait pas se justifier par sa vocation à constituer un gisement fiscal mais s’imposer là où le vent se trouve dans une approche voyant chaque Etat membre prendre sa part dans lutte contre le réchauffement climatique au moyen du potentiel énergétique qui lui est propre…
La France engluée dans le classement ICPE des aérogénérateurs terrestre outrageusement imposé par le législateur qui prétendait faire un grenelle de l’environnement et lui-même incapable de concevoir une planification réglementaire de l’éolien sécurisée brille encore par un zéro pointé s’agissant des éoliennes en mer…