ICPE : Piqûre de rappel sur l’importance de la description des capacités techniques et financières dans la demande d’autorisation ICPE (CE, 22 février 2016)

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Par Sébastien Bécue

Green Law Avocats

Par un arrêt en date du 22 février 2016, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi exercé par une société à l’encontre de la décision de la Cour administrative d’appel de Nancy confirmant l’annulation de son autorisation d’exploiter ICPE une centrale à gaz.

Le Conseil d’Etat, comme la Cour auparavant, considère que la description que la société fait de ses capacités techniques et financières est insuffisante. L’arrêté d’autorisation est en conséquence annulé.

Cette décision peut étonner lorsqu’on sait à quel grand groupe énergéticien français la société exploitante appartient. Comment peut on en arriver procéduralement à une annulation sur le fondement des capacités techniques et financières?

  • Rappel sur l’obligation de mention des capacités dans la demande d’autorisation ICPE

Cette obligation résulte du code de l’environnement qui prévoit, aux articles L. 512-1 et R. 512-3, que la demande d’autorisation doit mentionner les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre d’exploiter son installation conformément aux obligations résultant du droit de l’environnement, et notamment celles liées à la future remise en état du site accueillant son installation.

Le préfet, lorsqu’il statue sur la demande d’autorisation, doit donc apprécier les capacités mentionnées par le futur exploitant dans sa demande.

Et le juge administratif contrôle assez strictement l’appréciation portée par le préfet en vérifiant séparément la suffisance des capacités techniques et financières.

Il ressort de la jurisprudence que peuvent être prises en compte, dans l’analyse des capacités techniques du demandeur :

  • L’expérience du demandeur dans l’activité (voir par exemple CAA Versailles, 16 juil. 2012, n°10VE03178) ;
  • Les processus et matériels utilisés, les effectifs et leur qualification (CAA Marseille 11 juil. 2011, n°09MA02014).

En ce qui concerne les capacités financières, il est tenu compte des informations sur la situation financière du demandeur : chiffre d’affaire et bilan comptable (CAA Nantes, 25 mars 2011, n°10NT00043) ou analyse financière réalisée par des tiers (CAA Lyon, 4 nov. 2011, n°09LY00624).

Par ailleurs, l’appartenance à un groupe peut être prise en compte (CAA Lyon, 5 avril 2012, n°10LY02466).

  • L’appréciation par la Cour administrative d’appel des capacités de la société exploitante

La décision de la Cour administrative d’appel, décomposable en deux temps, fournit un bon exemple concret d’appréciation des capacités d’un demandeur.

Dans un premier temps, la Cour vérifie que la société dispose des capacités financières pour réaliser son projet en se fondant sur le plan de financement annoncé : 772 millions d’euros d’investissement nécessaire, financés à 30% sur fonds propres et à 70% par dette bancaire.

En ce qui concerne la partie financée sur fonds propres, la Cour estime que les capacités sont suffisantes : si la société ne dispose que d’un capital social de 7,5 millions d’euros, elle produit néanmoins une « lettre de support » de sa société mère par laquelle cette dernière s’engage à lui apporter son soutien.

L’appréciation de la Cour sur les capacités relatives à la partie financée par dette bancaire est au contraire négative : les divers documents produits par la société (note générale sur le financement, sur la conformité du montage envisagé avec la pratique) sont trop génériques et ne comportent aucun engagement précis, tant au regard des montants que de l’identité des prêteurs.

Dans un second temps, la Cour vérifie les capacités techniques de la société exploitante, et son appréciation est toute aussi sévère.

Alors que la société exploitantene dispose d’aucune expérience antérieure dans l’exploitation de centrale à gaz, la Cour considère qu’elle ne démontre pas avoir contracté avec des constructeurs ou exploitants présentant des garanties. En effet, la société s’engage seulement, une fois les autorisations obtenues, à consulter les leaders du secteur. Elle produit aussi un document attestant de la conclusion avec une grande société internationale d’un accord de coopération fixant les éléments essentiels d’un éventuel futur contrat.

La Cour estime que la construction et l’exploitation auraient dû à tout le moins faire l’objet de protocoles d’accord.

  • Validation du raisonnement par le Conseil d’Etat et affirmation du caractère non « danthonysable » de l’insuffisance des capacités techniques et financières

En premier lieu, le Conseil d’Etat valide entièrement la démarche de la Cour administrative d’appel en estimant dans un attendu clair :

« que le pétitionnaire est tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières à l’appui de son dossier de demande d’autorisation (…) notamment justifier disposer de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien son projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site au regard, des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin en application des article L. 516-1 et L. 516-2 du même code ».

En second lieu, il ajoute que la démonstration de ces capacités étant l’une des conditions de délivrance  de l’autorisation d’exploiter « la cour n’avait pas à rechercher si les insuffisances du dossier de demande relatives aux capacités techniques et financières auraient pu nuire à l’information du public ou avoir une influence sur le sens de la décision prise par le préfet ».

Le Conseil d’Etat statue ici sur un argument de la société exploitante fondé sur la jurisprudence dite « Danthony » aux termes de laquelle un vice de forme n’entraîne l’annulation d’une décision que s’il a eu pour conséquence de nuire à l’information du public ou exercé une influence sur le sens de ladite décision.

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Il semble effectivement, au regard de l’appréciation portée par la Cour, qu’en l’espèce, la société exploitante ait fourni des informations trop peu détaillées sur son projet.

Il est surprenant qu’une fois en appel elle n’ait pas pris ses précautions en fournissant plus de détails. Rappelons en effet que le juge des installations classées statuant en plein contentieux, le demandeur a la possibilité de compléter sa demande d’autorisation jusqu’au jour du jugement sur ce point particulier des capacités techniques et financières (CE, 13 juil.2006,  n°285736).

Plus généralement, on peut regretter que les textes n’encadrent pas davantage cette obligation et laissent subsister un aléa important quant à l’appréciation qui sera faite au contentieux des capacités.