La réforme de l’autorisation environnementale : fini la valse à quatre temps, place au Pogo ?

réforme autorisation environnementale

Par David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Applicable depuis le 1er mars 2017, l’autorisation environnementale a été créée par le ministère de la Transition écologique, dans le cadre de la modernisation du droit de l’environnement, afin de simplifier les démarches administratives des porteurs de projet et de faciliter l’instruction des dossiers par les services de l’État. Elle correspond à une fusion des différentes procédures et décisions environnementales exigées pour les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement et les Installations, Ouvrages, Travaux et Activités soumises à autorisation.

La réforme de 2017 avait imaginé de phaser la procédure d’autorisation, en créant une phase préalable (le certificat de projet), une phase d de recevabilité, une phase de consultation et enfin une phase de décision.

Il faut oser le dire : c’est une usine à gaz imaginée par des ingénieurs qui pensent le droit au moyen de tableaux de bord et de mises en schémas qui mettent à bonne distance les profanes et privent les juristes de leurs repères fondamentaux… sous prétexte de simplification.

Sans même parler des paradoxes auxquels cette réforme a mené (des autorisations délivrées sans étude d’impact ou enquête publique !) et aux lourdeurs introduites dans la procédure contentieuse (avec les nouveaux pouvoirs de régularisation du juge de l’autorisation environnementale), la procédure administrative n’a pas gagné en fluidité…

D’ailleurs une des phases a été purement et simplement supprimée dès 2023 : la loi n°2023-175 en date du 10 mars 2023 à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (JORF n°0060 du 11 mars 2023) a ainsi abrogé l’article L181-6 du Code de l’Environnement.

À l’horizon 2024, l’autorisation environnementale vient d’être réformée par le pouvoir réglementaire, afin de renforcer la participation effective du public à la procédure et de ramener ses délais à six mois et demi. Pour ce faire, il a été décidé d’anticiper l’enquête publique, qui commencera dès que l’étude de recevabilité du dossier par les services sera terminée, étant entendu qu’il n’y a qu’une seule étude.

Le Ministère de l’Écologie a inventé un nouveau concept juridique ou plutôt un barbarisme qui nous annonce encore bien des soucis au contentieux : c’est l’avènement d’une « Consultation parallélisée du public » comme cela a été présenté le 17 septembre dernier lors d’un « mardi de la DGPR ».

Certes à titre de comparaison, des pays tels que l’Allemagne, la Pologne et la Suède consultent le public beaucoup plus tôt que la France : en France, le lancement de l’enquête publique avait lieu après l’instruction administrative et l’avis porté par l’Autorité environnementale sur l’étude d’impact.

Désormais, l’article L.181-9 du Code de l’environnement prévoit que :

« L’instruction de la demande d’autorisation environnementale, après qu’elle a été jugée complète et régulière par l’autorité administrative, se déroule en deux phases :

1° Une phase d’examen et de consultation ;

2° Une phase de décision.

Toutefois, l’autorité administrative compétente peut rejeter la demande au cours de la phase d’examen et de consultation lorsque celle-ci fait apparaître que l’autorisation ne peut être accordée en l’état du dossier ou du projet.

Il en va notamment ainsi lorsque l’autorisation environnementale ou, le cas échéant, l’autorisation d’urbanisme nécessaire à la réalisation du projet, apparaît manifestement insusceptible d’être délivrée eu égard à l’affectation des sols définie par le plan local d’urbanisme ou le document en tenant lieu ou la carte communale en vigueur au moment de l’instruction, à moins qu’une procédure de révision, de modification ou de mise en compatibilité du document d’urbanisme ayant pour effet de permettre cette délivrance soit engagée. »

Avant la réforme de l’autorisation environnementale, dans la procédure française, le public avait la possibilité d’exprimer ses remarques sur le dossier assez tard dans la procédure, puisque son avis devait être précédé par l’instruction, laquelle pouvait déjà s’accompagner de modifications substantielles du projet.

Dans les trois pays précités – Allemagne, Pologne, Suède – force est de constater que le public est associé plus tôt, et que sa consultation éclaire l’instruction administrative.

Ainsi, en Allemagne, dès que le dossier du demandeur est considéré comme complet, dans un délai d’un mois, l’Autorité responsable de l’autorisation met les pièces du dossier à la disposition du public, ainsi que les rapports et recommandations utiles à la prise de décision dont dispose l’Autorité au moment de la publication de son avis : le §10 (3) de la loi fédérale relative au contrôle des émissions dispose que toute autre information susceptible d’être importante pour la décision relative à la recevabilité du dossier et dont l’Autorité responsable de l’autorisation ne dispose qu’après le début de la consultation doit être mise à la disposition du public.

En Pologne, dans le cadre de la procédure d’octroi d’un permis environnemental, la consultation du public suspend les délais d’instruction du dossier par les services.
À l’issue d’un contrôle de complétude assez bref, le dossier est porté à la connaissance du public : sa participation peut donc commencer dès la remise de l’étude d’impact à l’organe compétent, conformément aux dispositions des articles 21 et 79 de la loi OOS du 3 octobre 2008.

En Suède, la procédure est comparable à celle de l’Allemagne : après le contrôle de complétude d’une durée de trois semaines, la consultation du public est lancée et, parallèlement, commence l’instruction au fond du dossier par les services administratifs, cette consultation étant conditionnée par la disponibilité de l’étude d’impact, conformément aux articles 39 et 40 du Code de l’environnement suédois.

L’anticipation de l’enquête publique, au cœur de la réforme de l’autorisation environnementale, devrait donc permettre de renforcer la participation du public et d’espérer des délais de l’ordre de six mois et demi.

Cette anticipation implique donc qu’il y ait une seule étude de recevabilité du dossier par les services. Pour ce faire, il apparaît nécessaire que les dossiers soient de qualité et que lesdits services, responsables de la mise en œuvre des procédures, acceptent une nouvelle réforme de l’autorisation environnementale.

En ce qui concerne les règles qui régissent les procédures d’implantation d’activités soumises à autorisation environnementale, la multiplication des initiatives passées invitait dans un premier temps au statu quo. En effet, les réformes antérieures à 2022 ont accéléré les procédures pour de nombreux projets, mais elles ont multiplié les cas de dérogations au droit commun. Surtout, elles ont augmenté la complexité pour les services instructeurs et elles ont réduit la lisibilité des procédures pour les pétitionnaires.

En conséquence, la priorité à court terme était de créer les conditions nécessaires à l’évolution des pratiques de gestion de ces projets d’implantation : l’évolution de ces pratiques renforcerait les chances de succès de la réforme à venir de l’autorisation environnementale.


éolienne sablier
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C’est désormais chose faite avec l’article 4 de la loi n°2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte et son décret d’application n°2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement (JORF n°0160 du 7 juillet 2024), juste avant que le Gouvernement ne passe dans un mode dit d’affaires courantes : ces deux textes constituent la base légale et réglementaire de la modification de la procédure d’autorisation environnementale.

À compter du 22 octobre 2024, la phase d’examen et la phase de consultation seront menées en parallèle, et la consultation du public a été modernisée. Ce nouveau régime prévu par les articles 14 à 31 du décret n° 2024-742 est applicable aux demandes déposées à compter du 22 octobre 2024 (cf. art. 70 du décret).

S’agissant des deux phases – examen et consultation – l’instruction du dossier par les services de l’État, les consultations obligatoires d’instances telles que les communes et l’Autorité environnementale, et la participation du public seront désormais menées en même temps, une fois que les pétitionnaires auront déposé un dossier complet et régulier.

Quant à la consultation du public, il s’agit d’une nouvelle procédure hybride qui a repris partiellement les conditions de la participation du public par voie électronique ainsi que l’enquête publique : sa conduite est désormais confiée à un commissaire enquêteur ou à une commission d’enquête en cas de nécessité.

Cette réforme a été présentée comme une évolution extrêmement structurante de la manière dont vont être instruites et mises en débat public les demandes d’autorisations environnementales. L’idée est de réformer le cadre procédural, mais sans toucher le fond, c’est-à-dire ne pas abaisser les exigences techniques de protection de l’environnement, mais mettre différemment les étapes de la manière dont on apprécie la pertinence et la compatibilité d’un projet avec les exigences environnementales.

Cette réforme vise un certain nombre d’objectifs : favoriser la réindustrialisation du pays, renforcer l’attractivité du territoire français pour les investisseurs notamment étrangers, s’aligner avec les pratiques européennes constatées dans d’autres pays – notamment l’Allemagne – et accélérer les délais d’instruction des autorisations environnementales.

En l’occurrence, c’est le Président de la République qui a exprimé des attentes fortes sur le fait de pouvoir passer sous le délai d’une année pour une autorisation environnementale, en termes de procédure complète.

C’était aussi l’occasion d’interroger la manière dont se fait la consultation du public et de la moderniser : la consultation du public de la nouvelle procédure issue de la loi du 23 octobre 2023 est un mélange qui essaye de prendre le meilleur de ce que l’on sait faire actuellement en termes d’enquête publique et de consultation sur Internet.

Le premier avantage attendu de cette réforme est d’avoir une décision plus rapide de l’autorisation pour le pétitionnaire, être fixé plus vite, et donc optimiser son temps dans son projet industriel.

Il s’agit également de moderniser la procédure, notamment pendant la phase de consultation du public, pour tirer parti des outils informatiques.

Dans le même temps, ce raccourcissement des délais ne doit pas se faire au détriment du temps passé à interagir avec le public mais au contraire, par un effet de parallélisation, octroyer plus de temps à cette phase de consultation au cours de la procédure.

D’une manière générale, il s’agit d’avoir un meilleur pilotage de l’avancement des dossiers, puisqu’il n’y a plus de temps de suspension de procédure : une fois que la procédure est lancée, elle se déroule avec un temps continu, pour le meilleur et pour le pire.

À titre de rappel, avant l’entrée en vigueur de la réforme, la procédure comprenait trois phases : dans la première phase, le dossier était examiné par les services de l’État, qui avaient un échange bilatéral avec le porteur de projet, éventuellement lui faisaient améliorer son projet, compléter son projet, préciser ses intentions, s’assurer que tout allait bien.

Au passage, on saisissait l’Autorité environnementale quand le projet devait être soumis à évaluation environnementale : l’Autorité environnementale donnait également un avis, le pétitionnaire le lisait avec beaucoup d’attention et y répondait.

Cette première phase correspondait à une interaction entre l’Administration et le pétitionnaire.

Deuxième phase : l’interaction avec le public, c’est-à-dire une consultation, notamment, des collectivités.

Troisième phase : la décision.

Dans la nouvelle procédure, on ne change pas la phase de décision à la fin, mais on « mixe » ensemble les deux premières : c’est en même temps que se fait la consultation des uns et des autres, l’examen au fond du dossier, les échanges, les éventuels compléments, et l’interaction avec le public, tout cela pendant une durée de trois mois.

C’est ce changement qui est philosophiquement et pratiquement très structurant, puisqu’on va avoir un dossier qui va être par nature visible de tous, sur lequel il y aura différents niveaux d’expertise qui vont pouvoir s’exprimer, de l’expertise très technique des services de l’État consultés à l’expertise d’usage des riverains, les contributions des uns et des autres : le tout va être très dynamique pendant cette période de trois mois, avec des compléments qui seront apportés au fil de l’eau.

La dernière phase ne bouge pas, elle prendra bon compte de tout ce qui aura été travaillé, échangé, amélioré au cours de cette phase d’examen et de consultation, cette phase où le Préfet prend bonne note de tout cela, fait les derniers ajustements et se prépare à prendre une décision.

Avec ce système où le dossier est très vite mis au vu et au su de tous, il est débattu en public et il n’y a pas de suspension de délai, tout va très vite : on a donc un système qui permet d’aller vite sur les « bons dossiers » : le « bon dossier » entrera dans le système, il aura sa phase d’examen et de consultation de trois mois, et il aura, assez vite ensuite, une autorisation préfectorale.

Mais demeure cette question : le Ministère ne prend-il pas le risque de remplacer la valse à 4 temps par un véritable Pogo où la parole profane prendrait le pas sur l’éco-pouvoir des ingénieurs d’Etat de la DGPR ?

Rien n’est moins sûr : plus le public intervient tôt dans la procédure mieux l’administration pourra identifier ses forces pour l’affaiblir en la canalisant.

Cela finalement doit inciter plus que jamais les avocats environnementalistes à intervenir très tôt pour les projets les plus controversés afin de protéger les intérêts des tiers riverains.

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