Le juge accélérateur des procédures environnementales

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) C’est sans doute dans l’air du temps : le droit de l’environnement moderne semble donner plus de moyens à l’administré, porteur de projet p pour obtenir du corps préfectoral et des DREALs qu’ils instruisent avec plus de célérité les dossiers ICPE d’enregistrement ou d’autorisation. On en prendra deux exemples récents en jurisprudence qui démontrent que même face au silence de l’administration, le juge peut être utilement mobilisé. I/ Les faits de la première espèce  (CAA Douai, 15 juin 2021, n° 20DA00218 ; téléchargeable  sur doctrine) concernent une procédure d’autorisation unique expérimentale d’un parc éolien. Sur le fondement de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, la société Ferme Eolienne de la région de Guise a présenté au préfet de l’Aisne, le 28 décembre 2016, une demande d’autorisation unique de construire et d’exploiter, sur le territoire des communes de Noyales et d’Aisonville-et-Bernoville, un parc éolien, composé de neuf aérogénérateurs et d’un poste de livraison. La société Ferme éolienne de la région de Guise a complété cette demande le 15 février 2018 et, alors que l’autorité environnementale, saisie le 23 avril 2018 du dossier de la demande, n’a émis aucune observation dans le délai du deux mois imparti par l’article R. 122-7 du code de l’environnement, une enquête publique, ouverte par arrêté préfectoral du 10 décembre 2018, s’est déroulée du 7 janvier au 7 février 2019 et s’est conclue par un avis favorable du commissaire-enquêteur émis dans un rapport établi le 5 mars 2019. Par un arrêté du 15 mai 2019, le préfet de l’Aisne, après avoir recueilli l’accord de la société pétitionnaire et afin de soumettre pour avis la demande à la formation sites et paysages de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, a prorogé le délai d’instruction de la demande de six mois, jusqu’au 5 décembre 2019. En vertu de l’article 20 du décret du 2 mai 2014 relatif à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, le silence gardé sur la demande par le représentant de l’Etat jusqu’à l’issue de la prorogation du délai d’instruction a fait naître, le 6 décembre 2019, un rejet implicite de la demande d’autorisation unique présentée par la société Ferme éolienne de la région de Guise, dont cette société a demandé les motifs par un courrier parvenu à la préfecture de l’Aisne le 5 février 2020. Si le préfet de l’Aisne a répondu à la société requérante dans le mois suivant sa demande de communication des motifs, par un courrier du 18 février 2020, cette lettre s’est bornée à indiquer que le dossier était toujours en cours d’instruction et qu’une décision serait rendue au plus tard le 5 mai 2020. Selon la Cour administrative d’appel de Douai, « Si le préfet de l’Aisne a répondu à la société requérante dans le mois suivant sa demande de communication des motifs, par un courrier du 18 février 2020, cette lettre s’est bornée à indiquer que le dossier était toujours en cours d’instruction et qu’une décision serait rendue au plus tard le 5 mai 2020.  Par suite, et alors qu’il ne résulte d’aucune pièce versée au dossier que le délai d’instruction de la demande d’autorisation ait été prorogé au-delà du 5 décembre 2019, la société pétitionnaire est fondée à soutenir que la décision rejetant sa demande d’autorisation unique, intervenue le 6 décembre 2019, est entachée d’un défaut de motivation. Il y a lieu dès lors de l’annuler pour ce motif ». En effet aux termes de l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ». Finalement au visa des articles L. 911-2 et L911-3 du code de justice administrative et égard au motif d’annulation retenu, la Cour enjoint au  préfet de l’Aisne, ceci dans le délai de deux mois et sous astreinte de 200 euros par jour de retard,  qu’il prenne une nouvelle décision sur la demande présentée par la société Ferme éolienne de la région de Guise. Cette solution vaut assurément sous l’empire du nouveau régime de l’autorisation environnementale. En  effet le silence gardé par le préfet à l’issue des délais prévus par l’article R. 181-41 pour statuer sur la demande d’autorisation environnementale (en principe dans les deux mois à compter du jour de l’envoi par le préfet du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur au pétitionnaire) vaut décision implicite de rejet (cf. art. R. 181-42 C. envir.). Ainsi tout comme son régime expérimental avant elle, la réforme de l’autorisation environnementale entrée en vigueur le 1er  mars 2017 met un terme à la jurisprudence Tchijakoff : le Conseil d’État jugeait que l’absence de prorogation du délai d’instruction à l’issue des 3 mois suivant la transmission du rapport du commissaire enquêteur (ancien délai imparti au préfet pour statuer) ne faisait pas naître de décision implicite de rejet et ne dessaisissait plus le préfet (CE, 9 juin 1995, Tchijakoff : JurisData n° 1995-046179 ; Rev. jur. env. 1996, p. 164 ; LPA 28 nov. 1997). Et totalement décomplexés, à l’instar de la CAA de Douai, les juges du fond se trouvent ainsi en mesure de contraindre l’administration à statuer au moyen  injonction assortie d’une astreinte. II/ La deuxième espèce (TA Amiens, référé, ord. 29 avril 2021, n°2101013 et 2101200 ; décision obtenue par le cabinet) est elle-aussi riche d’enseignements sur l’efficacité du recours cette fois au juge des référés. Il est question dans ce cas d’une installation de méthanisation…

Distance d’épandage : pas de suspension

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Comme nous l’avions évoqué, le Conseil d’Etat a statué en référé sur la possibilité de déroger aux distances d’épandages dans certains départements ce 15 mai 2020 par deux ordonnances (CE, ord. 15 mai 2020, n° 440346, Collectif des maires antipesticides et CE, ord. 15 mai 2020, n°440211, Association générationsfutures et autres). En effet, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques a instauré des distances de sécurité entre les zones traitées et les bâtiments habités, appelées ZNT pour Zone de Non Traitement. Ces zones sont de dix mètres pour les cultures dont la hauteur est supérieure à cinquante centimètres, de cinq mètres pour les cultures basses et vingt mètres pour les produits les plus dangereux. Ces distances peuvent être divisées par deux, à condition que l’agriculteur soit équipé de dispositifs anti-dérive et qu’une charte d’engagement entre agriculteurs et riverains soit signée par le préfet après consultation publique. Par ces temps difficiles de confinement, le Ministère de l’agriculture avait permis cette réduction des distances, sans la consultation publique. Par un premier recours, le collectif des maires antipesticides demandait au juge des référés de suspendre l’exécution du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 précisant les distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides près des habitations. Par un second recours, neuf associations demandaient la suspension d’une instruction technique du 3 février 2020 publiée par le ministre de l’Agriculture qui autorisait les agriculteurs, dans certaines conditions, à réduire les distances minimales fixées par l’arrêté et le décret du 27 décembre 2019, ainsi que la suspension d’un communiqué de presse et d’une lettre de mise en œuvre publiés le 30 mars 2020 sur le site du ministère de l’Agriculture qui permettaient, dans le contexte lié à l’épidémie de covid-19, de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant même que le projet de charte soit approuvé par le préfet et même soumis à concertation publique. S’agissant du recours présenté par le collectif des maires antipesticides, le Conseil d’Etat, rappelle la première demande déjà jugée le 14 février 2020. De nouveaux éléments sont présentés ici, dont une étude néerlandaise. Le collectif a précisé en outre le contexte particulier créé par l’épidémie de covid-19 et l’existence d’un lien entre la pollution de l’air et le développement des maladies respiratoires en général et du covid-19 en particulier. Le Conseil d’Etat estime néanmoins : « 8. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que l’étude néerlandaise, qui porte sur le cas particulier de la culture horticole dans laquelle l’usage des pesticides est particulièrement important, si elle souligne la grande capacité de dispersion des produits en cause, n’apporte aucun élément nouveau sur les effets d’une exposition à ces produits, qui plus est à des doses plus réduites compte tenu de leur diminution avec l’éloignement, sur la santé. Par ailleurs, si certaines études récentes, en particulier une étude italienne versée au dossier par le requérant, souligne la correlation entre les dépassements répétés du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 dans l’air survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, ces études ne portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen termes de l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des zones situées à proximité. Elles n’apparaissent pas, en l’état de l’instruction, de nature à remettre en cause l’avis rendu sur ce sujet par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l’arrêté du 27 décembre 2019 a retenu ». Ainsi les éléments présentés sont toujours insuffisants pour les juges qui estiment donc que la condition d’urgence n’est pas remplie. S’agissant du recours des associations, la Haute juridiction, qui statuait le 15 mai soit après le déconfinement, a relevé dans un premier temps, s’agissant de l’instruction technique, que : « 10. Il résulte cependant de l’instruction que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d’exposition des riverains aux produits en cause lorsqu’ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c’est particulièrement le cas dans la période actuelle. En outre, la mesure en cause, si elle permet aux agriculteurs, dans les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a été élaboré conformément aux exigences des articles D. 253-46-1-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime et de l’arrêté du 4 mai 2017 modifié et de son annexe 4, et soumis effectivement à la concertation publique, notamment par la mise en oeuvre effective des mesures de publicité prévues par l’article D. 253-46-1-3 de ce code, d’appliquer le contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, n’a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l’information à laquelle elles ont droit sur l’existence et le contenu d’un projet de charte ni du bénéfice d’une concertation effective avant l’approbation du projet de charte par le préfet. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que cette mesure soit de nature à présenter un risque imminent pour la santé ni à compromettre la concertation prévue par les articles R. 253-46-1-1 et suivants du même code ». Le Conseil d’Etat précise ici que l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail prend en compte la situation lorsque les riverains sont chez eux. Il précise également que la mesure concerne les départements dans lesquels un projet de charte d’engagements a déjà été élaboré. Cette instruction, dont les effets prendront fin le 30 juin, ne présente donc pas un risque imminent pour la santé et…

Guérilla juridique des associations contre l’épandage

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La pression des associations de protection de l’environnement contre l’épandage agricole est de plus en plus forte et prend même la forme d’une véritable guérilla en particulier devant le Conseil d’Etat. Première illustration : CE, ord. 20 avril 2020, n° 440005 L’association Respire a demandé au Conseil d’État, Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020, d’enjoindre au Gouvernement d’appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l’arrêté du 7 avril 2016, relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant. L’association requérante saisissait le juge des référés liberté du conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux termes : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». L’association Respire faisait valoir que : –    la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; –    selon les différentes études, notamment une étude chinoise de 2003 ainsi qu’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ; –    la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures Ainsi l’Association soutenait que la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 constitue un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules. Le juge des référés a tout d’abord relevé, se fondant sur les éléments qui lui ont été remis et les précisions réclamées à l’administration lors de l’audience, que, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d’alerte de pollution n’a été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020, période marquée par une forte réduction des pollutions issue de l’activité industrielle et des transports en raison des mesures de confinement, et que les dépassements du seuil d’information-recommandation avaient été moins importants qu’en 2019. Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires : « il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements. » Il faut bien comprendre…

refus de suspension d’arrêtés anti-pesticides : le TA de Cergy prend le maquis !

Par Maître David DEHARBE (Associé Gérant – Green Law Avocats) Par un arrêté du 20 mai 2019, le maire de Sceaux a interdit l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques sur le territoire de sa commune. Par ailleurs, le 13 juin 2019, l’utilisation de pesticides a été interdite par le maire de Gennevilliers pour l’entretien de certains espaces de son territoire. Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre ces décisions. C’est une première, par deux ordonnances du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette les déférés-suspension du préfet des Hauts-de-Seine relatifs aux arrêtés des maires de Sceaux et de Gennevilliers interdisant l’utilisation du glyphosate et des pesticides (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 8 novembre 2019, n°1912597 et 1912600). Pour cette juridiction, « eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique e l’environnement des produits que l’arrêté attaqué interdit sur le territoire de la commune de Gennevilliers et en l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale, le maire de cette commune a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées, en vertu des articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2212-4 précités du code général des collectivités territoriales, et ce alors même que l’organisation d’une police spéciale relative aux produits concernés a pour objet de garantir une cohérence au niveau national des décisions prises, dans un contexte où les connaissances et expertises scientifiques sont désormais largement diffusées et accessibles ». Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise prend ainsi à contre-pied les juges des référés de Besançon (TA Besançon, ord. 16 septembre 2019, n°1901464) et de Rennes (TA Rennes, ord. 27 août 2019, n°54-035-02/54-10-05/49-02-04/49-05-02 ) On relève en particulier que le juge des référés a constaté que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique :   « Il ne saurait être sérieusement contesté que les produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1  du  même  code ». En l’espèce, les maires de Sceaux et Gennevilliers ont interdit l’utilisation de ces produits dans les espaces fréquentés par le public, en raison notamment de l’importance des populations vulnérables sur leur territoire. Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause : « La  commune  de  Gennevilliers,  qui  compte  plus  de  46 000  habitants,  soutient  qu’elle subit une pollution considérable du fait des infrastructures majeures de transport présentes sur  son  territoire  et  que  l’arrêté  attaqué  limite  l’interdiction  des  produits  phytopharmaceutiques qu’il liste à l’entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des copropriétés, des bailleurs privés  et  privés  sociaux,  des  voies  ferrées  et  des  tramways  et  leurs  abords,  des  abords  des  autoroutes et routes qui la  traversent, où l’usage de ces produits est encore autorisé. La commune se prévaut, en outre, de l’importance des populations vulnérables sur son territoire et notamment celles accueillies dans ses treize écoles, trois collèges et un lycée et dans l’établissement de santé spécialisé   en   rééducation   fonctionnelle.   » (ord. n°  1912597) « La commune de Sceaux, qui compte plus de 20 000 habitants, fait valoir que les espaces verts couvrent la moitié de son territoire et que l’entretien des deux tiers d’entre eux n’est pas visé par  les  interdictions  des  produits  phytosanitaires  mentionnées  précédemment,  ce  qui concerne de nombreux espaces et équipements fréquentés par le grand public. Elle se prévaut, en outre, de  l’importance  des  populations  vulnérables  sur  son  territoire  parmi  lesquelles  les  enfants  qui  sont  accueillis  dans  huit  crèches,  huit  écoles,  deux  collèges  et  quatre  lycées  ainsi  que  les  personnes  âgées  résidant  notamment  dans  les  quatre  établissements  de  santé  situés  sur ce territoire. » (ord. n° 1912600) Cette motivation n’est certainement pas un revirement de jurisprudence mais d’appréciation de la situation de l’épandage des produits phytosanitaires. D’ailleurs, la juridiction ne manque pas d’emblée de faire valoir : « Il  résulte  des  dispositions  précitées  que  la  police  spéciale  relative  à  l’utilisation  des  produits  phytopharmaceutiques  a  été  attribuée  au  ministre  de  l’agriculture.  S’il appartient  au  maire,  responsable  de  l’ordre  public  sur  le  territoire  de  sa  commune,  de  prendre  les  mesures  de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières. » En effet de longue date le Conseil d’Etat a prévu une exception à l’interdiction qu’il fait au maire de s’immiscer dans une police spéciale environnementale : cette solution s’impose avec rigueur sous réserve d’un péril imminent relevant d’une appréciation locale. Rappelons ici les arrêts de principe. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État, sauf péril imminent. La solution jurisprudentielle est ancienne (CE, 22 janv. 1965, n° 56871,  Alix, Lebon p. 44 – CE, 15 janv. 1986, n° 47836,  Sté PEC-Engineering – Conseil d’Etat, 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine…

Le maire et les pesticides : pas d’immixtion !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) L’on sait que la jurisprudence du Conseil d’Etat (en matière d’ICPE, d’antennes relais, d’arrêté anti-OGM et d’installations de compteurs électriques communicants) est désormais parfaitement établie en matière de risques environnementaux ou sanitaires encadrés par une police spéciale, très souvent confiée au préfet département et/ou à un Ministre. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État. Et le principe de précaution ne saurait faire échec à cette solution : s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder  son  champ  de  compétence  et  d’intervenir  en  dehors  de  ses  domaines d’attributions (CE, du 26 octobre 2011, n°326492). C’est sur cette base jurisprudentielle que le tribunal administratif de Rennes a ordonné mardi 27 août (par une ordonnance référencée n° 1904033) la suspension de l’arrêté pris par Daniel Cueff, le maire de Langouët (Ille-et-Villaine), limitant l’épandage de pesticides sur sa commune à plus de 150 mètres des habitations (la décision est téléchargeable ici). Pourtant la défense du premier magistrat de Langouët s’est efforcée de puiser au plus de la hiérarchie des normes française pour essayer de justifier qu’en vertu de la police générale un maire puisse tout de même réglementer la prévention d’un risque environnemental et sanitaire. Ainsi une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a été posée au juge des référés. La défense mettait en cause  la  conformité au troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution des  articles  L.253-7,L.253-7-1,  R.253-45,  D.253-45-1  du  code  rural  et  de  la pêche  maritime  et  L.1311-1  et  L.1311-2  du  code  de  la  santé  publique en tant qu’ils instituent une  police spéciale  des  produits phytopharmaceutiques centralisée et déconcentrée mais non décentralisée privant sans motif la collectivité locale de tout pouvoir réglementaire. Mais pour le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, « il résulte des  termes  mêmes  des  articles  34  et  72 de  la  Constitution que  les collectivités territoriales s’administrent librement et disposent d’un pouvoir règlementaire  pour l’exercice de leurs compétences, dans les conditions prévues par la loi. Il n’en résulte aucune obligation pour le législateur de définir les circonstances dans lesquelles il  entend  réserver  à l’État ou à ses représentants, plutôt qu’aux collectivités  territoriales,  le  pouvoir  de  règlementer certaines  matières  et  encore  moins  de  justifier  des  raisons  de  son  choix.  Par ailleurs, les dispositions constitutionnelles précitées n’interdisent pas au législateur qui organise à l’échelon national une police spéciale dans un domaine particulier de prévoir que l’autorité administrative compétente soit désignée par la voie règlementaire ». De même, la défense invoquait encore l’inconventionnalité du principe de non immixtion de la police générale dans le cercle de la police spéciale en sollicitant que soit posée une question préjudicielle à la CJUE : «En cas de carence avérée d’un Etat membre pour promulguer sur toute l’étendue du territoire national les mesures concrètes de protection des personnes vulnérables exigées par les articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement  du Parlement européen  et  du  Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009,  les  principes  de  primauté  et d’effectivité du droit de l’Union, emportent-ils le droit et/ou le devoir pour toute autorité locale disposant  d’un  pouvoir  de  police  sanitaire,  de  prendre,  sur  l’étendue  de  sa  compétence territoriale, des mesures, au moins provisoires, de protection des personnes vulnérables au sens des textes précités?». Le juge refuse cette transmission au motif principal qu’un doute sérieux suffit pour prononcer la suspension. Mais il ajoute encore ce motif sans doute bien plus discutable : « En tout état de cause, aucun des textes et principes du droit de l’Union européenne invoqués par la commune de Langouët ne peut être sérieusement interprété comme emportant, en cas de carence ou de retard d’un État  membre,  le  droit pour toute collectivité territoriale disposant d’un pouvoir de police sanitaire, de prendre, dans la limite de sa compétence territoriale, des mesures de protection des personnes vulnérables, ne serait-ce qu’à titre provisoire. ». Ce d’autant que l’utilisation  des  produits phytopharmaceutiques,  qui,  quoique régie par le droit de l’Union européenne, fait l’objet de textes nationaux incomplets, en violation des articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009, en  ce  qu’ils  omettent  totalement  la protection des riverains des zones traitées, ainsi que l’a relevéle Conseil d’État dans sa  décision du  26  juin  2019  (nos 415426,  415431)  statuant  sur  une  requête  en annulation du décret du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et l’utilisation des produits  phytopharmaceutiques  et  de  leurs  adjuvants. Ainsi   le Conseil d’Etat dans son arrêt du 26 juin dernier avait donné au gouvernement jusqu’au 26 décembre pour revoir le dispositif sur l’application des pesticides et prévoir des mesures de protection des riverains. Daniel Cueff, a été le premier maire de France à avoir pris, le 18 mai dernier, un arrêté interdisant l’utilisation de pesticides «à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel». Depuis plusieurs maires et conseils municipaux ont décidé et voté la limitation des épandages de pesticides à plus de 150 mètres des habitations (le Perray-en-Yvelines, le conseil municipal d’Us dans le Val d’Oise)… ce contentieux va s’étoffer, affaires à suivre.