Par Mathieu DEHARBE, juriste (Green Law Avocats)
Par sa décision n° 2023-848 DC du 9 mars 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les dispositions de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (JORF n°0060 du 11 mars 2023, pour en savoir consulter notre commentaire sur le blog) dont il avait été saisi par deux recours émanant, l’un et l’autre, de plus de soixante députés (téléchargeable ci-dessous).
Pour mémoire, la loi d’accélération de de la production d’énergies renouvelables (JORF n°0060 du 11 mars 2023) prévoit :
- des mesures favorisant l'appropriation territoriale des énergies renouvelables et leur bonne paysagère (articles 1 à 3) ;
- des mesures de simplification et de planification territoriale visant à accélérer et à coordonner les implantations de projets d'énergies renouvelables et les projets industriels nécessaires à la transition énergétique (articles 4 à 33) ;
- des mesures tendant à l'accélération du développement de l'énergie solaire, thermique, photovoltaïque(articles 34 à 55) ;
- des mesures tendant à l'accélération du développement des installations de production d'énergie renouvelable en mer (articles 56 à 66) ;
- des mesures portant sur d'autres catégories d'énergies renouvelables (articles 67 à 85) ;
- des mesures tranversales de financement des énergies renouvelables et de récupération et de partage de valeur (articles 86 à 103).
Saisi de dispositions de huit articles de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, le Conseil constitutionnel les juge conformes à la Constitution mais censure pour défaut de portée normative ou comme cavaliers législatifs onze autres articles.
- Sur l'absence de violation de la procédure législative
Au titre des griefs concernant la violation de la procédure législative, les députés requérants soutiennent que :
- l’étude d’impact jointe au projet de loi serait insuffisante, au motif que l’évaluation des conséquences économiques, sociales et environnementales des mesures envisagées aurait été lacunaire, au point de violer l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 ;
- la loi déférée constituerait une loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental et que, dès lors, son adoption par le Parlement aurait dû être précédée de la consultation du Conseil économique, social et environnemental.
Néanmoins, le juge constitutionnel a écarté d’une part le grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 (JORF n°0089 du 16 avril 2009), en ce que :
- le projet de loi a été déposé le 26 septembre 2022 sur le bureau du Sénat ;
- La Conférence des présidents n’a été saisie d’aucune demande tendant à constater que les règles relatives aux études d’impact étaient méconnues.
D’autre part, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de l’absence de consultation du Conseil économique, social et environnemental , en ce que :
- Les dispositions du projet de loi initial, revêtues d’une portée normative, ne déterminaient pas les objectifs de l’action de l’État ;
- Ce projet de loi n’ayant pas le caractère d’un projet de loi de programmation, le Gouvernement n’était pas tenu de le soumettre pour avis au Conseil économique, social et environnemental.
- Conformité de la modulation du tarif de rachat d’électricité pour certains projets de production d'ENR retenu à l'issus d'une procédure de concurrence
Pour mémoire, les dispositions article 17 de la loi contestée complète l’article L. 311-10-1 du code de l’énergie afin de prévoir notamment la possibilité d’une modulation du tarif de rachat d’électricité pour certains projets de production d’énergies renouvelables retenus dans le cadre de la procédure de mise en concurrence à laquelle l’État peut recourir pour ajuster les capacités de production d’électricité.
Les députés auteurs des saisines reprochent aux dispositions de l’article 17 du projet de loi dispositions :
- De permettre une modulation tarifaire en fonction de critères privilégiant les énergies solaires et éoliennes et d’instituer ainsi une différence de traitement injustifiée entre les opérateurs produisant des énergies renouvelables ;
- D'instituer une différence de traitement injustifiée entre les opérateurs qui produisent de l’énergie à partir de sources renouvelables et les autres.
Ces arguments avancés par les députés n’ont pas convaincu que le Conseil constitutionnel qui a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, en ce que :
- Ces dispositions, qui se bornent à permettre à l’autorité administrative de compenser des pertes dues à des conditions d’implantation moins favorables au sein d’une même zone, n’instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement entre producteurs d’énergies renouvelables ;
- Les producteurs d’énergies renouvelables sont, au regard de l’objet de la loi qui est d’encourager une répartition territoriale équilibrée des projets de production d’énergies renouvelables, dans une situation différente des autres producteurs d’énergie.
- Conformité de la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur justifiant la délivrance d’une dérogation espèce protégée en matière d'ENR
L’article 19 du projet insère au sein du code de l’énergie un nouvel article L. 211-2-1 prévoyant que les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie qui satisfont à certaines conditions sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (R.I.I.P.M) de nature à justifier la délivrance d’une dérogation aux interdictions de porter atteinte à des espèces protégées ainsi qu’à leurs habitats.
Il insère également, par coordination avec ces dispositions, un nouvel article L. 411-2-1 au sein du code de l’environnement.
Dans leur saisine, les députés soutiennent d’une part que ces dispositions instaureraient une présomption irréfragable que certains projets répondent à une raison impérative d’intérêt public majeur, ce qui favoriserait systématiquement leur implantation, en méconnaissance :
- Des droit à un procès équitable et à un recours juridictionnel effectif ;
- De l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et des exigences découlant des articles 1er, 2, 5 et 6 de la Charte de l’environnement, compte tenu des effets nocifs que ces installations pourraient avoir sur la santé des riverains et sur les espèces protégées et leurs habitats.
D’autre part, les requérants estiment qu’au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence en renvoyant au pouvoir réglementaire, d’une façon au demeurant imprécise, la détermination des conditions auxquelles devront satisfaire les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie.
Ces arguments avancés par les députés n’ont pas convaincu que le Conseil constitutionnel qui a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, en ce que :
- Ces dispositions, qui se bornent à permettre à l’autorité administrative de compenser des pertes dues à des conditions d’implantation moins favorables au sein d’une même zone, n’instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement entre producteurs d’énergies renouvelables. ;
- Les producteurs d’énergies renouvelables sont, au regard de l’objet de la loi qui est d’encourager une répartition territoriale équilibrée des projets de production d’énergies renouvelables, dans une situation différente des autres producteurs d’énergie.
Selon les sages de la rue de Montpensier, les différents griefs doivent être écarté sachant que le législateur a d’une part poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.
En effet, il ressort des travaux préparatoires du projet de loi qu’en introduisant cette présomption le législateur a entendu favoriser la production d’énergies renouvelables et le développement des capacités de stockage d’énergie.
D’ailleurs, le juge constitutionnel note que la présomption de R.I.I.P.M ne dispense pas les projets d’installations auxquels elle s’appliquera du respect des autres conditions prévues pour la délivrance d’une dérogation aux interdictions prévues par l’article L. 411-1 du code de l’environnement.
À cet égard, l’autorité administrative compétente s’assure, sous le contrôle du juge :
- Qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ;
- Et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
Enfin, les Sages soulignent que le législateur a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir les conditions auxquelles devront satisfaire les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie.
En autres, il a prévu qu’elles doivent être fixées en tenant compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés à l’article L. 141‑2 du code de l’énergie au titre de la programmation pluriannuelle de l’énergie.
- Conformité de l'obligation de notification des recours contre une autorisation environnementale
L’article 23 du projet de loi modifie notamment L. 181-17 du code de l’environnement afin de prévoir que l’auteur d’un recours contre une autorisation environnementale est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur et au bénéficiaire de la décision.
Les députés auteurs de la première saisine reprochent à ces dispositions :
- Qu'elles dissuadent les requérants d’agir ;
- Seraient entachées d’incompétence négative au motif qu’elles renvoient la détermination de leurs conditions d’application à un décret en Conseil d’État.
Selon le Conseil constitutionnel, le législateur n’a méconnu ni l’étendu de sa compétence pas plus que le droit au recours effectif au motif que :
- Les dispositions contestées se bornent à exiger du requérant l’accomplissement d’une simple formalité visant à assurer, suivant un objectif de sécurité juridique, que les bénéficiaires d’autorisations environnementales sont informés rapidement des contestations dirigées contre les autorisations qui leur sont accordées ;
- Conformément aux articles 34 et 37 de la Constitution, les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire en l'absence de mise en cause des règles ou principes fondamentaux relevant du domaine de la loi.
- Conformité de la création d'un fonds d’assurance facultatif
L’article 24 du projet de loi insère un nouvel article L. 311-10-4 dans le code de l’énergie instituant un fonds d’assurance facultatif auquel peuvent adhérer certains exploitants d’installations de production d’énergies renouvelables.
Il complète par ailleurs l’article L. 121-7 du même code afin d’inclure les montants liés à la dotation initiale de ce fonds dans les charges imputables aux missions de service public en matière de production d’électricité qui sont compensées par l’État.
Dans leur saisine, les députés estiment que :
- Ces dispositions, qui constituent une charge pour le budget de l’État, ne pouvaient figurer que dans une loi de finances et ont donc été adoptées au terme d’une procédure méconnaissant les exigences organiques relatives à ces lois ;
- Ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité, au motif que ce fonds ne bénéficie qu’aux seuls producteurs d’énergies renouvelables.
En réponse à ces moyens, le juge constitutionnel écarte les griefs tirés de la violation du principe d’égalité et des exigences organiques, en ce que :
- selon le b du 7° du paragraphe II de l’article 34 de la loi organique du 1er août 2001, les dispositions affectant les dépenses budgétaires de l’année ou de l’année et d’une ou plusieurs années ultérieures ne sont pas au nombre de celles qui sont réservées à la compétence exclusive des lois de finances ;
- La différence de traitement instituée par ces dispositions, qui est fondée sur la différence de situation entre ces exploitants et les producteurs utilisant des sources d’énergie qui ne sont pas renouvelables, est en rapport avec l’objet de la loi.
- Défaut de portée normative du développe des opérations d’aménagement des infrastructures portuaires, industrielles et logistiques
L’article 65 se borne à prévoir que, pour faciliter l’atteinte des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie, l’État, en cohérence avec les collectivités territoriales et leurs groupements, favorise par son action, dans certains ports, les opérations d’aménagement des infrastructures portuaires, industrielles et logistiques nécessaires au développement des projets de production d’énergies renouvelables en mer.
Pour autant, le Conseil constitutionnel a censuré ses dispositions comme étant dépourvue de toute portée normative, en violation des dispositions de l’article l’article 6 de la Déclaration de 1789.
- Conformité de la cartographie des zones maritimes et terrestres prioritaires pour l’implantation d'installations ENR
L’article 56 du projet de loi insère notamment un paragraphe II au sein de l’article L. 219-5-1 du code de l’environnement afin de prévoir qu’un document établit, pour chaque façade maritime, une cartographie des zones maritimes et terrestres prioritaires pour l’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables en mer à partir du vent.
Les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe de précaution au motif que l’incidence des éoliennes sur la biodiversité marine serait peu documentée.
Cependant, le Conseil constitutionnel a refusé d’accueillir ce moyen dès lors que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de déterminer les règles d’implantation des éoliennes ou d’en autoriser l’implantation.
- De nombreux cavaliers législatifs censurés par les Sages
Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
En application de ces dispositions, le Conseil constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution plusieurs dispositions introduites en méconnaissance de cette règle de procédure :
- la remise au Parlement d’un rapport relatif à la réglementation thermique de certains bâtiments (article 46 de la loi "ENR") ;
- l’interdiction pour les producteurs participant à des opérations d’autoconsommation collective d’en faire leur activité professionnelle ou commerciale principale (article 48 de la loi "ENR") ;
- l’obligation pour les organismes d’habitations à loyer modéré d’affecter prioritairement les surplus des opérations d’autoconsommation à la réduction de certaines charges des parties commune (article 49 de la loi des "ENR") ;
- l'expérimentation en vue de remplacer l’utilisation de gaz naturel dans la production d’azote dans les exploitations agricoles (article 55 de la loi "ENR) ;
- dans le cadre de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets, la valorisation par des installations de production simultanée de chaleur et d’électricité à partir de combustibles solides de récupération peut être pratiquée et soutenue (article 79 de la loi "ENR") ;
- la transmission au Parlement par le Gouvernement d'un rapport formulant des propositions relatives à la répartition de la compétence « énergie » entre les collectivités territoriales (article 94 de la loi "ENR") ;
- l'intégration des actions menées en faveur de la transition énergétique dans le rapport sur la situation du développement durable prévue à l'article L2311-1-1 du code général des collectivités territoriales (article 97 de la loi "ENR") ;
- la transmission d'un rapport par le Gouvernement au Parlement concernant l’évolution des recettes issues de la fraction perçue en outre‑mer sur les produits énergétiques, autres que les gaz naturels et les charbons, et de l’octroi de mer pour les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution (article 111 de loi "ENR") ;
- la transmission par Voies navigables de France d'un rapport sur les conditions de développement de la production d’énergie renouvelable et de publier une stratégie pluriannuelle de développement de ces énergies (article 113 de la loi "ENR") ;
- la transmission par le Gouvernement au Parlement d'un rapport sur l’évaluation du potentiel d’utilisation des biocarburants et des bioliquides dans les départements et les régions d’outre‑mer afin d’accélérer la transition énergétique dans ces territoires (article 115 de la loi "ENR").