Les enjeux environnementaux de l’étude d’impact des parcs éoliens marins

Par Sébastien Bécue – Green Law Avocats Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) est l’autorité environnementale nationale compétente pour délivrer les avis sur l’évaluation environnementale des projets de parcs marins. Durant l’année 2015, les études d’impact de trois parcs ont été scrutés : Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Fécamp. Dans son rapport annuel, le CGEDD a réalisé une synthèse critique des grandes problématiques qu’il a pu identifier lors de ses analyses (pages 17 à 21 du rapport), un document passionnant qui met en lumière les obstacles que la filière va devoir surmonter pour se développer. En premier lieu, le CGEDD rappelle que l’étude doit porter sur : l’ensemble des composantes du parc: fondations et éoliennes, mais aussi ouvrages de connexion jusqu’au poste de transformation électrique situé à terre et le réseau qui doit accueillir la production ; et sur les phases de construction et de maintenance – négligées par les maîtres d’ouvrage selon le CGEDD. En second lieu, le CGEDD présente les trois grands enjeux communs à tous les parcs éoliens, mais ici adaptés au milieu marin : l’enjeu paysager, pour lequel sont citées, dans le cas du projet de Fécamp, les falaises d’Etretat et de la Côte d’Albâtre ; l’enjeu avifaune, le traditionnel risque de collision et de perte d’habitats, mais aussi le potentiel effet « barrière » au déplacement des oiseaux ; l’enjeu faune sous-marine avec les perturbations sonores importantes que devrait engendrer le chantier de battage des pieux de trente mètres servant aux fondations des éoliennes. A côté de ces enjeux majeurs, trois autres sont identifiés : la conservation des sols sous-marins, la qualité des eaux marines et la pêche professionnelle. En troisième lieu, le CGEDD invite l’Etat a donné un plus grand poids, dans la procédure d’appel d’offres, aux mesures d’évitement, de réduction, de compensation et de suivi des impacts proposées par les candidats. En quatrième et dernier lieu, le CGEDD rappelle le rôle de pilote de ces trois projets et analyse les questions méthodologiques qu’ils ont posées. Le milieu marin étant moins bien connu que le milieu terrestre, la qualité des analyses y est pour le moment inférieure. Les maîtres d’ouvrage sont donc encouragés à tenir compte de ces incertitudes en les présentant dans leurs études d’impact et en privilégiant le scénario du pire ; et l’Etat à s’impliquer dans cette recherche d’une meilleure connaissance du milieu marin. Le CGEDD salue le choix du maître d’ouvrage du projet de Saint Nazaire d’avoir étudié de manière approfondie les perceptions visuelles du parc et procédé à une contre-expertise de l’impact paysager du parc. Au contraire, les insuffisances du projet de Fécamp sur ce thème, notamment au regard du site d’Etretat,  sont rappelées. L’insuffisante prise en compte des impacts sur la qualité de l’eau causés par la corrosion des fondations est pointée. Le CGEDD recommande enfin un suivi des impacts de ces parcs pour le futur et encourage l’Etat à mettre en œuvre une évaluation environnementale globale des impacts cumulés des différents parcs dans des documents de planification.  

ENR: publication du décret relatif aux délais de raccordement des installations

Par Sébastien Bécue Green Law Avocats   La loi de transition énergétique a modifié l’article L. 342-3 du code de l’énergie (nous en parlions ici), qui prévoit désormais que le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité doit raccorder les installations de production d’électricité au réseau dans un délai de : 2 mois pour les installations d’une puissance de moins de 3kVa ; et de 18 mois pour celles d’une puissance supérieure.   Le décret n°2016-399 du 1er avril 2016, entré en vigueur le 4 avril 2016, est venu en préciser les modalités aux articles D. 342-4-1 et suivants du code de l’énergie.     Le point de départ du délai de raccordement   Alors que l’article L. 342-3 prévoyait déjà que le délai de 2 mois commence à compter de l’acceptation par le demandeur de la convention de raccordement, rien n’était prévu pour le délai de 18 mois. Les points de départ sont désormais alignés : le délai court à compter de la date de réception par le gestionnaire de réseau de la convention de raccordement signée par le demandeur. Il est également précisé que ce délai ne comprend pas le délai nécessaire à la mise en service de l’installation.     Les causes de suspension du délai   Le délai est suspendu : si le producteur et le gestionnaire de réseau s’accordent sur le fait que la construction des ouvrages à réaliser par le producteur ne peut être effectuée en dix-huit mois ; si le producteur décide de suspendre son projet ; si la réalisation du raccordement fait l’objet de sujétions nouvelles résultant d’une décision de l’autorité administrative. On sait qu’en pratique, ces causes sont assez fréquentes. De même, la formule assez générale sur le fait que la construction des ouvrages “ne peut être effectuée” dans le délai risque de laisser une latitude assez grande au gestionnaire. Les producteurs devront veiller à disposer d’informations précises et circonstanciées sur cette impossibilité.   Les causes d’interruption du délai   Le délai est interrompu, c’est-à-dire qu’il recommence totalement à courir : – S’il apparaît que les travaux nécessaires au raccordement comprennent des ouvrages de haute tension qui imposent l’obtention d’une autorisation administrative ou d’une déclaration d’utilité publique – à compter de la date d’obtention de la plus tardive des autorisations ou à compter de la date à laquelle le pétitionnaire est autorisé à exercer les servitudes ; -Si le gestionnaire de réseau établit par tous moyens l’impossibilité matérielle d’exécuter les travaux, le délai court à compter de la cessation de cette situation – En cas de modification de l’installation de production nécessitant une modification de la convention de raccordement, le délai court à compter de la date de réception, par le gestionnaire de réseau, de la nouvelle convention de raccordement signée par le demandeur. -En cas de recours juridictionnel à l’encontre d’une décision nécessaire à la réalisation des ouvrages de raccordement, le délai court à compter de la date à laquelle le rejet de la requête devient définitif.     La procédure de prorogation du délai   Sur demande du gestionnaire, le préfet de département peut accorder après consultation du producteur, une prorogation du délai lorsque : La taille des installations et leur localisation par rapport au réseau le justifient ; Ou que le retard pris pour le raccordement est imputable à des causes indépendantes de la volonté du gestionnaire de réseau.   Le gestionnaire doit accompagner sa demande motivée de prorogation d’un dossier présentant les travaux et de toute pièce justifiant les raisons précitées. Il est précisé que la prorogation du délai ne fait pas obstacle à sa suspension ou son interruption.     Quelles sanctions en cas de non-respect du délai par le gestionnaire ?   Rappelons que le titre de la section du code où sont placées ces dispositions est « indemnités en cas de retard de raccordement d’une installation de production d’énergie renouvelable ». Les indemnités dues par le gestionnaire en cas de dépassement du délai de deux mois prévu pour les installations de moins de 3kVa sont fixées depuis 2012 : 50 euros pour le dépassement puis 50 euros par mois supplémentaire. L’article L. 342-3 prévoit qu’un décret doit fixer les modalités d’indemnisation aussi pour les installations de plus de 3kVa.   Si le gouvernement recherche l’accélération du raccordement des installations, il serait probablement souhaitable qu’il encourage les diligences du gestionnaire en fixant des indemnités de retard plus conséquentes, nonobstant les recours en responsabilité qui peuvent toujours être intentés en parallèle.

Contentieux des autorisations d’urbanisme : le pétitionnaire tétanise les requérants !

Par David DEHARBE (Green Law avocat)   Le droit ne s’use que si l’on ne s’en sert part. Cet adage que le Blog de Green a longtemps affiché  nous rappelle que multiplier à outrance les obstacles à l’exercice du droit au recours pourrait bien tétaniser les requérants. Imaginez un peu : le riverain attaque le permis de son voisin et se retrouve condamné à lui payer 82. 700 euros de dommages-et-intérêts ! C’est exactement ce que vient de décider le Tribunal administratif de Lyon (Jugement du Tribunal administratif de Lyon, du 17 novembre 2015, n°1303301), son jugement ayant été pour le moins remarqué (cf. JLE 31.03.16 mais aussi le Moniteur.fr 21.03016). L’on sait qu’aux termes de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. (…) ». Le Tribunal administratif de Lyon considère ces dispositions comme étant d’applicabilité directes : « ces dispositions, qui instituent des règles de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme, sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée ». Cette solution rejette implicitement l’idée que les dispositions de l’article L600-7 du code de l’urbanisme « affecte[nt] la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative » (C.E., 11 juillet 2008, n°313386). Pourtant il a été jugé que les dispositions nouvelles des articles L. 600-1-2  du code de l’urbanisme et de l’article L. 600-1-3 du même code affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative. Elles sont dès lors, en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux seuls recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur (CE , avis, 18 juin 2014, SCI Mounou et a., n° 376113: Lebon; AJDA 2014. 1292; D. 2014. 1378; JCP 2014. 950, note Eveillard; AJCT 2014. 564, obs. Mehl-Schouder –  CE 8 juill. 2015, SARL Pompes Funèbres Lexoviennes, no 385043: Lebon T.; AJDA 2015. 2355). Il est vrai qu’avec l’article L600-7 du code de l’urbanisme le requérant est seulement exposé à une action reconventionnelle, au demeurant déjà ouverte par un recours direct  du pétitionnaire devant le juge civil ; le REP pour être exposé à un risque n’est pas directement affecté dans sa substance même, comme il en va par exemple d’une restriction de l’intérêt à agir du requérant (sur ce point la jurisprudence demeure nuancée précitée) ; admettons. Le jugement est encore riche d’enseignements sur les conditions d’une réussite de l’action indemnitaire et reconventionnelle, répliquant au recours abusif contre le permis de construire. D’abord s’agissant d’un recours qui excède la défense des intérêts légitimes du requérant, le jugement relève que la requête prend fait et cause pour la défense d’un chalet séparé du projet par un terrain nu et ne peut se réclamer d’une perte d’intimité ni d’ailleurs de l’exposition à un quelconque risque ;  cela fait douter le Tribunal de l’intérêt à agir des deux seuls requérants recevables qui d’ailleurs n’en justifieront que tardivement pendant l’instance, ayant très tôt suscité une fin de non-recevoir à ce sujet. Mais surtout le Tribunal relève que la requête comporte des moyens inopérants ou non fondés et s’inscrit dans un « conflit politique » ayant suscité une publicité excessive du recours et la mise en cause des fonctions d’élu d’un des défendeurs. Quant au préjudice réparé, il est apprécié par le Tribunal comme étant essentiellement constitué par la perte de la somme de 60 000 euros au titre des pertes de revenus locatifs imputables au recours abusif. De même le portage financier du projet sur fond privé ouvre ici droit à 15 000€ de réparation. Remarquons que le préjudice moral ou d’angoisse n’est pas indemnisé dès lors que le Tribunal relève qu’il s’inscrit dans le contexte du conflit politique du recours. Gageons que ce jugement fera date en ne laissant aucune partie indifférente : il tétanise le requérant et stimule le pétitionnaire pour se défendre au moyen d’une demande indemnitaire reconventionnelle !

Nucléaire : une installation nucléaire de base (INB) peut fonctionner jusqu’à l’intervention d’un décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 22 février 2016, n°373516, mentionné aux tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Dans une décision du 22 février 2016, le Conseil d’Etat s’est prononcé, à la demande de nos voisins helvètes, sur plusieurs actes administratifs concernant la centrale électronucléaire de Bugey exploitée par Electricité de France (EDF). Les requêtes, jointes par le Conseil d’Etat, tendaient à demander l’annulation de plusieurs décisions de l’autorité administratives et, plus précisément, à demander : l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendu lors d’un réexamen de la sûreté du site électronucléaire de Bugey ; l’annulation des prescriptions techniques nouvelles prises à l’issue du troisième réexamen de sûreté de la centrale ; l’annulation des décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale nucléaire pour dix ans résultant de l’éduction de ces prescriptions techniques nouvelles. Après avoir déclaré irrecevables les conclusions portant sur les décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale pour dix ans (I), à l’instar de celles sur l’avis de l’ASN (II), le Conseil d’Etat a refusé d’annuler les prescriptions techniques nouvelles imposées à la centrale (III). L’absence de décision de poursuite de l’exploitation pour dix ans La République et Canton de Genève soutenait que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’ASN, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a commencé par exposer les dispositions applicables aux INB. Il a notamment a rappelé que la création d’une INB était soumise à autorisation (article L. 593-7 du code de l’environnement). Il a également précisé qu’un réexamen par l’exploitant de la sûreté de son installation était prévu tous les dix ans (article L. 593-18 du code de l’environnement). Le Conseil d’Etat a ensuite présenté la procédure suivie à l’issue de ce réexamen de sûreté : l’exploitant adresse à l’ASN et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport rendant compte de cet examen de sûreté ainsi que les dispositions envisagées pour remédier aux anomalies constatées ou améliorer la sûreté de l’installation. L’ASN, au vu de ce rapport, peut imposer de nouvelles prescriptions techniques et communique au ministre chargé de la sûreté son analyse du rapport (article L. 593-19 du code de l’environnement). La Haute juridiction était donc invitée à se prononcer sur la durée de vie des autorisations d’exploiter une INB et sur l’éventuel renouvellement de cette durée de vie à chaque contrôle périodique de sûreté. Au regard des textes précités, le Conseil d’Etat a estimé « qu’aussi longtemps qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, après la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 593-25 du code de l’environnement, une installation nucléaire de base est autorisée à fonctionner, dans des conditions de sûreté auxquelles il appartient à l’Autorité de sûreté nucléaire de veiller en vertu de l’article L. 592-1 du même code ». Il en a déduit que « par suite, la République et Canton de Genève n’est pas fondée à soutenir que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’Autorité de sûreté nucléaire, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituerait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires ; qu’ainsi, les conclusions de la requête tendant à l’annulation des décisions ” implicites ou révélées ” de l’Autorité de sûreté nucléaire et du ministre chargé de la sûreté nucléaire autorisant de nouveau, pour dix ans, l’exploitation de la centrale nucléaire du Bugey sont irrecevables ; ». Le Conseil d’Etat considère donc qu’il n’existe pas de durée de vie des INB et que celles-ci peuvent fonctionner tant qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, dans des conditions de sûreté auxquelles l’ASN doit veiller. Plus encore, il précise que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques à la suite d’un réexamen de sûreté de l’installation ne constitue pas une décision autorisant l’exploitation de la centrale pour dix nouvelles années. Il écarte donc comme irrecevable les conclusions tendant à l’annulation de décisions autorisant l’exploitation de la centrale pour dix ans.   L’avis de l’ASN, un acte non susceptible de recours   La République et Canton demandait également l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire rendu après le troisième réexamen de sûreté du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey. Rappelons qu’aux termes de l’article L. 593-19 du code de l’environnement dans sa version alors en vigueur : « L’exploitant adresse à l’Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l’examen prévu à l’article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu’il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la sûreté de son installation. / Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport. (…) »   Le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le statut des analyses de l’ASN.   Le Conseil d’Etat a considéré que « l’analyse par l’Autorité de sûreté nucléaire du rapport de réexamen de sûreté adressée au ministre chargé de la sûreté nucléaire constitue un simple avis qui ne présente pas le caractère d’une décision faisant grief ; qu’ainsi, les conclusions tendant à l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire du 10 juillet 2012 sur la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey après son troisième réexamen de sûreté ne peuvent qu’être rejetées comme irrecevables ; ».   Le Conseil d’Etat estime donc que l’avis de l’ASN ne constitue qu’un simple avis ne faisant pas grief et qu’il est, dès lors, insusceptible de recours.   On peut toutefois se demander si cette position du Conseil d’Etat sera maintenue eu égard à la nouvelle rédaction de l’article L. 593-19 du code de l’environnement. La nouvelle rédaction de cet article précise que « Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre…

Haro sur l’intérêt à agir « urbanistique » ! (CE, 10 février 2016, n°387507)

Par Sébastien BECUE Green Law Avocats Un intéressant arrêt du Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif à l’intérêt à agir en matière d’urbanisme depuis la dernière réforme en la matière (CE 10 février 2016 Contexte de nouvelles exigences en matière d’intérêt à agir en urbanisme Classiquement, le juge administratif considérait que l’intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire repose sur la démonstration par le requérant de sa qualité de voisin de la construction projetée. Par une ordonnance en date du 18 juillet 2013, au nom du principe de sécurité juridique et afin de relancer le secteur de la construction, le gouvernement a choisi de restreindre les facultés de remise en cause des constructions autorisées par l’adoption d’un nouvel article L. 600-1-2 au sein du code de l’urbanisme. Désormais, le requérant ne doit plus simplement être voisin de la construction, il doit être un « voisin affecté » par la construction, c’est-à-dire que la construction dont il entend contester le permis doit être de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son propre bien. Restait à savoir comment le juge administratif allait appréhender cette irruption gouvernementale dans son domaine. Par une récente décision (CE, 10 juin 2015, n°386121, que nous commentions ici), le Conseil d’Etat décidait de donner une pleine portée à la nouvelle disposition en exigeant du requérant qu’il prouve l’atteinte directe à ses conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance. Selon les termes des juges, le requérant doit désormais faire « état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que [l’atteinte dont il se prévaut] est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le Conseil prenait tout de même soin de préciser que le juge devait toutefois se garder « pour autant [d’] exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ». Cette limitation, bienvenue parce qu’expresse, à l’exigence probatoire était néanmoins logique : la construction autorisée n’étant pas encore réalisée, les nuisances qui en résulteront ne peuvent pas, par essence, être établies avec certitude et il s’agissait d’une construction non précédée d’une étude d’impact qui aurait permis au requérant d’y puiser des preuves.   Mais on doit encore s’interroger sur le curseur à appliquer dans l’exigence probatoire : c’est-à-dire, d’un point de vue pratique, de quel niveau de précision doivent disposer les preuves ?         Illustration de la nouvelle exigence probatoire La décision ici commentée ne répond que partiellement à cette question (CE, 10 février 2016, n°387507).   La construction projetée en l’espèce est un immeuble collectif de deux étages qui doit être situé sur une parcelle voisine de celle accueillant les maisons dont les requérants sont propriétaires.   Dans leur requête, les requérants produisent des documents qu’ils disent destinés à établir leur qualité de «  propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses » : un premier plan cadastral établissant la mitoyenneté des parcelles et un second plan démontrant la co-visibilité du projet.   La seule référence à une éventuelle « atteinte directe » est une mention sur l’un des plans indiquant à un endroit : « façade sud fortement vitrée qui créera des vues ».   Constatant que les requérants n’invoquent pas leur qualité de « voisins affectés », le président du tribunal administratif fait usage des pouvoirs qu’il détient en vertu de l’article  R. 222-1 du code de justice administrative en les invitant à régulariser leur requête.   Les précisions demandées n’ayant pas été fournies, le président du tribunal administratif rejette, sur le fondement du même article, la requête par ordonnance, c’est-à-dire sans audience publique et sans examen du fond de l’affaire, comme étant manifestement irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.   Appelé à statuer en cassation, le Conseil d’Etat commence par rappeler le principe de la décision du 10 juin 2015 susmentionnée, puis la reformule en énonçant que « les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux ».   Ensuite, il se livre à une nouvelle appréciation des documents apportés par les requérants pour établir leur intérêt à agir et conclue de la même manière que le tribunal administratif : les requérants ont commis deux erreurs. D’une part, ils n’ont pas invoqué l’atteinte qui leur ouvrirait l’intérêt à agir. D’autre part, ils ne l’ont pas démontrée. Il n’est pas évident de savoir si la position du Conseil aurait été la même si les requérants n’avait commis que l’une de ces erreurs, peut-être   Enfin, il valide le rejet par ordonnance de la requête comme que n’étant contraire à « aucun principe ».   Il est donc confirmé de manière claire que les requérants doivent désormais :   –          invoquer expressément leur qualité de voisin affecté par la future construction ; –          produire des pièces établissant clairement cette atteinte.   Du côté des défendeurs, lorsque les requérants ont manifestement défini leur intérêt à agir de manière insuffisante, il est possible de demander au président du tribunal de rejeter leur requête pour défaut manifeste d’intérêt à agir.   On regrette néanmoins l’incertitude qui persiste quant à la nature des pièces à même de démontrer une telle atteinte. Concrètement, le juge attend-il un avis d’expert après visite du site ? Cela serait fâcheux. Comme dit précédemment, la construction n’étant pas réalisée, les nuisances ne peuvent par essence pas être prouvées avec certitude. Pour autant que le dossier de demande de permis soit succinct, les voisins auront des difficultés à alimenter leur démonstration. Surtout, cela pourrait constituer un obstacle financier important pour les requérants aux moyens limités.   ***   Par ailleurs, sur un autre thème, le Conseil d’Etat confirme dans cette même décision la légalité de l’article R. 811-1-1 du code de la justice administrative (il l’avait déjà fait dans une première décision, au regard d’autres moyens : CE, 23 déc. 2014, n°373469).   Rappelons que cette disposition, créée par un décret n°2013-879…