Par Me Sébastien BECUE, GREEN LAW AVOCATS
On se souvient du récent arrêt du Conseil d’Etat « CORSICA SOLE », en date du 22 janvier 2020 (n°418797).
Dans cette affaire, un producteur solaire avait conclu avec EDF un contrat d’achat prévoyant l’application du tarif d’achat « S06 ».
Puis EDF avait informé le producteur que, finalement, ce dernier n’avait pas droit à ce tarif et lui avait proposé en conséquence la signature d’un avenant prévoyant que ce serait le tarif « S10 » (moins intéressant) qui s’appliquerait à l’électricité vendue.
Le producteur, considérant qu’EDF était tenu contractuellement par le contrat conclu, avait refusé de signer l’avenant et émis ses factures sur la base du tarif « S06 ».
Face au refus de l’acheteur obligé d’exécuter le contrat et donc de régler ces factures, la société CORSICA SOLE avait saisi le juge administratif en paiement des factures.
En appel, la Cour administrative d’appel de Marseille indiquait :
- que s’il « est constant que l’installation en cause ne satisfait pas à la condition posée par l’arrêté du 16 mars 2010 pour bénéficier des tarifs d’achat » S06 « », ce qui impliquait que la demande de contrat d’achat avait été déposée trop tard pour que le projet bénéficie de ce tarif ;
- il n’en reste pas moins que : d’une part, le régime de l’obligation d’achat n’a pour objet que « de fixer, au seul bénéfice des producteurs d’électricité, les conditions minimales auxquelles EDF est tenue d’acheter l’électricité », et n’a pas pour « effet d’interdire à EDF d’acheter de l’électricité à des conditions tarifaires plus favorables pour les producteurs » ; et d’autre part, EDF ne démontrait pas que son erreur – établie – aurait « eu pour effet de vicier son consentement ».
En conséquence, la Cour concluait qu’il n’y avait pas lieu d’écarter l’application du contrat et condamnait à verser au producteur les factures calculées sur la base du tarif « S06 » contractuellement convenu (CAA Marseille, 12 fév. 2018, n°17MA00134).
Ainsi la Cour se positionnait uniquement du point de vue du droit du contrat administratif, en refusant clairement de tenir compte du fait que le contrat d’achat trouve son fondement juridique dans le code de l’énergie.
En interdisant à EDF de revenir sur un contrat conclu, cette décision avait pour effet de responsabiliser l’acheteur obligé : EDF doit vérifier le tarif applicable dans le cadre de l’instruction de la demande de contrat. Une position d’autant plus logique qu’EDF disposait de tous les éléments avant la conclusion du contrat, et il n’y avait donc semble-t-il aucune raison de lui permettre de revenir dessus a posteriori.
Sur pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat avait, de manière relativement surprenante – en tant que cette décision dédouanait potentiellement EDF de sa responsabilité, alors qu’elle avait bien retenu contractuellement le tarif « S06 » – jugé :
- que le contrat conclu par EDF avec un producteur en application du régime de l’obligation d’achat « doit être établi conformément » aux dispositions règlementaires encadrant ce régime ;
- qu’en conséquence, « les parties à un tel contrat ne peuvent contractuellement déroger aux tarifs d’achat fixés » par ce régime ;
- et donc que la Cour avait commis une erreur de droit en considérant que le régime de l’obligation d’achat ne fixe que des « conditions minimales auxquelles la société EDF est tenue d’acheter l’électricité produite sans lui interdire de prévoir des conditions tarifaires plus favorables pour les producteurs ».
On peut comprendre que le Conseil d’Etat soit soucieux de l’utilisation des deniers publics – EDF étant compensée sur le budget de l’Etat pour les sommes versées au titre de l’obligation d’achat – mais une telle tolérance à l’égard du comportement d’EDF qui avait signé un contrat à un tarif erroné avait de quoi surprendre, alors même que le Conseil d’Etat a largement entamé, depuis 2016 et au nom de l’exigence de sécurité juridique, une entreprise de durcissement des conditions d’exercice du droit au recours fondée sur l’existence « révélée » d’un délai raisonnable d’un an qui s’appliquerait à tout requérant, et en toute matière (cf. le fameux arrêt Czabaj, qui n’en finit pas de trouver des déclinaisons au détriment du requérant : voir sur ce point l’article de C. LANTERO et Y. LIVENAIS).
Mais en déniant à EDF toute liberté dans la fixation du tarif, le Conseil d’Etat semblait également lui donner un blanc-seing en l’exonérant de toute responsabilité à l’égard du producteur, alors même qu’elle pouvait être vue comme ayant commis une faute dans l’instruction de la demande, et ce sans que ne soit précisée de limite à cette absence de responsabilité, que ce soit en termes de gravité de la faute ou de limite temporelle : rappelons qu’en l’espèce, alors que le contrat d’achat avait été conclu le 27 décembre 2012, EDF avait proposé la signature de l’avenant le 27 février 2015, soit plus de deux années après !
Les circonstances de l’arrêt ici commenté, toujours de la Cour administrative d’appel de Marseille (22 juin 2020, n°17MA00859), semblent au départ similaires :
- alors que le producteur avait également conclu avec EDF au tarif « S06 » ;
- EDF lui avait ensuite proposé un avenant au tarif « S10 ».
Seulement, d’une part le fondement du refus change : le motif retenu par EDF est justifié par le fait que la demande de raccordement aurait été déposée dans les temps, mais auprès d’une agence territorialement incompétente d’ENEDIS. D’autre part, dans cette espèce, le producteur a accepté de signer l’avenant proposé par EDF (qui peut l’en blâmer : sa centrale produit et il faut bien rembourser les échéances du prêt).
Toutefois, le producteur, même s’il a signé l’avenant, saisit le juge administratif afin d’en obtenir l’annulation et le paiement de ses factures au tarif « S06 ».
D’emblée on note que la Cour ne reprend pas le considérant de principe de l’arrêt CORSICA SOLE du Conseil d’Etat selon lequel le contrat d’achat « doit être établi conformément » aux dispositions règlementaires encadrant le régime de l’obligation d’achat.
A l’inverse, la Cour commence son analyse du point de vue du droit du contrat administratif en rappelant l’office du juge de plein contentieux en la matière et l’obligation de loyauté contractuelle.
Et ce n’est que dans un second temps, dans l’appréciation de la validité de l’avenant, que la Cour va rappeler les exigences règlementaires du régime de l’obligation d’achat.
Et dans le cadre de l’analyse de la validité de l’avenant, la Cour rappelle que la documentation technique de référence (DTR) qui régit les conditions d’instruction de la demande de raccordement prévoit effectivement, comme le soutient EDF, que la demande doit être déposée auprès du bureau territorialement compétent d’ENEDIS.
Pourtant, la Cour va, sans écarter l’application de cette règle expressément prévue par la DTR (même si elle n’est pas présentée comme déterminante de la recevabilité de la demande), revenir au droit du contrat administratif et s’attacher à qualifier le comportement d’ENEDIS et d’EDF au regard du principe de loyauté en relevant :
- qu’aucune de ces entités n’a soulevé l’argument de l’irrecevabilité de la demande pendant l’instruction de la demande,
- qu’au contraire, elles en ont respectivement accusé réception sans remarque particulière;
- puis qu’EDF a signé le contrat ;
- et que ce n’est que qu’après conclusion du contrat qu’EDF a proposé un avenant revenant sur le tarif S06.
La Cour déduit qu’au regard du principe de loyauté, ENEDIS et EDF « doivent être regardées comme ayant, en tout état de cause, renoncé à opposer [au producteur], à l’occasion de la conclusion du contrat du 25 janvier 2013, la prétendue irrégularité de sa demande de raccordement au regard » de la DTR.
En conséquence elle annule l’avenant et condamne EDF à verser au producteur le différentiel entre ce qu’il a perçu au titre de l’avenant et ce à quoi il avait droit au titre du contrat initial.
Cette décision est audacieuse.
En effet, la Cour aurait pu fonder sa décision sur le régime de l’obligation d’achat en considérant que l’exigence, prévue par la DTR, d’un dépôt auprès d’un bureau territorialement compétent n’était en réalité pas une condition juridique de la recevabilité de la demande.
Ou tout au moins que le dépôt auprès d’un bureau territorialement incompétent n’était pas une erreur procédurale de nature à remettre en cause la recevabilité de la demande. La Cour indique – en passant – que la société ERDF (dorénavant ENEDIS) est une personne morale unique dont le agences locales ne constituent pas autant d’entités juridiques distinctes. Peut-être que cela aurait suffit juridiquement pour écarter la règle.
Et surtout, la Cour qualifie, dans le passage de sa décision rappelé ci-dessus, le motif retenu par EDF de « prétendue irrégularité de [la] demande » du producteur, ce qui révèle bien son sentiment sur l’argument d’EDF.
Il est clair qu’en se plaçant sur le fondement contractuel, au surplus sur le terrain de l’obligation de loyauté, la Cour a voulu sanctionner le comportement d’EDF. Il est probable que cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt. On verra si le Conseil d’Etat maintient sa position très protectrice d’EDF ou va retenir une solution plus équilibrée, tenant compte également de la nécessité de mieux protéger les producteurs.