Rejets atmosphériques et risques sanitaires

Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)
Le 23 mai 2024, la Cour administrative d’appel de Douai a rendu des arrêts historiques en condamnant l’État à verser aux riverains du site Métaleurop des sommes importantes, en réparation du préjudice lié à la pollution de cette usine de plomb et de zinc sur le territoire de deux communes du Pas-de-Calais. Les requérants voulaient notamment que le Préfet ordonne des travaux de dépollution de leurs terrains pour mettre fin à une exposition aux métaux lourds (voir notre commentaire sur le blog). Le Tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes, mais la Cour a infirmé ce jugement.
Toutes proportions gardées, cette affaire est malheureusement loin d’être un cas isolé : c’est pourquoi les Préfets, en tant que garants de la protection de l’environnement, doivent accomplir leur mission avec vigilance.
Le 6 janvier 2021, le Préfet des Pyrénées Atlantiques a, par arrêté, prescrit la réalisation d’une étude des risques sanitaires résultant des substances émises par l’usine de la société Sanofi Chimie, implantée sur le territoire de la commune de Mourenx : cette société exploitait une usine de production de substances actives d’un médicament anti-épileptique connu sous le nom de Dépakine.
Le 5 mars 2021, la société Sanofi Chimie a demandé au Tribunal administratif de Pau d’annuler cet arrêté : d’après elle, ces prescriptions n’étaient pas justifiées.
L’arrêté préfectoral du 6 janvier 2021 était-il légal ?
Le Tribunal administratif de Pau a répondu à cette question par l’affirmative : en prescrivant à la société requérante de réaliser une étude des éventuels risques sanitaires que présentaient les émissions atmosphériques de ces substances – auxquelles la population avait été exposée – le Préfet n’a fait qu’accomplir son office (décision commentée : Tribunal administratif de Pau, 18 avril 2024, n° 2100547).
En effet, l’article L. 512-20 du Code de l’environnement dispose que :
« En vue de protéger les intérêts visés à l’article L. 511-1, le préfet peut prescrire la réalisation des évaluations et la mise en œuvre des remèdes que rendent nécessaires soit les conséquences d’un accident ou incident survenu dans l’installation, soit les conséquences entraînées par l’inobservation des conditions imposées en application du présent titre, soit tout autre danger ou inconvénient portant ou menaçant de porter atteinte aux intérêts précités. Ces mesures sont prescrites par des arrêtés pris, sauf cas d’urgence, après avis de la commission départementale consultative compétente. »
Le Préfet peut donc prescrire à l’exploitant de l’usine la réalisation de mesures nécessaires à la protection de la santé, de la sécurité, et de la salubrité publique, mis en exergue à l’article L. 511-1 du Code de l’environnement.
En l’occurrence, le Tribunal a justifié la légalité de l’arrêté par des constatations antérieures :
« Il résulte de l’instruction, en particulier du rapport établi le 27 octobre 2020 par l’inspection des installations classées, que la société Sanofi Chimie a constaté, en 2013, qu’elle rejetait du valproate de sodium dans l’air et dans l’eau. Cette constatation a justifié l’encadrement des rejets de valproate de sodium par un arrêté préfectoral du 21 août 2018. Par ailleurs, le 28 mars 2018, la société a porté à la connaissance de l’inspection des installations classées le fait que des composés organiques volatils dont le bromopropane étaient rejetés dans l’atmosphère dans des quantités supérieures aux limites définies par l’arrêté ministériel du 2 février 1998. À la suite d’une mise en demeure adressée par un arrêté préfectoral du 19 avril 2018, la société a réalisé des travaux sur ces installations durant l’été 2018, et l’administration a ensuite constaté que la société respectait les limites réglementaires. En outre, cette société a remis à l’administration une évaluation des risques sanitaires réalisée le 6 avril 2018, mise à jour le 16 mai 2018, qui conclut, que les risques sanitaires chroniques et aigus liés aux rejets atmosphériques actuels des colonnes de lavage et des cuves de stockage du site Sanofi de Mourenx sont inférieurs aux valeurs de référence » (décision commentée : Tribunal administratif de Pau, 18 avril 2024, n° 2100547, point 4).
Certes, les travaux réalisés en 2018 ont permis à l’usine de respecter les valeurs limites d’émission de ces substances.
Cela étant, le Préfet a voulu aller plus loin :
« Il résulte en outre de l’instruction qu’aucune campagne d’analyse des effets de ces deux substances sur la santé de la population n’a été réalisée avant l’installation en 2018 des unités de traitement à l’usine de Mourenx, et des salariés des sociétés du bassin de Lacq ainsi que des résidents proches ont saisi la direction départementale des Pyrénées-Atlantiques de l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine de leurs préoccupations quant aux effets des substances auxquelles ils auraient pu être exposés. C’est dans ce contexte que, par l’arrêté attaqué du 6 janvier 2021, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a prescrit la réalisation d’une étude des risques sanitaires résultant des substances que cette usine émet » (Tribunal administratif de Pau, 18 avril 2024, n° 2100547, point 6).
Surtout, la raison d’être de l’arrêté est que le Préfet, soucieux des risques courus par la population, a estimé que les études déjà réalisées par Sanofi Chimie étaient insuffisantes :
« Si dans la présente instance, la société Sanofi Chimie fait valoir qu’elle respecte désormais les limites fixées par la réglementation en matière d’émission de valproate de sodium et de composés organiques volatils (COV) dont le bromopropane, il résulte de l’instruction que la prescription de l’article 3 de l’arrêté attaqué n’a pas pour objet de s’assurer du respect de la réglementation mais d’obtenir une analyse des risques que les émissions passées ont fait courir à la population travaillant ou résidant dans les communes de Pardies, Noguères, Os-Marsillon, Marsillon et Mourenx situées autour de l’usine » (Tribunal administratif de Pau, 18 avril 2024, n° 2100547, point 7).
Le Préfet n’a donc pas méconnu les dispositions des articles L. 511-1 et L. 512-20 du Code de l’environnement.
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