Le front de mer stellien a la dent dure !

Par Maître David DEHARBE (Avocat associé gérant – Green Law Avocats) C’est l’histoire judiciaire d’une des dernières ouvertures de notre littoral dans une ville côtière du 62 qu’une majorité municipale, son maire et certains aménageurs avaient pour projet d’urbaniser comme une vulgaire dent creuse. On se souvient qu’à l’été 2018 le Tribunal administratif de Lille avait annulé à la demande de l’Association Cucq Trepied Stella 2020 (assistée du Cabinet Green Law Avocats) l’Orientation d’aménagement et de programmation (OAP) du front de mer de Stella Plage sur la commune de Cucq (TA Lille, 17 juillet 2018, n° 1608885 : cf. le jugement et son commentaire à l’époque sur ce blog)  . Le Tribunal administratif de Lille avait censuré la délibération du 23 mai 2016 approuvant le plan local d’urbanisme de la commune de Cucq est annulée en tant que l’AOP le plan prévoit l’implantation du projet d’OAP de du front de mer dans la bande littorale des cent mètres : « Considérant qu’il est constant que le terrain d’assiette du projet de l’OAP du front de mer se situe à Stella plage, en bordure du littoral, en partie dans la bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ; que la zone dans laquelle il est situé ne constitue pas, eu égard au nombre et à la faible densité de constructions qui la caractérise, un espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 précité ; qu’en tout état de cause, l’implantation du projet, qui prévoit la construction de 320 logements, correspondant à 30 000 mètres carrés de surface de plancher, dans des bâtiments d’une hauteur pouvant atteindre R+4+attiques, entraînerait une densification significative de cet espace ; que par suite, l’association requérante est fondée à soutenir que le plan local d’urbanisme méconnaît les dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme en tant qu’il prévoit l’implantation du projet de l’OAP du front de mer dans la bande littorale des cent mètres et à solliciter, dans cette mesure, son annulation, ainsi que celle de la décision de rejet de son recours gracieux ». En méconnaissant la loi littorale, les auteurs PLU exposaient leur délibération l’approuvant à une censure évidente au regard d’une jurisprudence constante : le zonage retenu dans la bande des 100 mètres doit permettre de préserver l’inconstructibilité de celle-ci (CE, 25 septembre 1996, n° 138197 ; CAA Douai, 30 novembre  2006, n° 06DA00629 ; CAA Nantes, 13 novembre 2001, n° 00NT01526 ; TA Nice, 5 juillet 1989, Synd. de défense du cap d’Antibes, n°82089 ; TA Caen, 9 juin 1998, Manche Nature, n° 971339 ; CAA Douai, 30 novembre 2006, n° 06DA00629). En appel et contre toute attente, la 1ère chambre de la Cour administrative d’appel de Douai (sous la Présidence de M. Boulanger) avait au contraire jugé : « Dans le plan local d’urbanisme, l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer prévoit la construction de bâtiments sur des terrains, classés en zone UAa, empiétant sur la bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage. Il ressort cependant des pièces du dossier que ces terrains, bordés pour l’essentiel à l’est par une place certes non bâtie mais pavée, constituent, au sein d’un demi-cercle ceinturé par l’avenue de Paris, l’aboutissement de l’agglomération de Stella-Plage, qu’ils sont prolongés, au sud, par deux îlots urbains densément construits de bâtiments pouvant comporter jusqu’à quatre étages, qu’ils sont séparés de la plage, à l’ouest, par une avenue goudronnée comportant un terre-plein central et plusieurs rangées de places de stationnement et que, si la partie centrale de ces terrains demeure, à l’exception de trois bâtiments, à l’état de friche, leur limite nord est occupée par un vaste ensemble immobilier de type R + 7 étages. Eu égard à ce nombre et à cette densité significatifs de constructions, le projet décrit dans l’orientation d’aménagement et de programmation doit être regardé comme situé dans un espace déjà urbanisé, dont il a pour but d’achever et d’unifier le front bâti. En outre, si ce projet envisage la création de 320 nouveaux logements pour environ 30 000 mètres carrés de plancher, cette densité apparaît comparable à celle des habitations situées au sud ainsi qu’à celle de l’ensemble immobilier situé au nord des terrains devant accueillir le projet. Il ressort également des pièces du dossier que seule la partie ouest du projet empiètera sur la bande littorale, tandis que l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer précise, d’une part, que les constructions seront implantées de manière à créer des îlots urbains ouverts, ménageant des vues sur la mer depuis les voies publiques qui les desservent à l’est et permettant l’aménagement d’espaces verts entre les bâtiments, et, d’autre part, que la hauteur des constructions sera limitée à R + 2 + attique, sauf à l’abord de l’ensemble immobilier situé au nord, afin de soigner la transition avec cet ensemble de plus grande hauteur, cette dérogation devant d’ailleurs être compensée par une emprise au sol plus réduite ou une diminution de la hauteur d’autres bâtiments. Enfin les espaces publics, classés en zone naturelle, entourant les terrains destinés à être construits ont vocation, selon l’orientation d’aménagement et de programmation, à être aménagés en espaces paysagers permettant de doubler, dans la superficie concernée par l’orientation, la surface occupée par des espaces verts et perméables. Dans ces conditions, le projet de construction décrit dans l’orientation d’aménagement et de programmation n’est pas de nature, en l’espèce, à entraîner une densification significative des espaces dans lesquels il s’insère. Par suite, le plan local d’urbanisme, en tant qu’il prévoit, par la combinaison de son zonage avec l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer, le projet de construction décrit dans cette orientation, ne méconnaît pas, en tout état de cause, les dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme ». Pour ceux qui connaissaient le front de mer de Stella et sa large ouverture non construite cette décision était incompréhensible tant elle méconnaissait la réalité des faits. Finalement par arrêt de ce jour (CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 7 mars 2022,…

Du droit dans la Stratégie régionale du trait de côte

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le droit ne se loge pas toujours là où on pourrait le penser … Pour preuve, l’Etat, pourtant en charge du contrôle de légalité, se voit opposer par le Tribunal administratif de Montpellier (TA Montpellier 11 mars 2021 n°1905928) sa propre « Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte » (SRGITC),  document contre lequel le représentant de le sous-préfet de Béziers invoquait « l’absence de caractère décisoire et de portée normative ». On sait que le juge administratif ne s’arrête pas à la forme d’un acte pour lui reconnaître, le cas échéant, un effet décisoire et qu’il peut aller très loin en la matière (instructions, circulaires impératives, contrat verbal, fax …). Dans notre cas commune de Vias (dans l’Hérault) avait décidé de contester les qualifications juridiques retenues par  la Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte Occitanie (SRGITC), pour la période 2018-2050. A cette occasion le Tribunal montpelliérain écarte en ces termes la fin de non-recevoir opposée par le préfet à la commune : « 3. En l’espèce, alors que la Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte Occitanie se présente comme une aide à la réflexion et à la décision pour définir les modes de gestion du trait de côte, elle comporte toutefois, dans le document qui la matérialise, des formulations impératives telles que « Les projets de protection seront conformes au tableau prévu au chapitre 5 de la présente stratégie » ou encore « La construction de nouveaux ouvrages de protection dure sur ces espaces est proscrite ». Il ressort toutefois des pièces du dossier que ces prescriptions qui, contrairement à ce que le préfet fait valoir, s’apparentent bien à des lignes directrices pour l’instruction par les services de l’Etat des demandes d’autorisation de travaux sur le domaine public maritime, et de subvention de ceux-ci, présentées par les communes littorales dont la côte, comme en l’espèce celle de la commune de Vias, est soumise à des phénomènes d’érosion constants que de telles lignes directrices sont ainsi susceptibles d’avoir des effets notables sur les territoires de ces communes. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le préfet doit être écartée ». Le droit mou qui devient dure lorsqu’il est qualifié de « lignes directrices » et illustre une fois de plus son importance en droit de l’environnement… Ce jugement peut être téléchargé depuis ce lien :

Le PLU de CUCQ annulé pour méconnaissance de la loi littorale sur Stella plage

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr Aux termes de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme : « En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d’eau intérieurs désignés au 1° de l’article L. 321-2 du code de l’environnement ». Il résulte de ces dispositions que ne peuvent déroger à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces, ce que rappelait encore récemment le Conseil d’Etat (CE, 21 juin 2018, n°416564). Rappelons en effet que l’exception au principe d’inconstructibilité de la bande des 100 mètres ne concerne que les espaces urbanisés, dont la jurisprudence a précisé qu’ils doivent : être caractérisés par une densité significative de construction (CAA Nantes, 1er juin 2015, n°14NT01268) ; être bâtis (Rép. min. n° 36448: JO Sénat 28 mars 2002, p. 935), étant précisé que la présence de constructions isolées ou d’équipements publics ne suffit pas (CE, 2 janvier  2005, n° 226269 ; CE, 28 novembre 1997, n° 161572 ; CAA Lyon, 12 novembre 1996, n° 96LY00421 ; TA Rennes, 17 février 1994, Nevo, n°891408). Ainsi ce sont en ces termes que  le Tribunal administratif de Lille vient d’annuler par un jugement (téléchargeable ici : TA Lille, 17 juillet 2018, n° 1608885) la délibération du 23 mai 2016 approuvant le plan local d’urbanisme de la commune de Cucq est annulée en tant que le plan prévoit l’implantation du projet de l’Orientation d’aménagement et de programmation (OAP) du front de mer dans la bande littorale des cent mètres : « Considérant qu’il est constant que le terrain d’assiette du projet de l’OAP du front de mer se situe à Stella plage, en bordure du littoral, en partie dans la bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ; que la zone dans laquelle il est situé ne constitue pas, eu égard au nombre et à la faible densité de constructions qui la caractérise, un espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 précité ; qu’en tout état de cause, l’implantation du projet, qui prévoit la construction de 320 logements, correspondant à 30 000 mètres carrés de surface de plancher, dans des bâtiments d’une hauteur pouvant atteindre R+4+attiques, entraînerait une densification significative de cet espace ; que par suite, l’association requérante est fondée à soutenir que le plan local d’urbanisme méconnaît les dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme en tant qu’il prévoit l’implantation du projet de l’OAP du front de mer dans la bande littorale des cent mètres et à solliciter, dans cette mesure, son annulation, ainsi que celle de la décision de rejet de son recours gracieux ». Ici en méconnaissant la loi littorale, les auteurs PLU exposaient leur délibération l’approuvant à une censure évidente au regard d’une jurisprudence constante : le zonage retenu dans la bande des 100 mètres doit permettre de préserver l’inconstructibilité de celle-ci (CE, 25 septembre 1996, n° 138197 ; CAA Douai, 30 novembre  2006, n° 06DA00629 ; CAA Nantes, 13 novembre 2001, n° 00NT01526 ; TA Nice, 5 juillet 1989, Synd. de défense du cap d’Antibes, n°82089 ; TA Caen, 9 juin 1998, Manche Nature, n° 971339 ; CAA Douai, 30 novembre 2006, n° 06DA00629).

Expulsion des occupants sans titre du domaine public : marcher dans les pas du Roi n’octroie pas tous les privilèges !

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Le juge des référés est tenu, dans le cadre de la procédure du référé mesures-utiles, en vue de l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public maritime des cinquante pas géométriques, de vérifier que la mesure s’avère être utile, et ce, alors même qu’au titre de l’article L. 521-3-1 du code de justice administrative, la condition d’urgence n’est pas requise. L’arrêt commenté (arrêt du Conseil d’Etat, 8ème et 3ème chambres réunies, 4 mai 2018, n° 415002, mentionné dans les tables du recueil Lebon) est l’occasion pour le juge administratif de préciser les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé mesures utiles visant à l’expulsion d’un occupant sans titre d’une dépendance du domaine public maritime située dans la zone des cinquante pas géométriques, anciennement « cinquante pas du Roi ». Cette zone qui s’étend, en principe, sur 81.20 mètres dans les terres à partir de la limite du rivage, et qui ne concerne que les départements d’Outre-mer, joue une place centrale dans l’affaire ici commentée. En effet, M. C était titulaire d’une autorisation d’occupation d’une dépendance du domaine public maritime située dans la province Sud de Nouvelle-Calédonie et localisée dans la zone des cinquante pas géométriques. Ce dernier sollicitait du juge, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (ci-après « CJA »), à titre principal, qu’il enjoigne à cette province d’introduire une action en référé, sur le fondement de l’article précité, tendant à l’expulsion de M. A et de tout autre occupant de son chef de l’immeuble qu’il occupe sur la dépendance susmentionnée et, à titre subsidiaire, qu’il enjoigne directement à M. A et à tout autre occupant de son chef d’évacuer cet immeuble. Le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ayant fait droit, en partie, à cette demande par une ordonnance rendue le 29 août 2017, l’un des occupants sans titre a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance. La décision des juges de Nouvelle-Calédonie est cassée par le juge de cassation en raison, d’une part, du non-respect du sacro-saint principe du contradictoire et, d’autre part, au regard du contrôle que le juge doit exercer sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé mesures utiles. Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel : « Lorsque le juge des référés statue, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative qui instaure une procédure de référé pour laquelle la tenue d’une audience publique n’est pas prévue par les dispositions de l’article L. 522-1 du même code, sur une demande d’expulsion d’un occupant du domaine public, il doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu’il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu’il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d’une audience publique, des observations orales à l’appui de leurs observations écrites » (Cf. CE, 1 er octobre 2007, Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP), n°299464 et CE, 24 novembre 2006, Wuister, n° 291294). En l’espèce, la procédure était donc irrégulière puisqu’il ressortait des mentions portées sur l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie que les parties n’avaient pas été convoquées à une audience publique. Ensuite, le Conseil d’Etat précise les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé mesures utiles dans le cadre particulier de l’expulsion des occupants sans titre du domaine public maritime des cinquante pas géométriques. A ce titre, il convient de rappeler que l’article L. 521-3 du CJA pose trois conditions cumulatives : l’urgence de la situation, l’utilité de la mesure envisagée et le fait que la mesure sollicitée ne fasse pas obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative. Situation particulièrement favorable pour l’administration gestionnaire de ce domaine public, la première de ces conditions n’a pas à être démontrée dans l’hypothèse d’une occupation sans titre des cinquante pas géométriques (Cf. article L. 521-3-1 du CJA). Cependant, les juges du Conseil d’Etat précisent que : « le juge des référés a fait droit aux conclusions de [M. C] tendant à l’expulsion de [M. A] et de tout autre occupant de son chef de l’immeuble que celui-ci occupe sur les dépendances du domaine public sans se prononcer sur l’utilité de cette mesure. Alors même qu’il avait estimé qu’il n’avait pas, en vertu des dispositions précitées de l’article L. 521-3-1 du code de justice administrative, à se prononcer sur la condition d’urgence, il a ainsi méconnu les dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative. » Cet arrêt est donc l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que même si la condition de l’urgence est neutralisée en cas de procédure de référé mesures utiles visant à l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public maritime des cinquante pas géométriques, le juge est tenu de vérifier que la condition de « l’utilité » de la mesure se trouve, pour sa part, remplie. Ce rappel à l’ordre est le bienvenu dans un contexte où les occupations sans titre de la zone des cinquante pas géométriques concernent essentiellement des habitations et où l’expulsion se trouve être déjà facilitée par l’absence de nécessité de démontrer l’urgence de la situation