Contentieux des ICPE : procédure de régularisation et délai de jugement

Contentieux des ICPE : procédure de régularisation et délai de jugement

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Par Mathieu DEHARBE et Frank ZERDOUMI, juristes (Green Law Avocats)

Afin de simplifier le droit de l’environnement, un régime d’autorisation simplifiée, la procédure d’enregistrement, a été instituée en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement par l’ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 2009.

Contrairement au régime de l’autorisation environnementale, le législateur n’avait pas envisagé expressément la possibilité ou non de régulariser des arrêtés d’enregistrement entachés d’illégalités.

Pour mémoire, l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 a codifié le régime de régularisation de l’autorisation environnementale à l’article L. 181-18 du Code de l’environnement :

« I.-Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, même après l’achèvement des travaux :

1° Qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, limite à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demande à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ;

2° Qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.

Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle ou de sursis à statuer est motivé.

II -En cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l’autorisation environnementale, le juge détermine s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties de l’autorisation non viciées. »

Face au silence des textes, le Conseil d’État a d’une part reconnu que ces dispositions s’appliquent aux recours formés contre une décision d’enregistrement d’une installation classée dans le cas où le projet fait l’objet, d’une autorisation environnementale tenant lieu d’enregistrement ou s’il est soumis à évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation du préfet (CE, Avis n° 474431, 10 novembre 2023, point 5 ).

D’autre part, la Haute juridiction considère que dans les autres cas le juge de plein contentieux des installations classées dispose d’un pouvoir de régularisation d’un vice entachant l’élaboration ou la modification de l’enregistrement (CE, Avis n° 474431, 10 novembre 2023, point 6 ).

Il est à noter que dans le cadre de son office, le juge des ICPE peut suspendre l’exécution des parties viciées de l’enregistrement voire autoriser à titre provisoire l’exploitation dans l’attente de la mesure de régularisation (CE, Avis n° 474431, 10 novembre 2023, point 7 ).

Malgré ces clarifications, une question demeurait : celle du bénéfice d’un délai supplémentaire pour les juge du fonds de statuer sur la suite à donner au litige en cas d’enregistrement du mémoire transmettant la mesure de régularisation.

En effet, si le pouvoir réglementaire impose aux juges du fonds de statuer sur la requête sous 10 mois, ils peuvent bénéficier d’un délai supplémentaire de 6 mois en cas de régularisation d’une autorisation environnementale.

Pour mémoire, ce dispositif est codifié à l’article R. 311-6-III du Code de justice administrative depuis l’adoption du décret n° 2022-1379 du 29 octobre 2022 :

« Le tribunal administratif statue dans un délai de dix mois à compter de l’enregistrement de la requête. Si à l’issue de ce délai il ne s’est pas prononcé ou en cas d’appel, le litige est porté devant la cour administrative d’appel, qui statue dans un délai de dix mois. Si, à l’issue de ce délai, elle ne s’est pas prononcée ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d’État.

Devant le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel, lorsque le juge, dans le délai de dix mois mentionné aux alinéas précédents, met en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ou de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il dispose, à compter de l’enregistrement du mémoire transmettant la mesure de régularisation qu’il a ordonnée, d’un délai de six mois pour statuer sur la suite à donner au litige. À défaut de statuer dans ce délai, le litige est porté, selon le cas, devant la cour administrative d’appel ou le Conseil d’État. »

A ce titre, cette problématique a été traitée récemment dans une décision de la Cour administrative d’appel de Douai (décision commentée : CAA Douai, 6 février 2025, n° 24DA00735 ).

En l’espèce, la société par actions simplifiée Biogaz du Valois a déclaré à la Préfecture de l’Oise l’exploitation d’un méthaniseur sur le territoire de la commune d’Eve, dans l’Oise.

Le 25 juin 2021, afin d’augmenter la capacité de traitement de cette unité et de diversifier la nature des déchets traités, la société a déposé une demande d’enregistrement sur le fondement de l’article L. 512-7 du Code de l’environnement.

Le 10 mars 2023, la Préfète de l’Oise a pris un arrêté d’enregistrement de cette installation et du plan d’épandage des digestats, qui s’étendait sur le territoire de plusieurs communes voisines, dont la commune d’Othis.

Accompagnée par trois autres communes et par une association, cette commune a demandé au Tribunal administratif d’Amiens d’annuler cet arrêté.

Le 15 février 2024, le Tribunal a accueilli favorablement cette demande, mais il n’a que partiellement annulé l’arrêté contesté.

En conséquence, le 16 avril 2024, trois des quatre communes requérantes ont interjeté appel de ce jugement, demandant donc à la Cour administrative d’appel de Douai de l’annuler et d’annuler l’arrêté dans son intégralité.

Saisi du litige, la Cour rappelle les modalités de régularisation de l’enregistrement développées par le Conseil d’État :

« 56. L’article L. 181-18 du code de l’environnement, qui concerne les pouvoirs du juge de l’autorisation environnementale, est applicable aux recours formés contre une décision d’enregistrement d’une installation classée dans le cas où le projet fait l’objet, en application du 7° du I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, d’une autorisation environnementale tenant lieu d’enregistrement ou s’il est soumis à évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation du préfet en application du troisième alinéa du II de l’article L. 122-1-1 du même code.

57. Dans les autres cas où le juge administratif est saisi de conclusions dirigées contre une décision relative à l’enregistrement d’une installation classée, y compris si la demande d’enregistrement a été, en application de l’article L. 512-7-2 du code de l’environnement, instruite selon les règles de procédure prévues pour les autorisations environnementales, les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ne sont pas applicables.

58. Cependant, en vertu des pouvoirs qu’il tient de son office de juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement, le juge administratif, s’il estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le juge peut préciser, par sa décision avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l’intervention d’une décision corrigeant le vice dont est entachée la décision attaquée. En outre, le juge peut limiter la portée ou les effets de l’annulation qu’il prononce si le ou les vices qu’il retient n’affectent qu’une partie de la décision.

59. Enfin, lorsque l’annulation n’affecte qu’une partie seulement de la décision, le juge administratif peut déterminer s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties non viciées de cette décision. Et lorsqu’il prononce l’annulation, totale ou partielle, d’une décision relative à une installation classée soumise à enregistrement, il a toujours la faculté, au titre de son office de juge de plein contentieux, d’autoriser lui-même, à titre provisoire, et le cas échéant sous réserve de prescriptions et pour un délai qu’il détermine, la poursuite de l’exploitation de l’installation en cause, dans l’attente de la régularisation de sa situation par l’exploitant. Ces règles s’appliquent également au juge d’appel. » (décision commentée : CAA Douai, 6 février 2025, n° 24DA00735, points 56 à 59).

Quant au délai supplémentaire prévu à l’article R. 311-6 du code de justice administrative, la Cour a estimé que ce dernier n’est pas applicable en l’espèce et qu’elle renonce à surseoir à statuer afin de respecter le délai impératif de jugement :

« Le présent litige ne rentre pas dans le champ d’application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. Faute, dans ces conditions de disposer du délai supplémentaire de six mois, prévu au deuxième alinéa du III de l’article R. 311-6 du code de justice administrative, il n’y a pas lieu, eu égard au délai de dix mois imparti à la cour pour juger, de faire usage de la faculté de surseoir à statuer. »

Enfin, l’arrêté de l’enregistrement a été annulé partiellement en ce que les vices de procédure n’ont affecté que le plan d’épandage et sont sans lien avec l’exploitation de l’installation :

« En revanche, les vices de procédure tenant à l’insuffisance du dossier de demande d’enregistrement au regard des incidences du projet sur les zones Natura 2000 et des incidences notables du projet sur l’environnement n’affectent que le plan d’épandage et sont sans lien avec l’installation proprement dite, il y a lieu, dans ces conditions, de prononcer l’annulation de l’arrêté du 10 mars 2023 seulement en tant qu’il enregistre le plan d’épandage » (décision commentée : CAA Douai, 6 février 2025, n° 24DA00735 , point 60 ).

La Cour administrative d’appel de Douai a donc ici mis en exergue le principe suivant : le juge des installations classées peut, même sans texte, régulariser une décision d’enregistrement illégale et prononcer des annulations partielles de celle-ci.

Cependant pour les décisions régularisées en dehors du champs des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, le juge n’a pas de délai supplémentaire pour juger.

Cette circonstance poussera les juridictions à réduire l’usage du sursis à statuer afin de tenir le délai impératif de jugement, et ce au détriment du droit à la régularisation des exploitants.

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