Urbanisme: une piscine constitue-t-elle l’extension d’une construction existante ? (CE, 15 avril 2016, n°389045)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats) A l’approche des vacances d’été, une question fondamentale se pose : comment qualifier juridiquement une piscine découverte ? Le Conseil d’Etat a heureusement anticipé ce débat en tranchant la question de savoir si une piscine devait être regardée comme « l’extension » d’une construction d’habitation existante. (CE, 6ème / 1ère SSR , 15 avril 2016, n°389045, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) Dans cette affaire, un maire avait accordé un permis de construire et un permis modificatif en vue de réaliser une extension d’une habitation existante située en zone NC et de créer un cellier, un abri extérieur ainsi qu’une piscine, implantée à 4,5 mètres de l’habitation et intégrée à une terrasse dallée contigüe à l’habitation. La zone NC était, selon l’article R. 123-18 du code de l’urbanisme alors en vigueur, une zone de richesses naturelles, à protéger en raison notamment de la valeur agricole des terres ou de la richesse du sol ou du sous-sol. L’article NC1 du règlement du plan d’occupation des sols applicable sur le territoire de la commune interdisait en zone NC toutes les constructions qui n’étaient pas directement liées aux activités agricoles. Par exception à cette règle, l’article NC 2 du même règlement autorisait dans cette zone la restauration et l’extension des constructions existantes en vue de l’habitat, à condition que leur surface hors œuvre brute existante soit supérieure ou égale à 70 m2 et que ces bâtiments soient clos et couverts. Le Préfet de Vaucluse a déféré au tribunal administratif de Nîmes le permis de construire délivré pour la réalisation d’une « extension d’une habitation existante, piscine ». Il estimait en effet qu’une piscine découverte ne pouvait, au regard de l’article NC2 du règlement du plan d’occupation des sols, être autorisée. Par un jugement du 18 octobre 2013, le tribunal administratif de Nîmes a annulé le permis de construire en tant qu’il autorisait la construction de la piscine. Par un arrêt du 22 janvier 2015, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif de Nîmes en tant qu’il avait annulé partiellement le permis de construire et a rejeté les conclusions du déféré du préfet de Vaucluse auxquelles le tribunal administratif avait fait droit. Elle a considéré qu’ « en vertu de l’article 2 du règlement de la zone NC du plan d’occupation des sols de L. l’extension des habitations existantes est autorisée ; que contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, la piscine et le dallage projetés, qui sont implantés dans la continuité de l’habitation existante avec laquelle elles forment une même unité architecturale, constituent une extension de cette habitation au sens et pour l’application de ces prescriptions » (CAA Marseille, 22 janvier 2015, n°13MA05164) Le ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité a saisi d’un pourvoi le Conseil d’État afin de lui demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille. Le Conseil d’Etat devait donc se prononcer sur le statut juridique des piscines découvertes afin de déterminer si elles pouvaient être incluses parmi les « extensions d’habitation existante » autorisées en zone NC du plan d’occupation des sols. Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat a considéré que « sous réserve de dispositions contraires du document d’urbanisme applicable, une piscine découverte peut être regardée, eu égard à sa destination, comme une extension d’une construction d’habitation existante si elle est située à proximité immédiate de celle-ci et forme avec elle un même ensemble architectural ». Il admet donc qu’une piscine découverte soit regardée comme l’extension d’une habitation à trois conditions : elle doit être située à proximité immédiate de la construction à usage d’habitation existante ; elle doit former avec elle un même ensemble architectural ; le règlement du document d’urbanisme ne doit pas en disposer autrement. En l’espèce, la Haute Juridiction confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel en considérant qu’en jugeant que la piscine et le dallage qui l’entoure, qui sont implantés dans la continuité de l’habitation existante constituaient une extension de cette dernière, la Cour n’avait pas entaché son arrêt d’une erreur de droit et qu’elle avait porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, exempte de dénaturation. Il pourrait toutefois exister un débat sur le fait que cette extension soit « en vue de l’habitat » comme l’exigeait l’article NC2 du plan d’occupation des sols. Dans cette décision, le Conseil d’Etat vient préciser les critères qu’il avait posés en 2005 lorsqu’il avait jugé que « l‘édification d’une piscine découverte, construction qui n’est pas un bâtiment et pour laquelle le code de l’urbanisme prévoit une exemption de permis de construire, est toutefois soumise au respect des règles d’urbanisme relatives à l’occupation et à l’utilisation des sols ; que si […] l’article NC 1 du plan d’occupation des sols de la commune […], qui énumère limitativement les occupations et utilisations des sols admises en zone naturelle réservée à l’activité agricole, autorise, dans certaines limites, l’extension des constructions d’habitation principale existantes à la date de la publication du plan d’occupation des sols, la construction d’une piscine découverte, qui n’est pas attenante à un bâtiment à usage d’habitation existant, ne saurait être regardée, au sens de ces dispositions, comme constituant une extension de celui-ci ». (Conseil d’Etat, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 9 mai 2005, n°262618, mentionné aux tables du recueil Lebon) Pour qu’une piscine découverte soit considérée comme l’extension d’une habitation, étaient alors exigées, d’une part, l’absence de règles contraires et, d’autre part, la proximité de la piscine avec la construction à usage d’habitation était alors prises en compte. Désormais, une unité architecturale est également requise. Les critères posés par le Conseil d’Etat pour qualifier une piscine d’extension d’une construction d’habitation existante nous semblent pertinents. La piscine est souvent considérée comme étant un équipement de la maison d’habitation (au même titre qu’un garage ou une véranda) lorsqu’elle est située à proximité de la maison avec laquelle elle forme un ensemble architectural. En outre, l’absence de règle contraire est également importante pour ne pas méconnaître l’intention des auteurs du document d’urbanisme et pour protéger les espaces concernés. A toutes fins utiles, il convient…

Nuisance: la subtile appréciation de la Cour de cassation au sujet des bruits d’activités et des bruits de comportement !

Par Aurélien BOUDEWEEL – GREEN LAW AVOCATS Dans un arrêt en date du 8 mars 2016 (C.cass, Chambre criminelle 8 mars 2016, n°15-85503), la Cour de cassation souligne que les bruits générés par la clientèle d’un  établissement de restauration constituaient des bruits de comportements et non des bruits rattachables à l’activité professionnelle du restaurateur. Cela n’est pas sans incidence sur les possibilités de recours afin de faire cesser ce genre de nuisances. En l’espèce, un restaurateur était poursuivi par-devant la juridiction de proximité de FREJUS sur le fondement des articles R1334-1, R1334-32 et R1337-10 du Code de la santé publique consécutivement à la plainte de riverains. Ces plaintes avaient pour objet un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix. Par un jugement en date du 28 avril 2015, la juridiction de proximité avait débouté les riverains au motif que l’article R1334-1 du Code de santé publique n’était pas applicable aux établissements exerçant une activité professionnelle. Au demeurant, la juridiction justifie la relaxe du restaurateur compte-tenu de l’absence de mesure acoustique permettant de caractériser l’atteinte à la tranquillité du voisinage. Rappelons que l’article R.1337-7 du Code de la santé publique dispose : « Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d’être à l’origine d’un bruit particulier, autre que ceux relevant de l’article R. 1337-6, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme dans les conditions prévues à l’article R. 1334-31 ». Pour rappel, l’article R.1337-6 du Code de la santé publique prévoit : « Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe : 1° Le fait, lors d’une activité professionnelle ou d’une activité culturelle, sportive ou de loisir organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d’exercice relatives au bruit n’ont pas été fixées par les autorités compétentes, d’être à l’origine d’un bruit de voisinage dépassant les valeurs limites de l’émergence globale ou de l’émergence spectrale conformément à l’article R. 1334-32 ; 2° Le fait, lors d’une activité professionnelle ou d’une activité culturelle, sportive ou de loisir organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, dont les conditions d’exercice relatives au bruit ont été fixées par les autorités compétentes, de ne pas respecter ces conditions ; 3° Le fait, à l’occasion de travaux prévus à l’article R. 1334-36, de ne pas respecter les conditions de leur réalisation ou d’utilisation des matériels et équipements fixées par les autorités compétentes, de ne pas prendre les précautions appropriées pour limiter le bruit ou d’adopter un comportement anormalement bruyant ». S’agissant de la démonstration du trouble visé à l’article R.1337-6 du Code de la santé publique, l’article R1334-32 du Code de la santé publique dispose que : « Lorsque le bruit mentionné à l’article R. 1334-31 a pour origine une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R. 1334-36 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d’exercice relatives au bruit n’ont pas été fixées par les autorités compétentes, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R. 1334-33, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article (…) ». Dans l’espèce qui lui est soumise, la Cour de cassation casse le jugement rendu par la juridiction de proximité aux motifs suivants : «Vu les articles R.1337-7 et R.1334-31 du code de la santé publique ; Attendu qu’il résulte du premier de ces textes qu’est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d’être à l’origine d’un bruit particulier, autre que ceux résultant d’une activité professionnelle, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme ; que, selon le second de ces textes, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ; Attendu que, pour relaxer la société X, le jugement attaqué retient que la prévenue, exploitante d’un restaurant à Saint-Tropez, est poursuivie sur le fondement des articles R. 1337-10, R. 1334-31 et 32 du code de la santé publique, que l’article R. 1334-31 n’est pas applicable aux établissements exerçant une activité professionnelle, que l’article R. 1334-32 du même code dispose que l’atteinte à la tranquillité du voisinage est caractérisée si le bruit est supérieur à certaines valeurs, et qu’aucune mesure acoustique n’a été effectuée ; Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la prévenue était poursuivie pour un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix constituant non pas des bruits d’activités, mais des bruits de comportement relevant de l’article R. 1337-7 du code de la santé publique visé à la prévention, et ne nécessitant pas la réalisation de mesure acoustique, la juridiction de proximité a méconnu les textes susvisés ; D’où il suit que la cassation est encourue». L’arrêt rendu par la Cour de cassation est très intéressant en ce qu’il se démarque de la jurisprudence particulièrement foisonnante reconnaissant que les nuisances sonores ne sont répréhensibles que lorsque des mesures précises, effectuées avec un sonomètre, démontrent qu’elles ont dépassé en intensité et en durée les normes admises (CA Aix-en-Provence, 7e ch., 28 oct. 1991 : Juris-Data n° 1991-050150 ; CA Agen, ch. appels corr., 22 mars 1999 : Juris-Data n° 1999-042454). Par une appréciation novatrice mais de bon sens, la Cour de cassation censure le jugement de la juridiction de proximité estimant que les nuisances qui étaient reprochées en l’espèce soit « un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix » ne relevaient pas de la catégorie de bruits d’activités mais des bruits de comportements. De fait, l’infraction n’avait pas selon la Haute…

LGV : le Conseil d’Etat a tiré le signal d’alarme (CE, 15 avril 2016, n°387475 et a.)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) La ligne à grande vitesse (LGV) « Poitiers-Limoges » s’est arrêtée net avant de prendre trop de vitesse. Par un décret n° 2015-18 du 10 janvier 2015 (consultable ici), les travaux nécessaires à la réalisation de la LGV « Poitiers-Limoges » entre Iteuil (Vienne) et Le Palais-sur-Vienne (Haute-Vienne) avaient été déclarés urgents et d’utilité publique. La déclaration d’utilité publique est l’acte permettant, à terme, de procéder aux expropriations nécessaires à la réalisation du projet. Il s’agit donc d’un acte fondamental lors de l’élaboration d’un projet. Ce même décret emportait mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes d’Aslonnes, Civaux, Dienné, Fleuré, Gizay, Iteuil, Lhommaizé, Lussac-les-Châteaux, Mazerolles, Roches-Prémarie-Andillé, Vernon, La Villedieu-du-Clain et Vivonne dans le département de la Vienne et des communes de Bellac, Chamborêt, Chaptelat, Limoges, Nieul, Le Palais-sur-Vienne, Peyrilhac et Saint-Jouvent dans le département de la Haute-Vienne. De nombreux requérants ont demandé l’annulation de ce décret au Conseil d’Etat. Dans une décision du 15 avril 2016 (CE, 6e et 1ère SSR, 15 avril 2016, n°387475, 388441, 388591, 388628, 388629, 388656, 390519, 391332), le Conseil d’Etat a annulé ce décret. Après s’être prononcé sur plusieurs fins de non-recevoir et sur la régularité des interventions, le Conseil d’Etat a retenu deux motifs d’illégalité : un motif de légalité externe (I) et un motif de légalité interne (II). Sur la légalité externe Les grands projets d’infrastructures de transport doivent contenir une évaluation économique et sociale destinée, notamment, à informer le public. Ainsi, aux termes de l’article L. 1511-1 du code des transports : « Les choix relatifs aux infrastructures, aux équipements et aux matériels de transport dont la réalisation repose, en totalité ou en partie, sur un financement public sont fondés sur l’efficacité économique et sociale de l’opération. […] ». L’article L. 1511-2 du même code prévoit que « Les grands projets d’infrastructures et les grands choix technologiques sont évalués sur la base de critères homogènes intégrant les impacts des effets externes des transports sur, notamment, l’environnement, la sécurité et la santé et permettant des comparaisons à l’intérieur d’un même mode de transport ainsi qu’entre les modes ou les combinaisons de modes de transport. ». Cette évaluation économique et sociale est jointe au dossier soumis à enquête publique, en vertu de l’article L. 1511-4 du même code. L’article 4 du décret du 17 juillet 1984 relatif à l’application de l’article 14 de la loi du 30 décembre 1982 relative aux grands projets d’infrastructures, aux grands choix technologiques et aux schémas directeurs d’infrastructures en matière de transports intérieurs, alors en vigueur, définissait son contenu : « L’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte : (…) / 2° Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; (…) / L’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers. Ce bilan comporte l’estimation d’un taux de rentabilité pour la collectivité calculée selon les usages des travaux de planification. Il tient compte des prévisions à court et à long terme qui sont faites, au niveau national ou international, dans les domaines qui touchent aux transports, ainsi que des éléments qui ne sont pas inclus dans le coût du transport, tels que la sécurité des personnes, l’utilisation rationnelle de l’énergie, le développement économique et l’aménagement des espaces urbain et rural. Il est établi sur la base de grandeurs physiques et monétaires ; ces grandeurs peuvent ou non faire l’objet de comptes séparés (…) »   En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que le « dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique du projet de ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges se borne, dans son analyse des conditions de financement du projet, à présenter les différentes modalités de financement habituellement mises en œuvre pour ce type d’infrastructures et les différents types d’acteurs susceptibles d’y participer ; qu’il ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet ». Il estime, par conséquent, que cette évaluation économique et sociale est insuffisante. Toutefois, il existe un principe selon lequel « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. A défaut d’avoir examiné concrètement les effets du vice de procédure, le juge commet une erreur de droit (Conseil d’Etat, 30 janvier 2013, n°347347). Il doit donc expressément rechercher si le vice de procédure allégué a effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète de la population ou avait une influence sur la décision prise (Conseil d’Etat, 10 juin 2015, n°371566). En matière d’études socioéconomiques établies pour des infrastructures de transport, il a déjà été jugé que certaines insuffisances pouvaient être régularisées (CAA Bordeaux, 21 juillet 2015, n°14BX03468 et n°14BX03454, deux arrêts). En l’espèce, telle n’est toutefois pas l’analyse du Conseil d’Etat. Au contraire, il considère « qu’eu égard notamment au coût de construction, évalué à 1,6 milliards d’euros en valeur actualisée 2011, l’insuffisance dont se trouve ainsi entachée…

L’absence de recours direct contre les dispenses d’évaluation environnementale (CE, 6 avril 2016, n°395916)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat vient de dire pour droit que si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité environnementale décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 06 avril 2016, n°395916, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document.  Rappel du contexte L’article L. 113-1 du code de justice administrative autorise les juridictions du fond à sursoir à statuer en attendant l’avis du Conseil d’Etat sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Le tribunal administratif de Melun a, par un jugement n° 1307386 du 17 décembre 2015, utilisé cette procédure car il rencontrait une difficulté sérieuse en matière de dispense d’évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une décision du 22 mai 2013, le préfet de Seine-et-Marne a dispensé d’évaluation environnementale l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques autour de plusieurs établissements. Un individu a demandé, par la voie du recours en excès de pouvoir, l’annulation de cette décision. Avant de se prononcer sur le fond du litige, le tribunal administratif devait, au préalable, déterminer si ce recours était recevable au regard de la nature de l’acte contesté. Il s’est toutefois retrouvé confronté à une difficulté juridique. Rappelons qu’aux termes du I de l’article L. 122-4 du code de l’environnement, font l’objet d’une évaluation environnementale « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d’aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projet ». Le IV du même article prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat définit les plans, schémas, programmes et documents qui font l’objet d’une évaluation environnementale « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ». Ca décret a bien été édicté. Désormais, le 2° du tableau du II de l’article R. 122-17 du même code prévoit qu’est susceptible de  « faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas » un « Plan de prévention des risques technologiques prévu par l’article L. 515-15 du code de l’environnement ». Il est donc indéniable qu’un plan de prévention des risques technologiques est susceptible de faire l’objet d’une évaluation environnementale s’il en est décidé ainsi après un examen au cas par cas. En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions imposant la réalisation d’une évaluation environnementale, il convient de constater que cette décision est susceptible de recours contentieux lorsque celui-ci est précédé d’un recours administratif préalable devant l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement qui a pris la décision (article R. 122-18, IV du code de l’environnement), c’est-à-dire, en principe, devant le Préfet de département (article R. 122-17 II, 2° du code de l’environnement). Le code de l’environnement reste, en revanche, muet concernant les éventuels recours contre les décisions de dispense d’évaluation environnementale. C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a transmis Conseil d’Etat la question suivante : « La décision par laquelle l’autorité administrative compétente en matière d’environnement décide, à l’issue de la procédure d’examen au cas par cas prévue par les dispositions de l’article R. 122-18 du code de l’environnement, de dispenser la personne publique responsable de l’élaboration du plan, schéma ou programme de réaliser une évaluation environnementale présente-t-elle un caractère décisoire permettant aux tiers de former à son encontre un recours contentieux direct. » Cette question implique, en réalité, de répondre à deux sous-questions : Quelle est la nature juridique d’une dispense d’évaluation environnementale ? La dispense environnementale peut-elle être contestée directement par les tiers par la voie du recours en excès de pouvoir ? Au regard de ces différents textes et du silence du code de l’environnement concernant les dispenses d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas, le Conseil d’Etat a considéré que : «  Si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement précité, un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement. Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu’aux règles particulières prévues au IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement pour contester la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document. » Le Conseil d’Etat raisonne donc en plusieurs temps. En premier lieu, il rappelle que la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir si elle est précédée d’un recours administratif préalable. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien concernant les dispenses d’évaluation environnementale, celles-ci n’étant pas visées à l’article R. 122-18 du code de l’environnement. En troisième lieu, il se prononce sur la nature juridique de la dispense d’évaluation environnementale. La dispense d’évaluation environnementale constitue, pour le…

Urbanisme/ICPE : l’obligation de vérifier les règles de distances d’éloignement ICPE pour l’autorité d’urbanisme est elle une nouvelle atteinte au principe d’indépendance des législations? (CE, 24 février 2016, n°380556)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat pourrait, une nouvelle fois, avoir porté atteinte au principe d’indépendance des législations entre l’urbanisme et le droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), en jugeant qu’il appartient à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu’en soit la nature. En effet, dans une décision mentionnée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a précisé que les règles de distance imposées lors de l’implantation d’un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux ICPE étaient applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité de ce bâtiment. L’autorité devant délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation doit donc désormais vérifier si les règles d’implantation sont bien respectées lors de l’instruction de la demande de permis de construire (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 24 février 2016, n°380556, Mentionné dans les tables du recueil Lebon). Dans cette affaire, une autorisation d’urbanisme fut délivrée par le Préfet pour la construction d’une maison individuelle, située à moins de cent mètres d’une exploitation agricole soumise au régime des ICPE. Un jugement du tribunal administratif de Strasbourg a annulé le permis de construire mais il a été infirmé par la Cour administrative d’appel de Nancy dans un arrêt du 24 mars 2014 (Cour Administrative d’Appel de Nancy, 24 mars 2014, n°13NC01531). L’exploitant agricole a, en conséquence, formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Etait en cause l’interprétation des dispositions de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime aux termes desquelles : ” Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l’implantation ou l’extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d’éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l’exception des extensions de constructions existantes (…) “. Etait également invoqué l’article 2.1.1 de l’annexe I de l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire, notamment, les élevages de bovins soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement : ” Les bâtiments d’élevage et leurs annexes sont implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers (…) “. La Cour administrative d’appel de Nancy, dans son arrêt, avait jugé que l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 avait «  été pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, en particulier des articles L. 511-1 et L. 512-10 du code de l’environnement ; que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, la vérification du respect des prescriptions contenues dans cet arrêté ne s’impose pas à l’autorité délivrant des autorisations d’urbanisme » (Cour Administrative d’Appel de Nancy, 24 mars 2014, n°13NC01531). En vertu du principe d’indépendance des législations, elle avait donc refusé de tenir compte des règles de distance applicables au regard de la législation ICPE lors de l’instruction du permis de construire. A l’inverse, le Conseil d’Etat a considéré dans sa décision du 24 février 2016 qu’ « il résulte de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime que les règles de distance imposées, par rapport notamment aux habitations existantes, à l’implantation d’un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement sont également applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité d’un tel bâtiment agricole ; qu’il appartient ainsi à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu’en soit la nature ». Il en déduit alors que la Cour administrative d’appel de Nancy avait commis une erreur de droit en jugeant la vérification du respect des dispositions de l’arrêté du 7 février 2005 citées au point 2, dès lors qu’elles relevaient de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, ne s’imposait pas au préfet du Haut-Rhin pour la délivrance du permis de construire en litige. Cette décision constitue un revirement dans la jurisprudence du Conseil d’Etat. En effet, jusqu’à présent, la Haute Juridiction estimait que «  la vérification du respect des prescriptions contenues dans les arrêtés préfectoraux pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement ne s’impose pas à l’autorité délivrant des permis de construire, même lorsque ces prescriptions comportent des règles relatives à l’implantation de certaines constructions ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de règles de distance fixées par un arrêté du préfet de la Haute-Saône du 3 août 1995, pris pour l’application des dispositions de l’article 10 de la loi du 19 juillet 1976 et fixant les prescriptions générales applicables aux élevages soumis à déclaration et relevant de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, soulevé en première instance par M. F et autres, était inopérant ; » (Conseil d’État, 1ère sous-section jugeant seule, 02 février 2009, n°312131)   Plus encore, le Conseil d’Etat a expressément considéré que « l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibiers à plumes et de porcs soumis à autorisation au titre du livre V du code de l’environnement a été pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, en particulier des articles L. 511-1 et L. 512-10 du code de l’environnement ; que la vérification du respect des prescriptions contenues dans cet arrêté ne s’impose pas à l’autorité délivrant des autorisations d’urbanisme…