Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par une ordonnance n° 472633 du 19 avril 2023, le juge des référés du Conseil d’État a refusé de suspendre les opérations d’abattage des alignements d’arbres dans le cadre du projet d’autoroute entre Castres et Toulouse, dès lors que ce défrichement est déjà de toute façon administrativement interrompues depuis le 31 mars 2023 pour respecter la période de nidification (téléchargeable ci-dessous).
Pour mémoire, l’association France Nature Environnement Midi-Pyrénées a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre les opérations d’abattage sur les alignements d’arbres au droit du tracé de la future autoroute A 69, à titre principal, celles qui sont sur le point de débuter sur le territoire de la commune de Vendine, et ce dans l’attente de la délivrance éventuelle de la dérogation au titre de l’article L. 350-3 du code de l’environnement.
Par une ordonnance n° 2301521 du 24 mars 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande (décision disponible sur Doctrine).
Interjetant appel de l’ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État, l’association requérante soutient que :
- la condition d’urgence est satisfaite dès lors que les opérations d’abattage d’arbres sont irréversibles et qu’elles vont se poursuivre au-delà du 31 mars ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Pour caractériser l’atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, l’association requérante précise que :
- D’une part, le dossier de demande d’autorisation environnementale de la société Atosca ne comporte aucune demande de dérogation au titre de l’article L. 350-3 du code de l’environnement ;
- D'autre part, il ne contient ni appréciation de l’impact du projet sur chacun des alignements d’arbres qui relèvent du régime spécifique de protection de l’article L. 350-3 du code de l’environnement, ni mesure d’évitement et de compensation locale et financière des atteintes portées à ces alignements.
Saisi de cet appel, le Conseil d’État réaffirmera certes que le droit de droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé constitue une liberté fondamentale.
Pour autant, il rejette le recours de l’association requérante pour défaut d’urgence, dès lors qu’elle ne démontre pas qu’il existe d’un doute quant à la réalité de l’interruption des opérations d’abattage sur les alignements des arbres au droit du tracé de la future autoroute A69.
- Droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, une liberté fondamentale
Dans le cadre du référé-liberté, la Haute juridiction rappelle que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).
Toutefois, le Conseil d’État souligne qu’à ce titre la personne peut le juge du référé-liberté à condition de :
- Justifier au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre ;
- Démontrer qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique ;
- Faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions de l'article L.521-2 du CJA, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de ces dispositions (considérant n°5 de l'ordonnance n°472633).
Cette reconnaissance du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé en tant que liberté fondamentale découle d’une décision récente du Conseil d’État (CE, 20 septembre 2022, n°451129, considérant n°5, pour en savoir plus consultez notre commentaire) qui s’est inspiré de la jurisprudence du Tribunal de Châlons-en-Champagne (TA Châlons-en-Champagne, ord., 29 avril 2005, n°0500828).
- L'absence de remise en cause de la réalité de l'interruption de l'abattage des arbres : un défaut d'urgence particulière
Concernant l’office du juge dans le référé-liberté, le Conseil d’État rappelle que :
- l'intervention du juge dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du CJA est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ;
- Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge du référé-liberté, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises (considérant n°4 de l'ordonnance n°472633).
Cette appréciation de l’urgence particulière dans le cadre du référé-liberté découle d’une jurisprudence constante de la Haute juridiction (voir notamment CE, 19 oct. 2020, Observatoire international des prisons, n°439372, considérant n°6 ; CE, 20 septembre 2022, n°451129, considérant n°5)
Pour motiver le défaut d’urgence particulière en l’espèce, la Haute juridiction estime que :
- Si une partie des arbres formant des alignements le long des voies situées sur le parcours de la future autoroute ont été abattus dans le cadre de la phase préparatoire des travaux, les opérations d’abattage ont été suspendues le 31 mars dernier et ne reprendront pas avant le mois de septembre 2023 ;
- Cette interruption fait application de la mesure de réduction MR 03, annexée à l’arrêté interdépartemental d’autorisation environnementale du 1er mars 2023, relative à l’« adaptation du calendrier de travaux vis-à-vis des enjeux écologiques (flore, faune et zones humides) », qui limite la période de déboisements, d’une part, entre le 1er septembre et la mi-novembre, et, d’autre part, entre le 15 février et le 31 mars « dans les secteurs à moindres enjeux avec validation de la DREAL/DE », n’autorisant toute l’année que les interventions ponctuelles de coupe d’arbre sans cavité en l’absence de gîtes potentiels pour les chauve-souris et les oiseaux ;
- Ces dernières ont d’ailleurs assuré à l’audience que le programme des travaux ne comportait aucun abattage d’arbres entrant dans le champ de la protection de l’article L. 350-3 du code de l’environnement, cité au point 3, avant le mois de septembre prochain ;
- Ni le communiqué de presse publié le 31 mars 2023 par la société Atosca, qui se borne à faire le point sur les travaux réalisés et ne mentionne, au titre des prochains travaux forestiers, que la seule coupe d’arbres isolés entrant dans le champ de la dérogation à la période d’interdiction des déboisements, ni l’arrêté du préfet du Tarn du 31 mars 2023 qui réglemente la circulation entre les communes du Saïx et de Cambounet-le-So dans le cadre des travaux de déboisement et dont il a été indiqué à l’audience qu’il s’agissait de faciliter le ramassage des arbres déjà abattus, ne permettent de mettre en doute la réalité de l’interruption de l’abattage des alignements d’arbres qui sont seuls en cause dans la présente instance (considérant n°6 de l'ordonnance n°472633).