Impartialité et permis de construire : quand il est préférable pour l’autorité administrative de rester silencieuse

Impartialité et permis de construire : quand il est préférable pour l’autorité administrative de rester silencieuse

Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant et Mathilde ELLEBOUDT, juriste (Green Law Avocats)

Dans une récente ordonnance en date du 8 décembre 2022, le Tribunal administratif d’Amiens rappelle que le maire est tenu de respecter le principe d’impartialité lorsqu’il doit statuer sur une autorisation d’urbanisme (TA Amiens, 8 décembre 2022, n°s 2102509, 2102803).

Le nouvel article L600-1-1 du code de l’urbanisme est constitutionnel

Par Maître David DEHARBE, avocat gérant (GREEN LAW AVOCATS) Aux termes de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, modifié par loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt de ses statuts en préfecture est intervenu au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. La rédaction initiale de l’article inséré dans le code de l’urbanisme par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, dite « loi ENL » exigeait l’antériorité de l’association mais sans imposer ce délai d’un an. Et le Conseil constitutionnel avait déjà été saisi le 7 avril 2011 par le Conseil d’État (décision n° 345980), d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par une association, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, en vertu duquel le droit d’agir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation des sols n’est ouvert aux associations que si le dépôt de leurs statuts en préfecture est intervenu avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. A l’époque par une décision par sa décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, le Conseil constitutionnel avait déjà déclaré cet article conforme à la Constitution en jugeant que cette restriction ne portait atteinte ni au droit à un recours juridictionnel effectif ni à la liberté d’association, pas plus qu’au principe d’égalité. L’aggravation de l’ancienneté d’un an exigée par la loi ELAN a conduit le Conseil d’Etat, saisi à cette fin en cassation par une association d’un rejet de transmission d’une QPC par un juge des référés, à renvoyer cette question renouvelée au Conseil constitutionnel (CE 31 janvier 2022 n° 455122). Par une décision du 1er avril 2022 (Décision n° 2022-986 QPC du 1er avril 2022, Association La Sphinx), le Conseil constitutionnel valide la constitutionnalité de la nouvelle rédaction de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme. Le Conseil constitutionnel, suivant sa précédente jurisprudence considère tout d’abord qu’en adoptant cette disposition, « le législateur a souhaité que les associations qui se créent aux seules fins de s’opposer à une décision individuelle d’occupation ou d’utilisation des sols ne puissent la contester. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d’incertitude juridique qui pèsent sur ces décisions d’urbanisme et prévenir les recours abusifs et dilatoires” ». le juge constitutionnel relève ensuite que « les dispositions contestées restreignent le droit au recours des seules associations dont les statuts sont déposés moins d’un an avant l’affichage de la demande du pétitionnaire », ce qui sous-entend que laisse les autres associations ont encore accès au prétoire. Enfin, les sages relèvent que la restriction est cantonnée aux « décisions individuelles relatives à l’occupation ou à l’utilisation des sols ». Les griefs se réclamant de la liberté d’association et le principe d’égalité devant la loi sont également rejetés sans plus d’explication.

Centrale électrique du Larivot : lorsque le Conseil d’Etat piétine dans la lutte contre le changement climatique

Par Maître Marie-Coline GIORNO (Green Law Avocats) Pour reprendre les termes de l’ancien vice-président du Conseil d’Etat Bruno Lasserre lors des Regards croisés du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation sur le thème « L’environnement : les citoyens, le droit, les juges » en mai 2021 :  « la lutte contre le changement climatique n’en est pas moins devenue la « lutte-mère » ; celle qui, par son ampleur et le fait qu’elle concerne sans exception tous les êtres humains, symbolise aujourd’hui et donne son souffle au mouvement général en faveur de l’environnement. Elle se présente ce faisant comme un laboratoire dans lequel sont élaborés et testés de nouveaux moyens d’action juridiques, derrière lesquels se cachent en réalité le modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre demain, et à travers lesquels sont définies les réponses à la question : « quel monde allons-nous laisser aux générations qui nous succéderont ? ».  Le Conseil d’Etat aurait-il déjà oublié ces mots prononcés solennellement quelques mois auparavant ? Il est vrai que l’article 7 du décret n° 2017-457 du 30 mars 2017 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie de la Guyane (JORF n°0078 du 1 avril 2017) a prévu le remplacement de la centrale thermique de Dégrad-des-Cannes, très vétuste, par une nouvelle centrale thermique. Le principe de l’installation sur le territoire de la commune de Matoury, au lieu-dit Le Larivot, a été arrêté par une délibération de la collectivité territoriale de Guyane du 10 février 2017 et dont l’exploitation par la société EDF Production Insulaire (PI) a été autorisée par un arrêté du ministre en charge de l’énergie le 13 juin 2017. Par un arrêté du 19 octobre 2020 portant déclaration de projet, le préfet de la Guyane a déclaré le projet d’intérêt général et mis en compatibilité le plan local d’urbanisme de la commune de Matoury. Par un arrêté du 22 octobre 2020, le préfet a délivré une autorisation environnementale pour l’exploitation de cette centrale (signalé par Actu Environnement). Ce dernier arrêté a été suspendu par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane en date du 27 juillet 2021, prise sur le fondement de l’article L. 554-12 du code de justice administrative (consultable sur le site de juridiction). Cette ordonnance a été commentée par le Cabinet Green Law Avocats sur son blog et, à l’époque, nous nous interrogions déjà sur la présomption d’urgence retenue au regard de l’existence potentielle d’un intérêt public (CE Sect. 16 avril 2012 Commune de Conflans-Sainte-Honorine et autres, req. n° 355792, Lebon 153). Cette ordonnance a fait l’objet de deux pourvois et de deux demandes de sursis à exécution, présentés par la société EDF Production Insulaire et par la ministre de la transition écologique. Suivant les conclusions très étayées de son rapporteur public (disponibles ici), le Conseil d’État a annulé la suspension de l’autorisation environnementale de la future centrale électrique du Larivot décidée par le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane (CE, 10 février 2022, n° 455465, mentionné aux Tables du recueil Lebon : téléchargeable ci-dessous et sur doctrine). Le Conseil d’Etat avait plusieurs possibilités pour censurer l’ordonnance des référés. Il pouvait en effet censurer l’appréciation « radicalement erronée » (selon les termes du rapporteur public)  de la condition d’urgence. A cet égard, le rapporteur public estimait que la perspective de « black-out » du littoral guyanais où se trouve l’essentiel de la population constituait une atteinte d’une particulière gravité à l’intérêt général justifiant de ne pas faire jouer la présomption d’urgence (CE Sect. 16 avril 2012 Commune de Conflans-Sainte-Honorine et autres, req. n° 355792, Lebon 153). La sécurité d’approvisionnement présentent en effet un intérêt public auquel ni le Conseil d’Etat (CE, avis, 29 avril 2010, Burgaud, n°323179) ni la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, gde chambre, 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie ASBL, C 411/17) ne restent insensibles. Le Conseil d’Etat a toutefois préféré, suivant les conclusions de son rapporteur public, censurer l’ordonnance de référé du 27 juillet 2021 pour erreur de droit dans l’appréciation du doute sérieux à un double titre : > D’une part, en raison d’une mauvaise application de l’article L. 100-4 du code de l’énergie (I) > Et, d’autre part, en raison d’une mauvaise application de l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme (II). I/ Sur l’erreur de droit dans l’application de l’article L. 100-4 du code de l’énergie Le Conseil d’Etat a considéré, dans un premier temps, que : « la prise en compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie est prévue pour les autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité par l’article L. 311-5 du code de l’énergie et pour les autorisations environnementales lorsqu’elles tiennent lieu d’une telle autorisation en application de l’article L. 181-3 du code de l’environnement. Il en va en revanche différemment pour les autorisations environnementales qui ne tiennent pas lieu d’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité. » Il en a alors déduit : « qu’en jugeant comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’autorisation environnementale le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de prise en compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant de l’article L. 100-4 du code de l’énergie, alors que cette autorisation ne valait pas autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité au titre du code de l’énergie, laquelle avait été précédemment délivrée par un arrêté du 13 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a commis une erreur de droit. » Pour mémoire, l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité prévue par l’article L. 311-5 du code de l’énergie est délivrée par l’autorité administrative en tenant compte notamment de l’impact de l’installation sur les objectifs de lutte contre l’aggravation de l’effet de serre. Cette exigence vaut également pour les autorisations environnementales lorsqu’elles tiennent lieu d’une telle autorisation en application de l’article L. 181-3 du code de l’environnement. Le Conseil d’Etat estime qu’il en va en revanche différemment pour les autorisations environnementales qui ne tiennent pas lieu d’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité. Cette position soulève des…

Urbanisme: précisions sur l’étendue du droit à réparation de la partie civile en cas de construction sans permis, ultérieurement régularisée (Cass crim, 13 nov.2013)

Dans un arrêt en date du 13 novembre 2013, publié au Bulletin (Cass Crim.13 novembre 2013, n°12-84.430), la Cour de cassation rappelle que la Cour d’appel, saisie par une partie civile suite à la condamnation définitive d’un prévenu pour violation du permis de construire, est tenue de réparer le préjudice entre la date de construction litigieuse et celle de sa régularisation. En l’espèce, un permis de construire modificatif était intervenu après la condamnation pénale définitive pour construction sans permis, de sorte qu’une période intermédiaire s’était ouverte. La Cour d’appel de renvoi avait rejeté les demandes de réparations des parties civiles en appel au motif que l’infraction n’était pas constituée puisqu’un PC modificatif était, entre temps, intervenu, ce qui avait régularisé le permis initial La Cour de cassation censure cette appréciation en considérant qu’ «  il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe ; Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que les époux X… ont porté plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction en exposant qu’ils avaient fait l’acquisition, à La Croix-Valmer (Var), d’un appartement avec vue sur la mer et qu’après leur achat, la construction irrégulière d’une villa les avait privés de cette vue ; que M. Jean-Pierre Z…, responsable de l’exécution des travaux litigieux, renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir méconnu les prescriptions du permis de construire en augmentant la surface du garage de la villa, a été déclaré coupable de ces faits et dispensé de peine, l’infraction ayant été réparée par l’obtention d’un permis modificatif ; que, statuant sur l’action civile, les premiers juges ont déclaré la constitution de partie civile des époux X… irrecevable ; Attendu que, statuant sur le seul appel des parties civiles, l’arrêt attaqué déclare recevable leur constitution, puis, pour les débouter de toutes leurs demandes, retient que la perte partielle de vue trouve sa cause, non dans l’infraction, mais dans la construction, conforme aux règles de l’urbanisme pour avoir obtenu un permis modificatif ultérieur ; qu’ils ajoutent que les époux X…, qui ne pouvaient ignorer que de telles constructions étaient susceptibles d’être édifiées dans ce secteur urbanisé et prisé, ne démontrent pas l’existence d’un préjudice en lien direct avec l’infraction ; Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que M. Z… avait été définitivement condamné pour avoir édifié la construction litigieuse, la cour d’appel, qui était tenue de rechercher l’étendue du préjudice subi entre la date de la constatation de la construction irrégulièrement entreprise et celle de sa régularisation, n’a pas donné de base légale à sa décision ; D’où il suit que la cassation est encourue ; » La présente décision rappelle donc les contours du droit à réparation de la partie civile dans le cadre d’une procédure pénale engagée au titre d’une infraction au droit de l’urbanisme et souligne la nécessité pour les juridictions répressives d’apprécier ce droit à réparation eu égard à une condamnation devenue ou non définitive. La solution aurait été sans doute différente si un appel avait été formé par le prévenu et que ce dernier avait justifié d’un permis de construire modificatif permettant une régularisation de sa situation devant le juge d’appel. Cela doit donc conduire toute partie à un procès pénal, en matière d’urbanisme, à être vigilante sur les possibilités de régularisation et les incidences procédurales que cela peut avoir. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat