Guérilla juridique des associations contre l’épandage

shutterstock_1407648764Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)

La pression des associations de protection de l’environnement contre l’épandage agricole est de plus en plus forte et prend même la forme d’une véritable guérilla en particulier devant le Conseil d’Etat.

Première illustration : CE, ord. 20 avril 2020, n° 440005

L’association Respire a demandé au Conseil d’État, Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020, d’enjoindre au Gouvernement d’appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l’arrêté du 7 avril 2016, relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant.

L’association requérante saisissait le juge des référés liberté du conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux termes : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

L’association Respire faisait valoir que :

–    la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ;

–    la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

–    selon les différentes études, notamment une étude chinoise de 2003 ainsi qu’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ;

–    la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures

Ainsi l’Association soutenait que la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 constitue un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules.

Le juge des référés a tout d’abord relevé, se fondant sur les éléments qui lui ont été remis et les précisions réclamées à l’administration lors de l’audience, que, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d’alerte de pollution n’a été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020, période marquée par une forte réduction des pollutions issue de l’activité industrielle et des transports en raison des mesures de confinement, et que les dépassements du seuil d’information-recommandation avaient été moins importants qu’en 2019.

Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires :

« il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 µg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements. »

Il faut bien comprendre que le Conseil d’Etat considère bien l’étude italienne comme a priori pertinente dans ses constations scientifiques mais qu’elle porte néanmoins sur des dépassements des seuils de pollution qui, lorsqu’ils surviennent en France, donnent lieu à des mesures de restriction des activités polluantes conformément à ce que prévoit l’arrêté du 7 avril 2016.

Le juge des référés a toutefois rappelé qu’il incombe à l’administration française de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire :

« il incombe à l’administration, qui a confirmé lors de l’audience publique qu’elle assure une surveillance quotidienne des niveaux de pollution à la fois au plan central et au plan local, de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l’activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l’industrie et aux transports, la principale source d’origine humaine d’émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d’épandage. »

Cette réserve ouvre incontestablement la voie à des recours devant les Tribunaux administratifs contre les carences qui pourraient être commises par les préfets en la matière après le 11 mai, le déconfinement devant sans doute assez vite faire redevenir d’actualité les pics de pollution.

Deuxième illustration : un référé pendant contre les dispenses de consultation relatives aux ZNT

Remarquons par ailleurs que neuf associations (dont FNE et Eaux et rivières de Bretagne) ont encore saisi le Conseil d’Etat afin de faire échec à la possibilité de déroger aux distance d’épandages dans certains départements.

Sur la base des recommandations de l’Anses, des distances de sécurité ont été instaurées entre les zones traitées et les bâtiments habités par l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.

Depuis le 1er  janvier 2020, les agriculteurs doivent respecter des distances de sécurité entre les zones d’épandage et les habitations (des ZNT : pour Zone de Non Traitement), établies à dix mètres pour les cultures dont la hauteur est supérieure à cinquante centimètres, cinq mètres pour les cultures basses et vingt mètres pour les produits les plus dangereux (Décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation).

Un arrêté préfectoral au niveau département peut  ainsi diviser par deux la distance d’épandages des produits considérés comme les moins dangereux, à condition que l’agriculteur soit équipé de dispositifs anti-dérive et qu’une charte d’engagement entre agriculteurs et riverains soit signée par le préfet. Ces chartes, élaborées par les organisations syndicales agricoles ou la chambre d’agriculture, doivent être soumises à consultation publique (Art. D. 253-46-1-3 du code rural et de la pêche maritime), la décision appartenant néanmoins au final au préfet (cf. Art. D. 253-46-1-5 du code rural et de la pêche maritime).

Pendant le confinement, le Ministère de l’agriculture a ouvert la possibilité de réduire ces distances d’épandage sans cette consultation publique (cf. le communiqué de presse « Distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations » – cf. également : L’instruction technique (DGAL   /SDQSPV/2020-87) du 3 février 2020 et la note « éléments de mise en œuvre V4 du 30 mars 2020).

Compte-tenu de la difficulté à mener la concertation publique du fait de la crise sanitaire que nous vivons, l’État a donné la possibilité aux agriculteurs engagés dans un projet de charte, d’appliquer d’ores et déjà les réductions de distance. Ils doivent pour cela s’engager à mener la concertation dès que le contexte covid-19 le permettra et à transmettre la charte au préfet qui doit en accuser réception. Cette dérogation permet aux agriculteurs « engagés dans un projet de charte » et qui utilisent des dispositifs anti-dérive, d’épandre à cinq mètres des habitations pour les cultures hautes, trois pour les cultures basses, et ce, sans attendre la validation préfectorale du processus de consultation des riverains.

Trente départements ont d’ores et déjà autorisé la réduction des distances minimales pour l’utilisation de pesticides (Source : Actu-Environnement).

Les associations déposent deux recours devant le Conseil d’État : l’un sur le fond et l’autre en référé suspension contre l’ensemble décision que constitue  l’instruction technique du 3 février 2020, le communiqué de presse du Ministère de l’agriculture du 30 mars 2020 et  la note de mise en œuvre  précitée (cf. le communiqué de presse des associations requérantes).