Compteur Linky : focus sur le contentieux administratif

compteurs électriques linky communicants cpl à radiofréquence nouvelle normePar Lucas DERMENGHEM Green Law Avocats

Initialement prévu par la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009, le déploiement des « compteurs intelligents » a été transposé en droit français par L. 341-4 du code de l’énergie.

La nouveauté qui réside dans ces compteurs demeure avant tout la transmission des données de consommation directement au gestionnaire du réseau d’électricité soit Enedis en France, afin de permettre une facturation basée sur le relevé et non plus sur une estimation. Il est prévu, d’ici 2021, que 80% des compteurs traditionnels soient remplacés par ces nouveaux dispositifs.

Mais le déploiement des compteurs suscite l’opposition de certaines communes comme de nombreux consommateurs et donne lieu à un contentieux nourri devant les juridictions judiciaires et administratives. Revenons sur les enseignements principaux des décisions ayant été rendues par le juge administratif en la matière.

  • Les communes ne disposent pas de la compétence leur permettant de refuser le déploiement des compteurs communicants

Plusieurs communes se sont distinguées par l’édiction de délibérations du conseil municipal ou d’arrêtés municipaux faisant obstacle à l’installation de compteurs sur le territoire communal.

Mais ces initiatives sont généralement annulées par le juge administratif, et ce pour défaut de compétence.

En premier lieu, plusieurs décisions ont retenu l’incompétence du maire ou du conseil municipal pour régir le déploiement des compteurs au regard de la propriété de ces dispositifs. Si en vertu de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les communes sont les autorités concédantes de la distribution publique d’électricité et exercent à ce titre le contrôle des réseaux publics de distribution d’électricité, il est fréquent qu’en pratique, cette compétence ait été transférée à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou encore à un syndicat départemental d’énergie.

Dans un tel cas de figure, le juge administratif considère que la commune est dessaisie de la propriété des compteurs et n’est donc pas compétente pour régir leur déploiement (voir en ce sens : CAA Marseille, 24 octobre 2018, n°18MA04142 ; TA Lille, 31 octobre 2017, n°1607882).

La Cour administrative d’appel de Nantes a ainsi jugé récemment que :

« La commune de Cast est membre du syndicat départemental d’énergie et d’équipement du Finistère. Il est constant que ce syndicat a la qualité d’autorité organisatrice du service public de distribution d’électricité. Dans ces conditions, et en application des dispositions combinées de l’article L. 322-4 du code de l’énergie et du IV de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, c’est le syndicat départemental d’énergie et d’équipement du Finistère qui est propriétaire des ouvrages affectés à ces réseaux et notamment des compteurs électriques. Il en résulte que ni le conseil municipal de la commune de Cast ni son maire ne disposaient, sur le fondement de ces textes, de la compétence pour s’opposer ou imposer des conditions au déploiement des compteurs  » Linky » » (CAA Nantes le 5 octobre 2018 n°17NT01495)

En second lieu, le juge administratif considère régulièrement que le maire d’une commune ne peut valablement recourir à ses pouvoirs de police générale pour interdire l’installation des compteurs Linky. D’une part, parce que le maire doit pour cela justifier de l’existence d’un trouble à l’ordre public, non reconnu en pratique. Le juge des référés du Tribunal de Lyon a statué en ce sens dans une ordonnance rendue le 7 septembre 2018 :

« En l’état de l’instruction, à défaut de circonstances locales précises justifiant l’atteinte à l’ordre public alléguée, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué ne peut légalement se fonder sur les pouvoirs de police générale prévus par les articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté municipal en date du 25 juin 2018 jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le déféré enregistré sous le n° 1806115. » (TA Lyon, 7 septembre 2018, n°186116)

D’autre part, l’usage des pouvoirs de police se confronte à l’existence d’une police spéciale relative à l’implantation des compteurs, comme l’a jugé récemment le Tribunal administratif de Montreuil :

« Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, conformément aux dispositions précitées du code de l’énergie, le service public de l’électricité se rattache à la politique nationale de l’énergie qui constitue un objectif d’intérêt général ayant notamment pour objet de garantir l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national ; que les compétences ainsi attribuées aux autorités nationales qui reposent d’ailleurs sur un niveau d’expertise et peuvent être assortis de garanties indisponibles au plan local, sont conférées à ces autorités, notamment pour veiller, à la préservation de la santé humaine et à la conformité des dispositifs de comptage à des référentiels de sécurité ; que, dans ces conditions, s’il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de la commune de prendre, sur le fondement des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs ainsi confiés par la loi aux autorités de l’Etat et au gestionnaire national de réseau de distribution d’électricité, adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l’implantation des compteurs Linky et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces compteurs alors, au demeurant, qu’il ne ressort des pièces versées au dossier aucun élément circonstancié de nature à établir l’existence, en l’état des connaissances scientifiques, d’un risque pouvant résulter, pour le public, de son exposition aux champs électromagnétiques émis par ces compteurs et justifiant la suspension de leur installation, indépendamment des procédures d’évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d’être mises en oeuvre par les autorités compétentes » (TA Montreuil – 7 décembre 2017 – n° 1700278)

Dernièrement, le juge administratif a suspendu un arrêté relatif aux conditions d’implantations des compteurs Linky en raison de l’incompétence du maire. Cependant, la suspension n’était que partielle. En effet, il a été jugé que le rappel de la liberté de choix des usagers concernant l’installation des nouveaux compteurs doit être garantie au regard de l’accès à leur propriété ainsi que de la transmission des données collectées à des tiers partenaires commerciaux n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité. (TA Toulouse, 10 septembre 2018, n°1803737).

  • Le juge administratif considère que le déploiement des compteurs communicants ne méconnaît pas le principe de précaution

Le refus d’installation des compteurs est souvent justifié par l’application du principe de précaution au regard de l’incertitude entourant les risques pour la santé des usagers que représenterait l’émission d’ondes électromagnétiques des nouveaux compteurs.

Le Conseil d’Etat a par un arrêt du 20 mars 2013, écarté cette hypothèse et a jugé qu’aucune atteinte au principe de précaution n’était caractérisée :

«il ne ressort pas des pièces du dossier que des éléments circonstanciés feraient apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à faire obstacle au déploiement de dispositifs de comptage dont les caractéristiques sont fixées par l’arrêté attaqué ; qu’il ressort, en revanche, des pièces du dossier que les rayonnements électromagnétiques émis par les dispositifs de comptage et les câbles n’excèdent ni les seuils fixés par les dispositions du décret du 18 octobre 2006 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques, pris pour transposer la directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant la compatibilité électromagnétique, ni ceux admis par l’Organisation mondiale de la santé ; que le Gouvernement n’avait pas, dès lors, à procéder à une évaluation des risques des effets de ces rayonnements ou à adopter des mesures provisoires et proportionnées ; que les moyens tirés de la méconnaissance des articles 1er et 5 de la Charte de l’environnement doivent, par suite, être écartés ; » (CE, 20 mars 2013, Association Robin des Toits, n° 354321).

  • Le juge administratif considère que les compteurs communicants respectent les règles relatives à la protection des données personnelles et la vie privée des consommateurs

Il s’agit de l’un des griefs les plus fréquemment invoqués à l’encontre des compteurs communicants.

En principe, si les compteurs procèdent au relevé des données de consommation et les transmettent au distributeur d’énergie, ces données doivent néanmoins faire l’objet d’une protection en vertu de l’article 7 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Les juridictions administratives qui se sont prononcées sur cette question ont estimé que le déploiement des compteurs Linky ne portait pas atteinte à la vie privée des consommateurs (voir par exemple TA Toulouse du 8 mars 2017 n°1603808, n° 1603174)

Un arrêt récent du Conseil d’Etat a toutefois relancé le débat. La Haute assemblée était saisie d’un recours en annulation formé par trois communes à l’encontre de la décision de clôture de la plainte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) relative aux risques d’atteinte à la vie privée que représenteraient les compteurs Linky.

Cette décision de clôture était intervenue à la suite d’une procédure de mise en demeure de la CNIL envers la société Direct Energie (fournisseur d’électricité) au regard de l’absence de consentement concernant les données issues du compteur communicant Linky.

La CNIL avait notamment constaté que

-Le client pensait consentir au changement de compteur électrique et à la collecte des données relatives à la consommation. Cependant, Direct Energie n’ayant pas la compétence pour le remplacement des compteurs, si le client ne donnait pas son accord, le compteur était tout de même changé par Enedis. Selon la CNIL : « L’accord sollicité par la société Direct Energie ne saurait donc porter sur l’activation du compteur, seule la collecte des données de consommation étant en réalité susceptible de faire l’objet d’un accord de la personne auprès de cette société. » ;

-De la même manière, le client ne pouvait consentir librement s’agissant de la collecte des données. En effet, cette collecte était justifiée par une aide à la facturation (à savoir paiement de la consommation réelle grâce au pas de trente minutes). Cependant, la CNIL relevait qu’aux jours des contrôles, ce système de facturation n’existait pas encore, ainsi le consentement n’était donc pas éclairé ;

-Le consentement était recueilli sans précision sur la cadence effective de cette collecte, à savoir le pas de trente minutes;

-L’autorisation délivrée au téléphone par un tiers, soit le propriétaire des lieux, ne vaut pas le consentement du locataire, dont les données sont traitées. Sur ce point également, le consentement faisait défaut.

Pour les raisons précitées, la CNIL avait conclu au non-respect de l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978 précitée. A la suite de cette mise en demeure, la société Enedis a réagi et modifié ses formulaires, ce qui a conduit la CNIL à clôturer la procédure de mise en demeure lancée contre Direct Energie le 24 octobre 2018.

Le Conseil d’Etat a néanmoins rejeté le recours des trois communes contre cette décision de clôture, pour défaut d’intérêt direct et suffisant leur donnant qualité pour agir, notamment en ce que les communes agissaient au nom de leurs administrés (CE, 10ème – 9ème chambres réunies, 11/07/2018, n°413782).

Déjà assez riche, il ne fait aucun doute que le contentieux administratif du compteur Linky n’est pas épuisé et que les associations comme les usagers vont avec leurs conseils développer de nouveaux moyens pour contester son déploiement. Ainsi entre autres exemples,  le 29 janvier 2019, l’UFC a décidé de saisir le Conseil d’État au sujet de la non mise en place d’un affichage « déporté » sur les compteurs pour les ménages précaires… affaires à suivre !