Droit minier : précisions sur l’application de la loi anti-fracturation hydraulique (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de se prononcer dans un jugement du 28 janvier 2016 (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718) sur la légalité d’arrêtés d’abrogation de permis exclusif de recherches. C’est l’occasion d’aborder les grandes lignes juridiques du débat entourant la fracturation hydraulique. La fracturation hydraulique consiste à injecter sous très haute pression un fluide destiné à fissurer et micro-fissurer la roche. Cette technique est notamment utilisée en matière d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, conventionnels ou non conventionnels. Elle permet en effet de récupérer des hydrocarbures, liquides ou gazeux, dans des substrats denses où un puits classique ne suffirait pas. Le fluide utilisé lors de la fracturation hydraulique est en général de l’eau à laquelle sont ajoutés, d’une part, des matériaux solides poreux (sable…) afin que les fissures et micro-fissures ne se referment pas à l’issue du processus et, d’autre part, des additifs chimiques afin de gérer la viscosité du mélange. La technique de la fracturation hydraulique a soulevé une opposition importante de la population en 2011 lors de débats sur l’opportunité de rechercher et d’exploiter des hydrocarbures non conventionnels tels que les gaz de schiste sur le territoire français. En effet, à l’époque, cette technique, associée à un forage horizontale, était la seule permettant de rechercher et d’exploiter le gaz de schiste Cette opposition de la population a conduit à l’adoption de la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique. Cette loi repose sur l’application du principe de prévention. Elle a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 11 octobre 2013, décision n° 2013-346 QPC, analysée sur le blog du cabinet ici). L’article 1er de cette loi dispose : « En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. » [souligné par nos soins] Son article 3 précise en outre que : « I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés. III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés. ― Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré à l’autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. » [souligné par nos soins] Les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux devaient donc rendre un rapport à l’administration précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherche. Si les titulaires des permis ne remettaient pas le rapport ou si celui-ci mentionnait le recours effectif ou éventuel à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusif de recherches concernés étaient abrogés. Les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France détenaient un permis exclusif de recherches dit « Permis de Montélimar » Elles ont déposé un rapport le 12 septembre 2011 dans lequel, d’une part, elles s’engageaient à ne pas mettre en œuvre la technique de la fracturation hydraulique et où, d’autre part, elles précisaient désirer poursuivre les explorations soit au moyen de techniques existantes et autorisées, soit au moyen d’autres techniques encore en cours de développement. Toutefois, un arrêté interministériel du 12 octobre 2011 portant publication de la liste des permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux abrogés en application de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 a constaté l’abrogation du permis de Montélimar. Le directeur de l’énergie a ensuite adressé le 12 octobre 2011 des lettres informant les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France de cette abrogation. Les deux sociétés ont donc introduit un recours en excès de pouvoir contre l’arrêté du 12 octobre 2011 en tant qu’il constate l’abrogation du « Permis de Montélimar » et contre les lettres du directeur de l’énergie du 12 octobre 2011 les informant de l’abrogation de ce permis. La question posée au tribunal administratif de Cergy Pontoise était donc de savoir si le fait qu’un rapport affirme l’absence d’utilisation de la fracturation hydraulique dans le cadre d’un permis exclusif de recherches sans préciser expressément quelles techniques seront mises en œuvre permettait de prononcer l’abrogation dudit permis. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est prononcé dans la décision du 28 janvier 2016 présentement commentée (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718). Il s’est, dans un premier temps, prononcé sur la recevabilité du recours des requérantes (I). Puis, il s’est prononcé sur l’abrogation du permis de Montélimar (II). Sur la recevabilité du recours en excès de pouvoir Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise devait, en premier lieu, se prononcer sur la recevabilité du recours des sociétés requérantes et sur le caractère décisoire des actes contestés. Il convient de rappeler que l’article R. 421-1 du code de justice administrative dispose que « sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (…) ». À cet égard, ne constituent pas des décisions au sens de…

Produits phytopharmaceutiques : la Commission réticente concernant l’approbation ou le renouvellement de substances actives

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)   Le 2 février 2016, la Commission européenne a, une nouvelle fois, montré sa réticence à approuver ou à renouveler les substances actives contenues dans les produits phytopharmaceutiques. Ce comportement témoigne, à notre sens, d’une volonté de limiter le nombre de substances actives présentes dans les produits phytopharmaceutiques mis sur le marché sur le territoire des Etats membres. En premier lieu, elle a, par un règlement d’exécution (UE) 2016/138 du 2 février 2016, refusé d’approuver la substance active 3-décén-2-one, conformément au règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. A cet égard, il convient de rappeler que, pour qu’une substance active soit approuvée, elle doit respecter les critères posés par l’article 4 du règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. En particulier, il est nécessaire que: les résidus des produits phytopharmaceutiques n’aient pas d’effet nocif sur la santé des êtres humains ou sur la santé des animaux ou sur les eaux souterraines ; les résidus des produits phytopharmaceutiques n’aient pas d’effet inacceptable pour l’environnement.   En outre, le produit phytopharmaceutique doit : être suffisamment efficace ; ne pas avoir d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine ou sur la santé animale ou sur les eaux souterraines ; n’avoir aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux ; ne provoquer ni souffrances ni douleurs inutiles chez les animaux vertébrés à combattre ; ne pas avoir d’effet inacceptable sur l’environnement. En l’espèce, il a été considéré que « l’existence de résultats positifs en matière de génotoxicité et le caractère limité des données toxicologiques empêchent d’établir des valeurs toxicologiques de référence finales et que, par conséquent, l’évaluation des risques pour les opérateurs, les travailleurs, les autres personnes présentes, les résidents et les consommateurs n’a pas pu être menée à bien. » En outre, « l’évaluation de la demande de LMR accompagnée de la demande d’exempter le 3-décén-2-one de la fixation d’une LMR n’a pas pu être terminée, car les informations disponibles sont insuffisantes pour déterminer si l’utilisation de 3-décén-2-one en tant que substance active dans les produits phytopharmaceutiques n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris celle des groupes vulnérables, lors d’une ingestion par voie alimentaire. » Au regard de ces éléments, les critères de l’article 4 ne pouvaient être considérés comme remplis. Par suite, la substance active n’a pu être approuvée car « il n’a pas été démontré qu’il était permis d’escompter, en ce qui concerne une ou plusieurs utilisations représentatives d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant de la 3-décén-2-one, qu’il soit satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement (CE) n° 1107/2009. » En second lieu, elle a, par un règlement d’exécution (UE) 2016/139 du 2 février 2016, approuvé la substance active metsulfuron-méthyle comme « substance dont on envisage la substitution » conformément au règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Pour ce faire, elle a, dans un premier temps, considéré que l’ensemble des conditions d’approbation de la substance active étaient remplies : « Des informations sur une ou plusieurs utilisations représentatives d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant la substance active concernée ont permis d’établir qu’il est satisfait aux critères d’approbation visés à l’article 4 du règlement (CE) n° 1107/2009. Ces critères d’approbation sont donc réputés être remplis. […] L’évaluation des risques pour le renouvellement de l’approbation du metsulfuron-méthyle repose sur un nombre limité d’utilisations représentatives, qui toutefois ne restreignent pas les utilisations pour lesquelles les produits phytopharmaceutiques contenant du metsulfuron-méthyle peuvent être autorisés. Il convient donc de ne pas maintenir la restriction à l’utilisation en tant qu’herbicide. » Puis, dans un deuxième temps, elle a considéré que « le metsulfuron-méthyle est une substance dont on envisage la substitution conformément à l’article 24 du règlement (CE) n° 1107/2009.» L’article 24 du règlement (CE) n°1107/2009 qu’une substance active satisfaisant aux critères prévus à l’article 4 est approuvée, pour une période ne dépassant pas sept ans, comme « substance dont on envisage la substitution » si elle satisfait à un ou plusieurs critères supplémentaires. Plus précisément, en vertu du point 4 de l’annexe 2, il est nécessaire qu’une des conditions suivantes soit remplie pour qu’il soit envisagé la substitution d’une substance active : la dose journalière admissible, le niveau acceptable d’exposition de l’opérateur ou la dose aiguë de référence qui s’y rapportent sont sensiblement inférieurs à ceux de la majorité des substances actives approuvées dans les groupes de substances/catégories d’utilisation ; elle satisfait à deux des critères prévus pour être considérée comme une substance PBT ; elle suscite des préoccupations liées à la nature des effets critiques qui, combinés aux modes d’utilisation et d’exposition concernés, créent des situations d’utilisation qui restent inquiétantes même lorsqu’elles s’accompagnent de mesures de gestion des risques très restrictives ; elle contient un pourcentage important d’isomères non actifs ; elle est ou doit être classée carcinogène de catégorie 1A ou 1B ; elle est ou doit être classée toxique pour la reproduction de catégorie 1A ou 1B ; si elle n’est pas considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens pouvant être néfastes pour l’homme. En l’espèce, le metsulfuron-méthyle a été considéré comme « une substance persistante et toxique » étant donné que sa demi-vie en eau douce est supérieure à quarante jours et que sa concentration sans effet observé à long terme pour les organismes d’eau douce est inférieure à 0,01 mg/l.   La Commission a donc estimé que « Le metsulfuron-méthyle satisfait donc à la condition établie à l’annexe II, point 4, deuxième tiret, du règlement (CE) n°1107/2009. » c’est-à-dire qu’ « elle satisfait à deux des critères prévus pour être considérée comme une substance PBT » Elle a alors accepté de renouveler l’autorisation de la substance active comme substance dont on envisage la substitution en prévoyant certaines conditions telles que demander des informations confirmatives supplémentaires. En conséquence, ces deux règlements traduisent d’une volonté de la Commission d’apprécier strictement les conditions d’approbation ou de renouvellement d’une substance acte contenue dans un produit phytopharmaceutique et, par suite, de limiter autant que possible…

Il n’est pire cours d’eau que celui qui dort…

Par Maître Sébastien BECUE Green Law Avocats Suis-je en présence d’un cours d’eau ou d’un simple écoulement ? C’est la question que tout propriétaire riverain d’un cours d’eau ou porteur d’un projet susceptible d’avoir un impact sur le milieu aquatique doit se poser. En effet, la qualification juridique de « cours d’eau » s’accompagne d’un assortiment d’obligations susceptibles de sanctions administratives et pénales. Or, le moins que l’on puisse dire est qu’en l’absence de critères précis, il était, jusqu’à récemment, compliqué de s’y retrouver. Une instruction ministérielle est depuis intervenue afin d’expliciter les critères jurisprudentiels et prescrire, sur ce fondement, la réalisation d’une cartographie complète des cours d’eau.   NB: Il est à noter que depuis la publication initiale de cet note de blog le 9 février 2016 :  La Cour administrative d’appel de Lyon, dans une décision d’avril 2016 a réalisé une intéressante analyse in concreto de l’existence d’un cours d’eau au regard de la définition du Conseil d’Etat : « que constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté parune source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année ; que M. C…se prévaut de deux rapports établis par M.D…, “consultant milieux aquatiques”, en 2011 et le 26 août 2014, qui soulignent que, si l’arrêté préfectoral contesté retient l’existence d’un cours d’eau, nommé le Rivaux, alimentant le plan d’eau, aucune indication d’un tel cours d’eau ne figure sur les cartes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), ni au cadastre, et relèvent l’absence de débit, de mars à octobre 2011, ainsi que la reproduction de ce tarissement chaque année ; que, toutefois, la circonstance que le tarissement du cours d’eau constaté en octobre 2011 par l’auteur du rapport durerait depuis le mois de mars et se reproduirait chaque année ne résulte pas de constats mais uniquement des affirmations du requérant, propriétaire de l’étang, lequel ne conteste pas utilement les données avancées par l’administration selon lesquelles le débit moyen annuel du cours d’eau est de 28 litres par seconde et le débit d’étiage du mois le plus sec sur une période de cinq ans, appelé “QMNA/5”, de 2 litres par seconde, non plus que les rapports établis par des agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) des 29 janvier 2009 et 23 octobre 2014, aux termes desquels le plan d’eau litigieux n’est pas seulement alimenté par des eaux de ruissellement et de drainage mais par un écoulement d’eau, dans un lit naturel à l’origine, alimenté par des sources, qui naît 600 mètres en amont du plan d’eau, où il s’écoule au rythme de 20 litres par seconde ; qu’il ressort également de ces rapports qu’a été constatée dans le lit de ce ruisseau la présence de gammares, petits crustacés détritivores qui ont un cycle de vie complet dans l’eau, ainsi que celle de larves de trichoptères ; que ces constatations démontrent que le débit d’eau y est permanent ; qu’ainsi, alimenté par une source, s’écoulant dans un lit à l’origine naturel et présentant un débit suffisant, ce ruisseau, qui, au demeurant, était déjà mentionné dans l’arrêté du 12 mai 1981, constitue, quand bien même il ne figure pas sur une carte IGN, un cours d’eau ; que, par suite, en qualifiant de cours d’eau le ruisseau alimentant le plan d’eau de M. C…et en estimant par conséquent que ce plan d’eau faisait obstacle au libre écoulement des eaux et constituait une pisciculture, au sens des dispositions de l’article L. 431-6 du code de l’environnement, soumise à autorisation, au sens de l’article R. 214-1 du même code, le préfet du Puy-de-Dôme n’a pas fait une inexacte application de ces dispositions ; qu’à cet égard, est sans incidence la circonstance que M. C…ne commercialise pas les poissons qu’il pêche et ne fasse de son plan d’eau qu’un usage privatif de loisir » (CAA Lyon, 3e, 12-04-2016, n° 14LY01055)   De plus, l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement, entré en vigueur le 10 août 2016, définit ainsi le cours d’eau : « Constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. » Ce faisant, le Législateur reprend à son compte la définition du Conseil d’Etat.     I. Le cours d’eau, objet coulant Identifié Il n’existe à l’heure actuelle aucune définition légale du cours d’eau. C’est donc au juge administratif qu’est revenue la tâche de dégager des critères, au cas par cas. La circulaire du 2 mars 2005 relative à la définition de la notion de cours d’eau reprenait les critères jurisprudentiels de l’époque, à savoir : – La présence et la permanence d’un lit naturel à l’origine, ce qui suppose d’être en mesure de démontrer à la fois l’origine naturelle d’un lit, une tâche pas forcément aisée, ainsi que sa permanence ; – La permanence d’un débit suffisant une majeure partie de l’année, appréciée au cas par cas en fonction de diverses présomptions telles que les cartes IGN et registres cadastraux ; on a vu plus simple en terme de prévisibilité. Par une décision en date du 21 octobre 2011 (n°334322), le Conseil d’Etat a enfin fixé une définition jurisprudentielle générale du cours d’eau. Aux deux précités, il ajoute un troisième critère : – L’alimentation de l’écoulement par une source, sous-entendu autre que les précipitations. Il est à noter qu’un amendement au projet de loi sur la biodiversité reprenant cette définition jurisprudentielle a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce nouvel article L. 215-7-1 du code de l’environnement, s’il restait en l’état, prévoirait ainsi que : « Constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. » Ces définitions et ces éléments jurisprudentiels ont en commun de caractériser le cours d’eau au moyen du précieux liquide même si son écoulement n’est pas systématiquement exigé en jurisprudence (). II. Une définition par instruction du 3 juin 2015 ajoutant l’eau virtuelle Il en va tout autrement avec l’instruction ministérielle du 3 juin 2015 relative à la cartographie et l’identification des cours d’eau et à leur entretien, suite notamment à un lobbying intense et légitime de la FNSEA. En premier lieu, cette instruction détaille en profondeur les critères jurisprudentiels. En exergue, il est rappelé que ces critères ont été conçus pour être applicables à l’ensemble du…

La doctrine de l’armée en matière d’éoliennes : du vent ? (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat, gardien de l’Etat de droit, a, dans une décision du 11 décembre 2015, précisé que les changements de doctrine de l’armée ne devaient pas préjudicier aux opérateurs éoliens lorsqu’ils demandaient une prorogation de permis de construire. Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un préfet a délivré à un opérateur éolien un permis de construire pour l’implantation de sept éoliennes et d’un poste de livraison, au vu notamment d’un avis favorable rendu par l’autorité militaire en application de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile. L’opérateur éolien a alors déposé une demande de permis de construire modificatif afin d’augmenter la longueur des pales des sept éoliennes autorisées mais, à la suite d’un avis défavorable de l’autorité militaire, sa demande a été refusée. L’opérateur éolien a également déposé une demande de prorogation du permis de construire, elle aussi rejetée. Ces deux refus ont été contestés devant le tribunal administratif de Rennes. Le tribunal administratif, confirmé ensuite par la Cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03252), a rejeté la requête dirigé contre le refus de prorogation du permis de construire. Le tribunal a, en revanche, fait droit à la demande d’annulation du juillet refus de permis de construire modificatif au motif que le préfet avait porté son appréciation sur l’intégralité du projet et non sur les modifications faisant l’objet du permis de construire modificatif. La Cour administrative d’appel de Nantes a toutefois censuré ce raisonnement dans un autre arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03253) en estimant que la décision par laquelle le préfet s’était prononcé sur le permis de construire modificatif n’avait pas eu pour objet de retirer le permis de construire initial qui demeure. L’opérateur éolien a alors formé deux pourvois en cassation devant le Conseil d’Etat qui s’est prononcé par une seule décision le 11 décembre 2015. Il s’agit de la décision présentement commentée. (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Après s’être prononcé sur le refus de prorogation du permis de construire (I), le Conseil d’Etat a examiné le refus de permis de construire modificatif (II). I. Sur le refus de prorogation du permis de construire Aux termes du premier alinéa de l’article R. 424-21 du code de l’urbanisme alors applicable : ” Le permis de construire, d’aménager ou de démolir ou la décision de non-opposition à une déclaration préalable peut être prorogé pour une année, sur demande de son bénéficiaire si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard. (…) ». Il convenait donc de déterminer si les servitudes administratives avaient évolué sur le terrain d’assiette du site. En vertu de l’article R. 425-9 du code de l’urbanisme: ” Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d’aménager tient lieu de l’autorisation prévue par l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile dès lors que la décision a fait l’objet d’un accord du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre de la défense. ” ; De plus, l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme alors en vigueur (désormais codifié à l’article L. 151-43 du code de l’urbanisme) prévoyait que les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales devaient comporter en annexe les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol et qui figurent sur une liste dressée par décret en Conseil d’Etat. Parmi cette annexe figuraient les « Servitudes établies à l’extérieur des zones de dégagement en application des articles R. 244-1 et D.244-1 à D. 244-4 du code de l’aviation civile ». Il n’est donc pas contestable que les servitudes aéronautiques issues de l’article R.244-1 du code de l’aviation civile sont des servitudes administratives au sens de l’article L. 424-21 du code de l’urbanisme. Or, l’article R.244-1 du code de l’aviation civile complété par un arrêté du 25 juillet 1990 soumet la construction d’éoliennes à autorisation du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre chargé de la défense. Toutefois, en l’espèce, la difficulté résultait dans le fait que si les servitudes aéronautiques n’avaient pas changé, leur appréciation par l’autorité militaire était devenue plus stricte. En effet, une circulaire du 3 mars 2008 créant des lignes directrices, complétée par des études de la défense datant de 2009, conduisait l’autorité militaire à apprécier plus strictement les servitudes issues de l’arrêté du 25 juillet 1990. Celle-ci a donc émis, du fait de cette modification de son appréciation, un avis défavorable sur le projet en cause. La question posée au Conseil d’Etat était donc de savoir si la modification de l’appréciation, par l’autorité militaire, des conditions dans lesquelles une servitude s’appliquait au terrain d’assiette d’un projet éolien devait être considérée comme une modification de la servitude au sens de l’article R.424-21 du code de l’urbanisme. Le Conseil d’Etat répond à cette question en deux temps. Dans un premier temps, il précise que : « l’autorité administrative, saisie d’une demande de prorogation d’un permis de construire par une personne ayant qualité pour présenter une telle demande, ne peut refuser d’y faire droit que si les règles d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres s’imposant au projet ont été modifiées, postérieurement à la délivrance du permis de construire, dans un sens qui lui est défavorable ; qu’elle ne peut fonder un refus de prorogation sur une évolution des autres éléments de droit ou circonstances de fait, postérieure à la délivrance de l’autorisation ». Il avait déjà posé ce principe quelques années auparavant, dans une décision du 5 novembre 2003 (Conseil d’Etat, section, 5 novembre 2003, n°230535, publié au recueil Lebon). Il complète ensuite son analyse en ajoutant que : « la modification, dans un sens plus restrictif, de l’appréciation portée par l’autorité administrative…

Ne constitue pas un trouble “anormal” la perte d’ensoleillement en zone urbaine (Cass, 29 sept.2015)

Par Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat Dans un arrêt en date du 29 septembre 2015 (C.cass, 29 septembre 2015, n°14-16729), la Cour de cassation estime que ne constitue pas un trouble anormal de voisinage la construction de logements dans le voisinage dans la mesure où la perte d’ensoleillement n’excède pas le risque encouru du fait de l’installation en milieu urbain. En l’espèce des particuliers avaient assigné une société qui avait édifié sur une parcelle voisine de leur propriété deux bâtiments de 16 logements en réparation d’un trouble anormal de voisinage qui étaient caractérisé par une perte d’intimité et d’ensoleillement. Ils avaient obtenu partiellement satisfaction en première instance mais la Cour d’appel avait censuré ce jugement au motif qu’une haie végétale permettait de supprimer la perte d’intimité et qu’au surplus il n’y avait pas d’incidence de la construction projetée sur l’ensoleillement. Rappelons que l’article 1382 du Code civil dispose  que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». La théorie des troubles anormaux de voisinage est purement prétorienne. Il s’agit pour un voisin subissant un trouble de voisinage d’engager la responsabilité de l’auteur du trouble. Mais, cette responsabilité est particulière en ce qu’elle est autonome, c’est-à-dire détachée de toute faute de la part du voisin trublion et donc du fondement des articles 1382 et suivants du Code civil (Cass. 1re civ., 18 sept. 2002 ; Cass. 3e civ., 24 sept. 2003). Il suffit à la victime d’un trouble de voisinage de démontrer que celui-ci est « anormal » afin d’obtenir une réparation en nature ou par équivalent. Il revient aux juges du fond d’apprécier souverainement (Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 ; Cass. 2e civ., 19 mars 1997 ) si tel ou tel agissement constitue ou non, en fonction des circonstances de temps et de lieu, un trouble anormal de voisinage. Pour ouvrir droit à réparation, le trouble de voisinage doit présenter un caractère anormal et donc être d’une gravité certaine. Le caractère normal dudit trouble ne peut s’apprécier en fonction de la seule réception des victimes. La victime d’un trouble de voisinage ne peut prétendre à l’immutabilité de ses avantages individuels dans une zone constituée de nombreux immeubles. La réduction d’ensoleillement dans une cuisine, dont la durée varie suivant les saisons constitue un inconvénient normal et prévisible de voisinage en zone urbaine de l’habitat continu (CA Paris, 19e ch. A, 22 avr. 1997 : JurisData n° 1997-020965). Dans l’espèce qui lui est soumise, la Cour de cassation confirme l’appréciation de la cour d’appel et refuse de reconnaître l’existence d’un trouble anormal de voisinage aux motifs que: « qu’ayant relevé que les constructions avaient été réalisées en zone urbaine dans un secteur où la situation existante et son maintien ne faisaient l’objet d’aucune protection particulière, qu’une haie végétale permettrait de diminuer ou de supprimer la perte d’intimité résultant des vues sur une partie du jardin depuis l’un des bâtiments construits, que les constructions édifiées au nord de la parcelle où se trouvent leur mas et leur piscine n’avaient qu’une faible incidence sur leur ensoleillement et que, s’agissant de la parcelle située au Sud-Ouest, rien n’établissait que la luminosité de la maison était affectée dans des proportions excédant le risque nécessairement encouru du fait de l’installation en milieu urbain, la cour d’appel, abstraction faite d’un motif surabondant tenant à la proximité d’un centre commercial, a souverainement retenu que l’existence d’un trouble anormal du voisinage n’était pas établi ». L’arrêt rendu par la Cour de cassation n’est pas sans rappeler la jurisprudence rendue jusqu’à présent, qui confirme que le trouble anormal de voisinage s’apprécie à l’aune de l’environnement dans lequel s’inscrit le trouble supposé : ainsi n’excède pas les inconvénients normaux du voisinage la perte de vue et d’ensoleillement résultant de l’implantation d’un bâtiment dès lors que ces troubles sont la conséquence inévitable de l’urbanisation progressive des communes situées dans les banlieues de grandes villes et particulièrement de Paris, et de la concentration des constructions sur des terrains de dimensions modestes (CA Paris, 19e ch. A, 28 mars 1995 : JurisData n° 1995-020964). De la même manière, il a été jugé que la perte de vue résultant du fait que le nouvel immeuble est plus haut d’un étage que les anciens bâtiments ne constitue pas un trouble, s’agissant d’une élévation modérée qui s’inscrit dans un environnement urbain entrant dans les prévisions raisonnables d’un développement citadin (CA Rouen, 1re ch., 10 janv. 2007 : JurisData n° 2007-334206). Enfin, l’immeuble édifié se trouvant dans une zone suburbaine ayant vocation à évoluer vers des caractéristiques plus urbaines, la perte de vue et d’ensoleillement ne présente pas le caractère d’anormalité nécessaire à la qualification de trouble de voisinage (CA Rouen, 1re ch., 15 nov. 2006 : JurisData n° 2006-323597). L’appréciation du trouble anormal de voisinage en zone urbaine s’apprécie donc très sévèrement par les juridictions civiles. On peut donc que conseiller aux particuliers, victimes de ces troubles en zone urbaine, de : Se constituer des preuves irréfragables quant à l’existence des troubles : constat d’huissier circonstancié et attestations. Justifier auprès de la juridiction la zone précise dans laquelle ils se trouvent au demeurant par le biais d’un relevé cadastral ou d’une carte de zonage afin d’éviter toute interprétation à cet égard par la juridiction, Faire la démonstration que le trouble invoqué (hauteur des habitations par exemple) ne présente pas le caractère de normalité dans le secteur considéré.