station-eoliennePar Etienne Pouliguen, juriste au Cabinet GREEN LAW AVOCAT

 

Par un arrêt en date du 19 mars 2013 (CAA Lyon, 19 mars 2013, n°12LY01618), la Cour administrative d’appel de Lyon est venue apporter des précisions sur l’application d’une règle d’urbanisme – à savoir l’article L. 111-3 alinéa 1 qui prévoit la possibilité de reconstruction à l’identique d’un bâtiment sinistré – dont l’éolien fait encore une fois les frais.

 

En effet, dans cette affaire, l’exploitant d’une éolienne ayant été endommagée par un incendie, avait sollicité un permis de construire en vue de sa reconstruction au titre de l’article L. 111-3 alinéa 1 du code de l’urbanisme, ce à quoi le Préfet avait répondu favorablement.

Cependant, c’était sans compter sur deux associations locales qui, relevant notamment que les formalités de l’étude d’impact et de l’enquête publique applicables alors au permis de construire éolien n’avaient pas été respectées, ont attaqué le permis de construire accordé.

En première instance, le tribunal administratif de Lyon leur donna raison et annula le permis de construire litigieux.

 

L’exploitant éolien, évidemment insatisfait d’une telle décision, interjette appel en soutenant notamment que l’article L. 111-3 alinéa 1 du code de l’urbanisme permettait au Préfet de délivrer un permis de (re)construction de l’éolienne sans que soient réalisées à nouveau une étude d’impact et une enquête publique, formalités déjà accomplies lors de la demande initiale de permis de construire.

De par cette argumentation, c’est tout naturellement autour de l’interprétation de l’article L. 111-3 alinéa 1 du code de l’urbanisme que les débats se sont orientés. Cependant, préalablement à l’étude de l’interprétation retenue par la Cour administrative d’appel, un bref historique de la disposition s’impose.

 

C’est en fait la loi pour la Solidarité et le Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000 qui, pour faciliter la réparation des dégâts causées par la tempête de 1999, a introduit à l’article L. 111-3 du Code de ku’rbanisme  une disposition autorisant la reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit par un sinistre lorsqu’il avait été régulièrement édifié.

Cette disposition a par la suite été remaniée par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 pour élargir son champ d’application à tous les immeubles ayant subi une démolition, quelle qu’en soit l’origine, depuis moins de 10 ans. Ainsi, désormais, peu importe que la démolition soit volontaire ou résulte d’un sinistre pour que la construction puisse être reconstruite à l’identique puisque le Code prévoit dorénavant :

« La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d’urbanisme en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié » (C. urb., art. L. 111-3, al. 1).

 

C’est cette version de la disposition que la Cour administrative d’appel de Lyon a eu à interpréter afin de déterminer si toutes les formalités déjà accomplies lors de la délivrance du permis de construire initial devaient être à nouveau respectées préalablement à la délivrance du permis de reconstruction.

 

Dans la première partie d’un considérant qui se veut de principe, les juge lyonnais décident que :

 « [l’article L. 111-3, alinéa 1]  n’a ni pour objet ni pour effet de dispenser le pétitionnaire et l’autorité d’urbanisme du respect des formalités prévues par les textes en ce qui concerne la présentation et l’instruction des demandes de permis de construire, quand bien même elles avaient été accomplies lors de la délivrance du permis initial et ce dernier fût-il récent ».

 

Cette affirmation, si elle semble de premier abord être complètement déconnectée du sens de l’article L. 111-3 alinéa qui donne par principe le droit à reconstruction d’un bâtiment sinistré ou démoli, n’en n’est pas moins l’aboutissement de jurisprudences déjà bien établies.

En effet, si le nouvel article L. 111-3 CU avait pu faire dire au juge judiciaire que ces nouvelles dispositions exemptaient une reconstruction après sinistre de permis de construire, cette interprétation s’est trouvée être isolée et rapidement démentie

– et par le gouvernement (Réponse à Q. n°15791, JO Sénat, Q. 28 avr. 2005, p1208)

– et par la plus haute juridiction administrative (Conseil d’Etat, 20 fév. 2002, n°235725) (« Considérant enfin que […] les dispositions de l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme dans leur rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000, aux termes desquelles : « La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée, nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d’urbanisme en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié », […] n’ont pour objet ou pour effet de dispenser la personne désireuse d’édifier une construction de solliciter un permis de construire avant d’entreprendre les travaux« ).

 

D’ailleurs, dans le même temps qu’il décide que les dispositions de l’article n’ont pas « pour objet ou pour effet de dispenser la personne désireuse d’édifier une construction de solliciter un permis de construire avant d’entreprendre les travaux », le Conseil d’Etat va plus loin en exigeant que la demande soit présentée dans les mêmes formes que celles prévues pour les nouvelles demandes de permis de construire par le code de l’urbanisme.

Cette exigence sera par la suite confortée et précisée par le juge qui décidera que « les dispositions (…) de l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme sont sans effet sur l’application des règles de procédure ou de compétence » applicable à une demande de permis de construire (CAA Lyon, 31 juil. 2012, n°12LY00839).

 

Et finalement, cette exigence se justifie amplement puisque sans demande de permis de construire, l’autorité administrative ne pourrait pas vérifier que les conditions posées par l’article L. 111-3 alinéa 1, sont remplies.

En effet, au sens de cet article, l’autorité d’urbanisme se doit de vérifier :

  • que le bâtiment détruit ou sinistré pour lequel est sollicité une reconstruction était régulièrement édifié (pour application : CAA Nantes, 15 fév. 2013, n°11NT01834) ;
  • que la destruction ou la démolition du bâtiment pour lequel est sollicité une reconstruction soit intervenue il y a moins de 10 ans (pour application : Conseil d’Etat, 9 mai 2012, n°341259 ; CAA Lyon, 31 juil. 2012, n°12LY00839) ;
  • que le projet de reconstruction est identique au bâtiment sinistré ou démoli (pour application : CAA Marseille, 7 févr. 2008, n° 05MA00811 ; CAA Douai, 5 juill. 2007, n° 06DA01662 ; CAA Lyon 2 févr. 2006, n° 02LY02286) ;
  • que les dispositions de la carte communale ou du plan local d’urbanisme applicables ne s’y opposent pas.

 

A ces conditions issues de la loi, la jurisprudence en a rajouté une. En effet, il aurait été étrange, voire pénalement répréhensible, que pour un bâtiment ayant connu un sinistre, l’autorité d’urbanisme n’ait pas à vérifier avant de délivrer le permis de reconstruction que la sécurité des occupants ne se trouve pas compromise.

C’est pourquoi, le Conseil d’Etat indique dans un avis que « le législateur n’a pas entendu donner le droit de reconstruire un bâtiment dont les occupants seraient exposés à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité. Il en va notamment ainsi lorsque c’est la réalisation d’un tel risque qui a été à l’origine de la destruction du bâtiment pour la reconstruction duquel le permis est demandé.

Dans une telle hypothèse, il y a lieu, pour l’autorité compétente et dans les limites qui viennent d’être définies, de refuser le permis de construire ou de l’assortir, si cela suffit à parer au risque, de prescriptions adéquates, sur le fondement de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme qui constitue une base juridique appropriée » (Conseil d’Etat, avis, 23 fév. 2005, Mme Hutin, n°271270).

 

Egalement, toujours dans l’intérêt de la sécurité des occupants du bâtiment sinistré sollicitant une reconstruction à l’identique, il a été décidé que les plans de préventions des risques naturels prévisibles (PRNP) étaient au nombre des dispositions d’urbanisme susceptibles de faire obstacle à la reconstruction (Conseil d’Etat, 17 décembre 2008, n°305409). D’ailleurs, cette jurisprudence a été récemment reprise par le législateur puisque la loi grenelle 2 du 10 juillet 2012 est venu modifier l’article L. 111-3 pour y insérer ces plans parmi les documents pouvant faire obstacle à la reconstruction.

 

Par conséquent, en étudiant en profondeur cette disposition, on comprend aisément qu’elle n’offre en rien un droit absolu de reconstruction pour les propriétaires d’un bâtiment sinistré ou détruit.

 

Tout au plus, permet-elle d’écarter l’application de toutes les autres dispositions d’urbanisme susceptibles d’être contraires, à savoir notamment, les dispositions de l’article R. 111-21 (Conseil d’Etat, 23 nov. 2005, n°279721) ainsi que celles résultant d’une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager, aujourd’hui remplacées par les Aires de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (même arrêt).

 

Force est alors de constater que les dispositions relevant du code de l’environnement ne sont pas écartées par le texte et par exemple, l’accord préalable du préfet exigé au titre de l’article L. 332-9 de ce code pour toutes modification de l’aspect ou de l’état d’une réserve naturelle est applicable à une demande de reconstruction fondée sur l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme (CAA Lyon, 12 oct. 2010, n°08LY02827).

 

Dans ces conditions, et en l’état de la jurisprudence, il semble tout de suite moins choquant que soit exigé par le juge lyonnais que la demande de reconstruction respecte les formalités prévues par les textes, et notamment celles prévues par le code de l’environnement, à savoir la réalisation d’une étude d’impact et la réalisation d’une enquête publique selon certains seuils.

 

 

 

Dans la seconde partie de son considérant, la Cour administrative d’appel juge que :

 « [L’article L. 111-3] impose en outre à [l’autorité d’urbanisme] de porter une appréciation sur le caractère de reconstruction à l’identique et sur l’existence d’un risque pour la sécurité publique, et ne procède donc pas d’une situation de compétence liée ».

 

Après ce qui vient d’être dit,  l’autorité d’urbanisme se devant de vérifier que le projet de reconstruction respecte certaines conditions, notamment celle relative à la sécurité publique prévue à l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, il aurait été difficile pour la Cour d’affirmer le contraire.

 

Il est vrai qu’en son temps, le tribunal administratif de Pau avait pu rendre une décision reconnaissant implicitement que lorsqu’elle était saisie d’une demande au titre de l’article L. 111-3, l’autorité administrative se trouvait en situation de compétence liée (TA Pau, 23 oct. 2003, M. Seguette, n°01-2170). Cependant, on ne manquera pas de relever qu’à cette époque, il n’était pas encore exigé de l’autorité d’urbanisme qu’elle vérifie si la reconstruction exposerait les occupants à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité.

 

Egalement, il convient de noter que la position de la Cour n’est pas réellement une nouveauté puisque le Conseil d’Etat, en imposant une appréciation sécuritaire  à l’autorité d’urbanisme (CE, avis, 23 fév. 2005, Mme Hutin) avait dans le même temps affirmé que : « L’exercice du pouvoir conféré par l’article R. 111-2 à l’autorité administrative de rejeter une demande de permis de construire ou d’assortir le permis accordé de prescriptions dans le cas où la construction envisagée porterait atteinte à la sécurité publique implique une appréciation des faits ; dès lors l’autorité administrative compétente ne se trouve pas, dans ce cas, dans une situation de compétence liée ».  

 

 

Par conséquent, la position de la Cour administrative d’appel de Lyon se justifie amplement en ce qui concerne l’appréciation sécuritaire à laquelle doit se livrer l’autorité d’urbanisme.

 

Toutefois, inclure l’appréciation du caractère de reconstruction à l’identique dans ce dispositif nous paraît quelque peu exagéré. En effet,  aux termes de la jurisprudence, seuls les projets de même surface, de même volume et de même aspect que le bâtiment sinistré ou détruit peuvent bénéficier de l’article L. 111-3 alinéa 1 (voir CAA Douai, 5 juill. 2007, n° 06DA01662 ; CAA Marseille, 7 févr. 2008, n° 05MA00811 ; CAA Lyon 2 févr. 2006, n° 02LY02286).

La notion de reconstruction à l’identique ayant été strictement interprétée, la vérification de cette condition par l’autorité d’urbanisme ne nous semble pas procéder d’une véritable appréciation.

 

Egalement, on ne peut que regretter que la Cour n’est pas été plus précise sur l’application à l’éolien de l’appréciation sur l’existence d’un risque à la sécurité publique à laquelle l’autorité administrative en charge de l’instruction de la demande de reconstruction doit se livrer.

En effet, l’avis Hutin du Conseil d’Etat de 2005 exige seulement de l’autorité administrative qu’elle vérifie si les occupants seraient exposés à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité et ce sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.

Or, une éolienne n’a par nature, pas d’occupants. Il aurait donc été judicieux de la part de la Cour d’expliquer que l’appréciation sécuritaire s’applique, le cas échéant, à tous les bâtiments et que celle-ci ne se limite pas à la sécurité des occupants.

D’ailleurs, l’absence de cette précision justifie peut-être que le juge lyonnais ait fait figurer dans son considérant l’appréciation du caractère identique de la reconstruction au côté de l’appréciation sécuritaire pour faire comprendre au requérant que quand bien même ce dernier critiquerait l’application de l’appréciation sécuritaire à une éolienne, l’administration ne se trouverait pas plus en situation de compétence liée.

 

Toujours est-il qu’en application de son considérant de principe, la Cour administrative d’appel décide que l’exploitant sollicitant un permis de construire pour une éolienne au titre de l’article L. 111-3 CU aurait dû produire une nouvelle étude d’impact, quand le préfet, lui, aurait dû faire procéder à une nouvelle enquête publique sur le projet de reconstruction avant de délivrer le permis de construire.

En l’absence, en l’espèce, de l’accomplissement de ces formalités, c’est naturellement que le juge rejette le recours de l’exploitant à l’encontre du jugement de première instance ayant prononcé l’annulation du permis de (re)construire.

 

 

En définitive, les principes que pose cet arrêt de la Cour d’appel de Lyon s’inscrivent dans la lignée de la jurisprudence administrative interprétant l’article L.111-3 du code de l’urbanisme. Cependant, peut-être serait-il bon que le législateur s’interroge sur l’intérêt d’une telle disposition si l’interprétation qui en a été donnée a pour effet de soumettre celui dont la construction a été sinistrée à toutes les formalités pourtant déjà accomplies et d’engendrer le risque pour ce dernier de se voir refuser la reconstruction pour des motifs totalement étrangers à l’urbanisme…