COVID 19 : le maire ne peut imposer le masque

shutterstock_1680980599Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)

A l’initiative de la Ligue des droits de l’Homme, le juge administratif des référés a du arbitrer, au moins à titre provisoire, une délicate question : un maire peut-il légalement imposer à ses concitoyens le port de masques sur sa commune et ainsi aggraver les mesures nationales déjà prises pour lutter contre la propagation du COVID-19 ?

Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 9 avril 2020, n°2003905) a suspendu l’exécution de l’arrêté du 6 avril 2020 par lequel le maire de Sceaux oblige les habitants de plus de dix ans à se couvrir le nez et le visage avant de sortir.

Le juge des référés rappelle au préalable qu’il appartient à l’Etat face à une épidémie telle que celle que connaît aujourd’hui la France, de prendre, afin de sauvegarder la santé de la population, toute mesure de nature à prévenir ou limiter les effets de cette épidémie. Parmi ces mesures, figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes et des véhicules. Mais ce pouvoir de police spécial  ne fait pas obstacle à ce que, le maire adopte, au titre de la police générale du maire pour sa commune des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, pour autant que les circonstances locales particulières le justifient notamment au regard de la menace de l’épidémie.

Pour justifier l’arrêté contesté, la commune de Sceaux a fait valoir que le port d’un masque ne faisait que renforcer les « mesures barrières » actuellement en vigueur et que ce port était d’ailleurs recommandé par l’Académie nationale de Médecine pour les sorties nécessaires en période de confinement.

Le juge des référés considère d’abord que l’importance de la restriction immédiate apportée à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle justifie qu’il intervienne en urgence.

Le juge des référés estime ensuite, qu’en se prévalant de telles considérations générales, dépourvues de tout retentissement local, le maire de Sceaux ne justifie pas que des risques sanitaires sont encourus, sur le territoire communal, du fait de l’absence de port d’un masque lors des déplacements des habitants.

Le maire de la commune a également soutenu que cette mesure répondait au souci de protéger les personnes âgées, population particulièrement vulnérable face au virus, lors de la levée future du confinement.

Mais le juge des référés relève que toutes considérations liées à la levée du confinement concernent une situation future qui n’est, pour l’heure, pas envisagée. En outre, le juge des référés souligne que s’agissant des personnes âgées, des mesures ont déjà été mises en place par la commune pour protéger cette population, notamment à travers un service de courses livrées à domicile. Au demeurant si la commune faisait valoir les flux importants de personnes dans une rue piétonne le juge oppose à la commune les propres affirmations de la police municipale pour qui « les gestes barrière sont, dans l’ensemble assez bien respectés par les usagers ».

Enfin, le juge des référés ajoute que rien ne permet de retenir que la protection des personnes âgées ne pouvait pas être assurée par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales. Il est ici très intéressant de constate que le pouvoir local contestait très frontalement les choix du gouvernement et que le juge lui répond de façon assez catégorique :

« En dernier lieu, il a été énoncé au cours des débats à l’audience que la mesure en litige était destinée à protéger les personnes âgées de la commune, qui constituent une part importante de la population dès lors que les plus de 65 ans en représentent 25%, et qui sont contraintes de faire leurs courses dans l’unique rue piétonne de la commune où sont regroupés tous les commerces et où se retrouve la plus grande concentration de personnes. Mais ces débats ont aussi fait apparaître que la commune avait mis en place un service de courses livrées à domicile au bénéfice des personnes âgées, susceptible de leur permettre d’éviter des déplacements présentant un risque excessif de côtoyer le virus. Par ailleurs, et alors qu’il a été reconnu par l’adjoint au maire présent à l’audience que la mesure en litige résulte du choix de la commune de ne pas imposer un confinement aux personnes âgées, lequel est apparu plus attentatoire aux libertés que l’obligation du port d’un dispositif de protection à l’ensemble de la population, il n’est pas établi que le même objectif de protection des personnes âgées n’aurait pu être atteint par une mesure moins contraignante, telle celle d’imposer le port d’un dispositif de protection efficace aux seules personnes âgées ou de leur réserver l’usage des commerces à certaines heures de la journée. »

Cette ordonnance comme toute décision des juges des référés est dépourvue de l’autorité de al chose jugée, même si bien évidemment l’arrêté du maire de sceau est non seulement suspendu jusqu’à une décision du Tribunal administratif qui on l’espère n’aura plus aucun effet pratique dans six mois …

Mais d’ici là des maires seront sans doute tentés de tenter d’imposer à nouveau le port du masque avec avec la clef des arrêtés mieux motivés et défendus. Ils seront sans doute là aussi déférés au juge par les associations.

Le Conseil d’Etat a finalement été saisi de l’affaire du maire de sceaux (cf. : CE, ord. 17 avril 2020, n°440057, COMMUNE DE SCEAUX).

La haute juridiction va confirmer la suspension de l’arrêté du maire de Sceaux, tout en initiant un nouveau considérant de principe très restrictif sur les pouvoirs du maire en période d’urgence sanitaire : « la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat « .

« Les raisons impérieuses » qui se déduisent des « circonstances locales » singularisent ce que le Conseil d’Etat tient pour un « péril imminent » dans d’autres hypothèses de la possible immixtion exceptionnelle de la police générale (en droit de l’environnement industriel en particulier : CE, 22 janv. 1965, n° 56871,  Alix, Lebon p. 44 – CE, 15 janv. 1986, n° 47836,  Sté PEC-Engineering – Conseil d’Etat, 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine – Requête n° 218217, AJDA 2003, p. 2164, ici avec des conclusions de T. Olson aussi très explicites sur la méfiance à l’endroit des maires pour appréhender sereinement les risques). La nouvelle formule des raisons impérieuses fait sans doutes écho à la conception qu’on se fait à Strasbourg du droit à la vie (« dès lors qu’un gouvernement défendeur a démontré de façon convaincante l’existence d’un besoin urgent de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique dans un cas donné, cette nécessité peut s’analyser en une raison impérieuse » (CEDH, gr. ch., 13 sept. 2016, n° 50541/08 , 50571 /08 , 50573/08, 40351/09, Ibrahim et a. c/ Royaume-Uni, § 259).

En l’espèce pour le Conseil d’Etat « ni la démographie de la commune de Sceaux ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l’épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection ».

Mais surtout on relève que le Conseil d’Etat exige qu’il ne soit pas porté atteinte par le maire à  « la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat« . A notre sens la deuxième considération est nouvelle en jurisprudence et restreint d’autant les  immixtions du maire en période de crise sanitaire. Elle va donner juridiquement un blanc seing au jacobinisme sanitaire.

Et en l’espèce le Conseil d’Etat constate que cette deuxième condition fait aussi défaut, stigmatisant le brouillage au niveau local de la politique sanitaire centrale : « l’édiction, par un maire, d’une telle interdiction, à une date où l’Etat est, en raison d’un contexte qui demeure très contraint, amené à fixer des règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2 et à ne pas imposer, de manière générale, le port d’autres types de masques de protection, est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes. De plus, en laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités ».