Expérimentation d’un droit à déroger aux dispositions relatives à l’enquête publique dans les régions de Bretagne et des Hauts-de-France (décret n°2018- 1217)

Par Me Jérémy Taupin – Green Law Avocats Il faut noter au Journal Officiel du 26 décembre dernier la publication du décret n° 2018-1217 du 24 décembre 2018 pris en application des articles 56 et 57 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (loi ESSOC). Pour rappel, l’article 56 de la loi ESSOC prévoyait qu’à titre expérimental, la procédure de délivrance de l’autorisation environnementale, lorsque le projet a préalablement donné lieu à une concertation préalable prévue à l’article L. 121-15-1 du code de l’environnement sous l’égide d’un garant et dans les conditions prévues par son article L. 121-16-1, pouvait faire l’objet de la procédure dérogatoire suivante : l’enquête publique est remplacée par une participation du public par voie électronique dans les formes prévues à l’article L. 123-19 du code de l’environnement. Le contenu du dossier de participation est alors le même que celui du dossier d’enquête publique ; l’affichage de l’avis d’ouverture est effectué dans les mêmes communes que celles dans lesquelles aurait été affiché l’avis d’enquête publique en l’absence d’expérimentation ; cet avis mentionne : – la demande d’autorisation du projet ; – les coordonnées des autorités compétentes pour prendre la décision, celles auprès desquelles peuvent être obtenus des renseignements pertinents, celles auxquelles des observations ou questions peuvent être adressées ainsi que des précisions sur les conditions dans lesquelles elles peuvent être émises ; – la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de la participation et des autorités compétentes pour statuer ; – une indication de la date à laquelle et du lieu où les renseignements pertinents seront mis à la disposition du public et des conditions de cette mise à disposition ; – l’adresse du site internet sur lequel le dossier peut être consulté ; – le fait que le projet soit soumis à évaluation environnementale et que, le cas échéant, il est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement d’un autre Etat membre dans les conditions prévues à l’article L. 123-7 et le lieu où ce rapport ou cette étude d’impact peuvent être consultés ; – lorsqu’il a été émis, l’avis de l’autorité environnementale mentionné à l’article L. 122-7 ou à l’article L. 104-6 du code de l’urbanisme ainsi que du ou des lieu (x) où il peut être consulté. – l’adresse à laquelle des observations peuvent être transmises par voie postale. Le décret précise les régions concernées par l’expérimentation : il s’agit des régions de Bretagne et des Hauts-de-France, et ce pour une durée de trois ans à compter de la loi n° 2018-727, soit jusqu’au 11 août 2021. Elle fera l’objet d’une évaluation dont les résultats sont transmis au Parlement au plus tard six mois avant son terme. Les porteurs de projets dont la réalisation est prévue dans ces régions y seront donc particulièrement attentifs. Enfin, le décret prévoit par ailleurs une publication de l’avis de publicité des concertations préalables et des participations par voie électronique dans des journaux régionaux ou locaux ainsi que dans un journal à diffusion nationale pour les projets, plans et programmes d’importance nationale.

Régularisation de l’insuffisante présentation des capacités financières : le TA d’Amiens se lance !

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocat) Aux termes d’un jugement du 29 mai 2018 (n°1601137), le Tribunal administratif d’Amiens a annulé l’arrêté d’autorisation d’exploiter une porcherie pour insuffisance de la présentation des capacités financières dans le dossier soumis à enquête publique. Ce motif d’annulation est devenu extrêmement courant depuis que le Conseil d’Etat a décidé, ex nihilo et sans laisser le temps aux porteurs de projet de s’adapter, que le pétitionnaire doit justifier d’engagements fermes dès le stade de la demande d’autorisation (CE, 22 fév. 2016, n°384821). Parallèlement, le Tribunal a délivré à l’exploitant une autorisation d’exploiter temporaire de 12 mois, le temps que l’instruction soit régularisée et qu’une nouvelle autorisation soit délivrée. La première originalité de cette décision réside dans le choix du Tribunal de la fonder sans aucune référence au nouveau régime contentieux issu de l’autorisation environnementale (1) ; la seconde, dans la prescription finale du Tribunal : le Préfet doit se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières (2). Une illustration des pouvoirs de plein contentieux « classiques » du juge des installations classées Le Tribunal décide d’annuler l’autorisation tout en délivrant une autorisation provisoire. Pourtant, tous les critères des dispositions issues du I du nouvel article L. 181-18 du code de l’environnement étaient satisfaits. Le Tribunal aurait ainsi pu : soit annuler partiellement l’autorisation en tant que la phase de l’enquête publique avait été viciée (comme l’avait fait le Tribunal administratif de Lille, 25 avril 2017, n°n°1401947, également pour une insuffisance de présentation des capacités financières), soit prononcer un sursis à statuer aux termes d’un jugement avant dire droit dans l’attente de la régularisation du dossier (solution préconisée par le Conseil d’Etat dans son récent avis du 22 mars 2018, n°415852, là aussi dans le cadre de la problématique capacités financières). De même, en complément de cette décision d’annulation partielle ou de sursis à statuer, le Tribunal aurait pu décider d’appliquer cette fois le II de l’article L . 181-18 précité. Il aurait ainsi décidé de ne pas suspendre l’exécution, respectivement : soit des parties non viciées de l’autorisation, soit de l’autorisation elle-même, dans l’attente de sa régularisation dans le cadre du sursis. Mais là encore, le Tribunal a préféré faire usage du pouvoir classique de délivrance d’une « autorisation provisoire » le temps de la régularisation, en se fondant sur l’article L. 171-7 du code de l’environnement tel qu’interprété par la jurisprudence (les modalités de mise en œuvre sont rappelées dans l’avis du 22 mars 2018 précité), et non sur les nouvelles dispositions. Dans les deux cas, le résultat aurait été le même puisque le Tribunal aurait eu la possibilité de préciser dans son jugement que le vice de l’information du public constaté peut être régularisé par la seule mise à disposition du public des documents, tout en permettant à l’exploitant de continuer à exploiter le temps de cette régularisation. Le Tribunal démontre ainsi le caractère en réalité peu novateur des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement : le juge de plein contentieux disposait déjà de ces pouvoirs. 2. Un exemple de «  modalité de régularisation du vice de l’information autre que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique » La véritable innovation provient en réalité de l’avis du 22 mars 2018 qui permet la régularisation du vice de l’information du public, jusque-là non régularisable, et non du nouveau texte. Notons néanmoins qu’il est probable que l’ajout dans le texte de l’article L . 181-18 de la possibilité d’une annulation au stade d’une « phase de l’instruction » a certainement joué en rôle dans cette levée de verrou. Nous le chroniquions sur le blog de Green Law Avocats, aux termes d’un récent avis (22 mars 2018, n°415852), le Conseil d’Etat a ainsi clairement précisé que le juge des installations classées, face à une irrégularité procédurale ayant eu pour effet de vicier l’information du public, est susceptible de « fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». A la suite de cette décision, confronté au moyen tiré de l’absence d’autonomie de l’autorité environnementale ayant rendu l’avis sur l’étude d’impact du dossier, le Tribunal administratif d’Orléans (24 avr. 2018, n°1602358) a décidé d’interroger le Conseil d’Etat notamment sur ces modalités de régularisation du vice de l’information du public autres que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique. Nous nous interrogions dans notre commentaire : quelles sont ces modalités de publicité qui peuvent se substituer à une nouvelle enquête publique ? Enquête publique complémentaire, simple affichage sur le site internet de la Préfecture, mise en ligne sur le site officiel du demandeur… Doivent-elles d’ailleurs avoir une base légale ou peut-il s’agir de modalités ad hoc ? Surtout, doivent-elles permettre simplement l’information du public, ou également sa participation ? Comment doit raisonner le juge du fond ? En l’espèce, le Tribunal administratif d’Amiens prend ses responsabilités et prescrit directement au Préfet de se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières. Le Tribunal ne semble ainsi pas juger nécessaire qu’il y ait participation du public, c’est à dire que celui-ci soit en mesure de commenter les documents : ceux-ci doivent simplement être rendus publics. Ce qui somme toute est fort logique : le public aura tout loisir de saisir le juge de la nouvelle autorisation s’il juge les capacités encore insuffisantes et en ce sens le principe de participation est sauf.  Remarquons également que pour le Tribunal les modalités précises du dévoilement des documents restent à l’appréciation du Préfet, sous le contrôle du juge.

Processus d’évaluation environnementale : systématisation de la phase de dialogue entre le porteur du projet et l’autorité environnementale en amont de l’enquête publique (loi n° 2018-148 du 2 mars 2018 ratifiant les ordonnances relatives à l’évaluation environnementale, à l’information et à la participation du public)

Par Me Sébastien BECUE- Green Law Avocats   Le grand public a récemment pu mesurer l’importance cruciale du processus d’évaluation environnementale, propulsé au cœur du ballet médiatique par deux décisions successives des tribunaux administratifs de Paris et de Cergy-Pontoise qui annulent respectivement : la délibération autorisant la piétonnisation des berges de la rive droite de la Seine parisienne, et l’arrêté préfectoral créant la zone d’aménagement concerté du Triangle de Gonesse, au sein de laquelle doivent être réalisés une gare du Grand Paris Express, un centre d’affaires, et le monumental projet de centre commercial « Europacity » du groupe Auchan. Dans les deux cas, les tribunaux rappellent que les insuffisances de l’évaluation environnementale qui fondent l’annulation des deux décisions avaient été pointées de manière précise par l’autorité environnementale. Ces décisions doivent agir comme une piqure de rappel de l’impérativité pour les porteurs de projets de ne pas laisser leur demande d’autorisation partir en enquête publique sans avoir répondu méthodiquement aux critiques de l’autorité environnementale, ou de les avoir satisfaites par la production des compléments sollicités. En effet, après le passage en enquête publique, le dossier est figé dans ses éléments principaux : le principe d’information du public tel qu’interprété par la jurisprudence empêche toute évolution significative ultérieure, sauf à organiser une enquête publique complémentaire. Une telle enquête peut être une solution mais elle implique un retard dans le développement du projet qui peut parfois s’avérer problématique. Une fois l’autorisation délivrée, les opposants au projet piochent au sein les critiques de l’autorité environnementale consignées dans l’avis pour nourrir leur recours. Or, plus la réponse du porteur du projet à l’avis est développée et justifiée techniquement, moins la portée de l’avis de l’AE, au contentieux, se révèle absolue. Pour ces raisons, bon nombre de porteurs de projets habitués des procédures d’autorisation répondent déjà de manière argumentée aux avis des autorités environnementales au moyen d’un mémoire en réponse. Mais cette pratique reste encore trop peu répandue chez certains pétitionnaires, du fait soit qu’ils méconnaissent même cette possibilité, soit qu’ils la jugent trop coûteuse : la production d’un document complémentaire sérieux implique généralement d’avoir à nouveau recours à un bureau d’études. Toutefois, la pratique est désormais systématisée : la loi n° 2018-148 du 2 mars 2018 ratifiant les ordonnances relatives à l’évaluation environnementale, à l’information et à la participation du public, impose désormais : une réponse du maître d’ouvrage à l’avis de l’autorité environnementale, et l’inclusion de cette réponse dans le dossier d’enquête. C’est une véritable opportunité pour les porteurs de projets de sécuriser au mieux leurs dossiers.  

Plan de prévention des risques technologiques : une nouvelle application de la jurisprudence Commune de Saint-Bon-Tarentaise (CE, 6 déc.2017)

  Par Me Fanny Angevin- Green Law Avocats   Par une décision en date du 6 décembre 2017 (CE, n°400735, Mentionné aux Tables), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de savoir si la jurisprudence du Conseil d’Etat Commune de Saint-Bon-Tarentaise du 5 mai 2017 n°388902 pouvait s’appliquer à la concertation organisée pour l’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques. La décision Commune de Saint-Bon-Tarentaise avait mis fin à la jurisprudence Commune de Sainte-Lunaire, en considérant que l’illégalité de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un plan local d’urbanisme ne pouvait être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. C’est donc une décision intéressante pour les PPRT. Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sont encadrés par les articles L. 515-15 et suivants du code de l’environnement. Ces plans visent à réguler l’urbanisation autour de certaines installations dangereuses et à ces fins, peuvent prévoir des interdictions et des prescriptions particulières pour les constructions ou ouvrages environnants. La procédure d’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques est encadrée par l’article L. 515-22 du code de l’environnement. Cet article prévoit classiquement trois étapes à la procédure d’élaboration du plan : la concertation, la consultation des personnes associées et l’enquête publique. Par ailleurs, l’article L. 515-22 du code de l’environnement, en ce qui concerne la concertation, opère un renvoi vers les dispositions du code de l’urbanisme (ancien article L. 300-2 du code de l’urbanisme aujourd’hui aux articles L. 103-2 et suivants du code de l’urbanisme). C’est donc avec la même logique de concertation d’un document d’urbanisme que la procédure de concertation d’un plan de prévention des risques technologiques est en principe élaborée. Dans l’affaire présentée devant le Conseil d’Etat, les préfets d’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher avaient prescrit l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques visant à délimiter un périmètre de sécurité autour du site naturel de stockage souterrain de gaz au lieu-dit « Les Gerbaults » (Commune de Céré-la-Ronde). Par un arrêté commun en date des 19 et 24 décembre 2013, le plan a été approuvé. Une association de riverains et un particulier ont ensuite attaqué cet arrêté devant le Tribunal administratif d’Orléans, qui a l’a annulé par un jugement en date du 10 février 2015 au regard de l’insuffisante précision des modalités de concertation dans la délibération initiale. La Cour administrative d’appel de Nantes, par une décision en date du 15 avril 2016 n°15NT01185, a confirmé l’annulation du Tribunal administratif d’Orléans par adoption des motifs. Le Ministre s’est donc pourvu en cassation, soutenant que le moyen tiré de l’insuffisance des modalités de concertation qui sont définies initialement dans la délibération prescrivant l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques, était inopérant à l’encontre de la délibération ayant ultérieurement approuvé le même plan. Le Conseil d’Etat avait donc à examiner la question relative à l’application de sa récente jurisprudence Commune de Saint-Bon-Tarentaise du 5 mai 2017 (relative à un PLU) à l’élaboration d’un plan de prévention des risques technologiques. Pour plus de clarté, il convient de revenir sur l’apport de la jurisprudence précitée. En effet, l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme dans sa version applicable au litige (aujourd’hui codifié aux articles L. 103-2 et suivants du même code) indiquait que : « Les objectifs poursuivis et les modalités de la concertation sont fixés par […] le préfet […]. ». Or, depuis 2010, le Conseil d’Etat considérait de manière constante que la délibération prévoyant les modalités de concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ainsi que les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme, constituait dans ces deux volets, une formalité substantielle dont la méconnaissance entachait d’illégalité le document d’urbanisme approuvé (CE, 10 février 2010, Commune de Sainte-Lunaire, n°327149). Il convient d’ailleurs de noter que le document d’urbanisme approuvé était entaché d’illégalité et ce alors même que la concertation aurait respecté les modalités définies par le conseil municipal (arrêt précité du10 février 2010, n°327149). Cette jurisprudence avait entraîné l’annulation de nombreuses délibérations adoptant un plan local d’urbanisme qui emportaient ainsi l’annulation du document d’urbanisme (voir notamment à ce titre : CAA Douai, 27 novembre 2014, n°13DA01104 ; CAA Marseille, 13 avril 2016, n°15MA02002 ; CAA Nancy, 2 juillet 2015, n°14NC01767 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE00583 ; CAA Douai, 30 avril, 2015, n°14DA01249), ce qui pouvait avoir de lourds impacts pour les finances communales. Il convient néanmoins de noter que l’article L. 300-2 indiquait en son 5e alinéa que « Les documents d’urbanisme et les opérations mentionnées aux I et II ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la décision ou la délibération prévue au II ont été respectées. ». Le Conseil d’Etat a progressivement donné plus d’importance à cette disposition, afin d’éviter qu’une irrégularité qui s’est déroulée en début de procédure conduise à l’annulation du document d’urbanisme (voir notamment CE, 8 octobre 2012, n°338760). Ainsi, dans la décision précitée Commune de Saint-Bon-Tarentaise, le Conseil d’Etat a mis fin à la jurisprudence Commune de Sainte-Lunaire, en considérant que l’illégalité de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un plan local d’urbanisme ne pouvait être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. En effet, la Haute juridiction a estimé dans cette décision que : « si cette délibération est susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir, son illégalité ne peut, en revanche, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme » (CE, 5 mai 2017, n°388902). Le Rapporteur public dans cette affaire avait d’ailleurs précisé qu’il s’agissait « d’estimer, du fait des particularités de cette procédure, que cette irrégularité du tout premier acte est structurellement sans influence sur le dernier. » (Conclusions M. Louis DUTHEILLET de LAMOTHE sur CE, 5 mai 2017, n°388902). Le revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat visait donc à instaurer le fait que la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un document d’urbanisme est attaquable dans les délais de recours normaux, mais que…

Capacités financières et ICPE : pour une prise en compte du modèle économique du secteur d’activité en cause ! (TA Limoges, 14 déc.2017)

Par David DEHARBE- avocat associé GREEN LAW AVOCATS La jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821.) du Conseil d’Etat, parfois interprétée de façon bien trop stricte par certaines juridictions du fond, et relative aux capacités techniques et financières exigibles du demandeur à l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, n’en finit plus de faire des dégâts… Avec son jugement du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Limoges (TA Limoges 14 décembre 2017, Association Sources et rivières du limousin, n° 1500920) inscrit sa jurisprudence dans la série des annulations de projet pour défaut de la démonstration dans le DDAE de ces capacités et montre que le juge peut néanmoins utiliser ses nouveaux pouvoirs détenus depuis l’ordonnance du 26 janvier 2017. Cette annulation est couplée en l’espèce à un avis d’un commissaire enquêteur jugé irrégulier car ce dernier a osé s’exprimer sur la guérilla contentieuse que mènent certaines associations à la liberté de l’industrie, on se dit que le juge a définitivement perdu de vue la vocation de la police des installations à concilier cette liberté avec les intérêts du voisinage et plus largement de l’environnement … Revenons sur ce qui est finalement reproché au commissaire enquêteur. Aux termes du jugement :« L’intervention de l’association des sources et rivières du Limousin (SRL) n’avait pas d’autre objectif que de décrédibiliser le porteur du projet et les services de l’Etat, juste pour faire du sensationnel et montrer qu’elle existait », qu’« en faisant usage d’affirmations non vérifiées et pouvant avoir des incidences graves, SRL a pris le parti de la facilité et du tout négatif» et en s’interrogeant sur la « légitimité » de l’association à conserver « une habilitation au titre de la représentativité dans les instances régionales », le commissaire enquêteur doit être regardé, par ces remarques dépréciatives portées à l’encontre de l’association requérante, seule à avoir présenté des observations défavorables au projet, exprimé un parti pris initial favorable au projet ; que, dès lors, l’association sources et rivières du Limousin est fondée à soutenir que le commissaire enquêteur a manqué, en l’espèce, à son devoir d’impartialité ». Et au final le Tribunal d’en conclure : « que ce vice n’a pas, en l’espèce, exercé d’influence sur le sens de la décision prise par le préfet de la Creuse, il a privé le public de la garantie qui s’attache à l’expression par le commissaire enquêteur d’une position personnelle, émise de manière objective au vu de l’ensemble du dossier ». A croire que le public est plus bête de l’administration et qu’il faut le protéger. Assurément il faut le protéger des commissaires enquêteurs ….certainement pas en censurant l’autorisation mais en supprimant cette institution dont la médiation est bien inutile. En tout état de cause on ne voit pas en quoi cette « garantie » a porté atteinte au principe de participation … Ce défaut de démonstration d’une telle atteinte est sans doute insupportable pour le pétitionnaire. Ne l’est pas moins sans doute l’analyse faite en l’espèce de la question des capacités financières. D’emblée disons-le nous sommes bien conscients des conditions très particulières de la jurisprudence Hambrégie où était en cause un investissement de 772 millions d’euros nécessaire à l’installation d’une centrale à gaz, financés à 30% sur fonds propres et à 70% par dette bancaire!  Quand est en cause une usine à gaz comme celle en cause dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, on pourrait à la rigueur  comprendre que le Conseil d’Etat admette que le juge du fond puisse vérifier que les engagements des tiers sont des engagements « fermes ». Mais s’agissant de capacités qui doivent seulement être suffisamment « certaines », on ne saurait absolument pas exiger des établissements bancaires un engagement définitif pour le plus grand nombre des installations classées. Devant le Tribunal administratif de Limoges était mis en cause le fait que le préfet de la Creuse avait autorisé le propriétaire d’une usine de production d’électricité située sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire-le-Château, à disposer de l’énergie de la rivière « Le Thaurion » pour l’exploitation d’une modeste production d’énergie hydroélectrique. Mais, une association avait demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler cet arrêté. Or le Tribunal relève « que la notice d’impact produite par M. D. dans le dossier de demande d’autorisation mentionne que ce dernier possède une entreprise de travaux publics basée au Moutier d’Ahun, qu’il réalisera lui-même la partie du projet consacrée au génie civil et qu’il dispose des compétences et des connaissances suffisantes pour assurer ultérieurement le fonctionnement de la centrale avec l’assistance de prestataires spécialisés pour la partie technique ; que, par un courrier du 26 mars 2014 adressé au commissaire enquêteur et joint au dossier d’enquête publique, M. D. a également précisé qu’il «n’avait pas plus de capacités qu’un bon nombre de gestionnaires de ce type d’installation », qu’il était prévu l’assistance de prestataires spécialisés pour la partie électrique et que « pour le reste, [il pensait] pouvoir assumer », étant « responsable d’une petite entreprise de maçonnerie depuis 30 ans après 10 ans de conduite de chantier et qu’à ce jour cette entreprise n’est pas trop en mauvaise posture » ; que, par ce même courrier, s’agissant des capacités financières, l’intéressé s’est borné à exposer qu’un financement était prévu avec un apport personnel de 150 000 euros et que « pour le reste c’est la banque qui jugera de l’opportunité ou non de soutenir ce projet afin de le finaliser » ; que ces seules mentions n’étaient pas suffisantes pour apprécier la capacité technique et financière de l’exploitant à assurer le bon fonctionnement de l’installation en cause ». Et une nouvelle fois le principe de participation vient en creux interdire la régularisation par une simple Danthonysation du moyen : « les insuffisances de ces indications dans le dossier de demande d’autorisation ont eu pour effet de nuire à l’information complète du public et sont susceptibles d’avoir exercé une influence sur la décision du préfet de la Creuse, l’association sources et rivières du Limousin est fondée à soutenir que la notice d’impact est entachée d’insuffisance…