Par Maître Alix-Anne SAURET, Avocate collaboratrice (Green Law Avocats)
Par un arrêt du 31 octobre 2022 (n°443683 Inédit au recueil Lebon, téléchargeable ci-dessous) le Conseil d’État a mis fin au régime de déclaration systématique en application de la rubrique 3.3.5.0 de la nomenclature IOTA pour certains travaux de restauration de la continuité écologique.
Rappelons que cet arrêt s’insère dans un contexte jurisprudentiel témoignant d’une plus grande sévérité du juge administratif s’agissant des implications pour les porteurs de projet en matière de restauration de la continuité écologique des cours d’eau (voir également notre article sur les moulins victimes de la continuité écologique).
Dans cette espèce, le syndicat France Hydro électricité, la Fédération de sauvegarde des moulins, la Fédération des moulins de France et l’association des riverains de France demandaient à la Haute juridiction d’annuler pour excès de pouvoir :
- le h) de l’article 3 du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l’eau ayant institué une nouvelle rubrique 3.3.5.0 au sein de la nomenclature I.O.T.A ;
- l’arrêté ministériel du 30 juin 2020 définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant de cette même rubrique.
- d’arasement ou dérasement d’ouvrage en lit mineur ;
- de désendiguement ;
- de déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d’eau ou rétablissement du cours d’eau dans son lit d’origine ;
- de restauration de zones humides ;
- de mise en dérivation ou suppression d’étangs existants ;
- de reméandrage ou remodelage hydromorphologique ;
- de recharge sédimentaire du lit mineur ;
- de remise à ciel ouvert de cours d’eau couverts ;
- de restauration de zones naturelles d’expansion des crues ;
- des opérations de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans l’un des documents de gestion suivants, approuvés par l’autorité administrative :
- un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) visé à l’article L. 212-1 du code de l’environnement ;
- un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) visé à l’article L. 212-3 du code de l’environnement ;
- un document d’objectifs de site Natura 2000 (DOCOB) visé à l’article L. 414-2 du code de l’environnement ;
- une charte de parc naturel régional visée à l’article L. 333-1 du code de l’environnement ;
- une charte de parc national visée à l’article L. 331-3 du code de l’environnement ;
- un plan de gestion de réserve naturelle nationale, régionale ou de Corse, visé respectivement aux articles R. 332-22, R. 332-43, R. 332-60 du code de l’environnement ;
- un plan d’action quinquennal d’un conservatoire d’espace naturel, visé aux articles D. 414-30 et D. 414-31 du code de l’environnement ;
- un plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) visé à l’article L. 566-7 du code de l’environnement ;
- une stratégie locale de gestion des risques d’inondation (SLGRI) visée à l’article L. 566-8 du code de l’environnement ;
- des opérations de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans un plan de gestion de site du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres dans le cadre de sa mission de politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels tels qu’énoncés à l’article L. 322-1 susvisé.
Cette rubrique présentait l’avantage pour les porteurs de projet d’être exclusive des autres rubriques de la nomenclature. En pratique, cela signifiait que même lorsque les travaux envisagés auraient dû relever du régime de l’autorisation au titre d’une autre rubrique de la nomenclature I.O.T.A, le régime de la déclaration demeurait applicable à la demande au titre de de la rubrique 3.3.5.0.
C’est d’ailleurs précisément ce point que critiquaient les requérants en l’espèce, ceux-ci estimant que « l’exclusivité de l’application de la rubrique 3.3.5.0 avait pour effet de soumettre à déclaration tous les travaux ayant pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques « indépendamment de des risques et dangers qu’ils sont susceptibles de présenter au titre des dispositions de l’article 3 h) du décret du 30 juin 2020 s’agissant des risques relatifs à la gestion des risques d’inondation (PGRI) visé à l’article L. 566-7 du code de l’environnement ».
C’est ce même raisonnement qui a également conduit le Rapporteur public à proposer de censurer les actes attaqués au motif que ceux-ci méconnaissaient les dispositions de l’article L.214-2 et L.214-3 du code de l’environnement qui posent la distinction entre le régime de l’autorisation et de la déclaration pour les IOTA en fonction de leurs impacts sur l’environnement :
« La ligne de partage entre les deux régimes, qui s’inspire de celle applicable en matière d’ICPE, est tracée à l’article L. 214-2 et précisée à l’article L. 214-3. En vertu du premier de ces articles, les I.O.T.A sont définis dans une nomenclature établie par décret en Conseil d’Etat (codifiée à l’article R. 214-1) et soumis à autorisation ou à déclaration « suivant les dangers qu’ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques compte tenu notamment de l’existence des zones et périmètres institués pour la protection de l’eau et des milieux aquatiques ». En vertu des I et II de l’article L. 214-3 sont, d’une part, soumis à autorisation les I.O.T.A « susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles » et, d’autre part, soumis à déclaration les I.O.T.A « qui, n’étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. » Il résulte de ces dispositions que la frontière entre les deux catégories d’opérations dont il appartient au pouvoir réglementaire d’énumérer la liste ne saurait dépendre que de l’existence et de l’importance des incidences défavorables pour la ressource en eau, les milieux naturels, la santé et la sécurité publique, autrement dit de critères liés aux effets, et plus précisément aux effets prévisibles négatifs de l’opération considérée. Par conséquent, le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement rattacher au régime de déclaration l’ensemble des I.O.T.A, sans considération de leurs effets, au seul motif qu’elles participeraient d’un objectif, positif, de « restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques ». L’existence d’un tel objet apparaît certes de nature à exclure, en principe, l’existence d’effets négatifs en termes de biodiversité. En revanche, ce présupposé ne peut être admis en ce qui concerne les effets sur la sécurité publique et en particulier le risque d’inondation. De toute évidence, la destruction de barrages fluviaux en amont des agglomérations ou de digues en bordure du littoral urbain ou en contrebas de réseaux de voirie contribue à restaurer des fonctionnalités naturelles mais au prix de risques potentiellement majeurs en termes d’inondation et de sécurité publique. Pour prendre un exemple moins caricatural, les chantiers de « renaturation » des cours d’eau engagés depuis plusieurs années peuvent présenter des effets ambivalents en termes d’impact sur la gestion des crues, en décalant dans le temps et dans l’espace les effets des inondations, comme en témoignent les débats locaux parfois vifs sur certains projets de destructions des seuils. Or la nouvelle rubrique ne s’applique pas « sans préjudice » des autres, notamment des rubriques 3.1.1.0, 3.2.5.0 et 3.2.6.0 qui soumettent à autorisation, respectivement, les installations et ouvrages dans le lit mineur d’un cours d’eau constituant un obstacle à l’écoulement des crues, les barrages de retenue et les systèmes d’endiguement protégeant une zone exposée au risque d’inondation ou de submersion marine. Le décret attaqué dispose en effet que « la nouvelle rubrique est exclusive de l’application des autres rubriques de la présente nomenclature ». Et si le décret attaqué renvoie, de manière inhabituelle dans la nomenclature I.O.T.A, à un arrêté ministériel le soin de définir la liste des travaux relevant de la nouvelle rubrique, nous ne pensons pas que vous puissiez y voir un vecteur d’encadrement suffisant pour assurer le respect des critères législatifs, à défaut de toute précision apportée au niveau du décret. Au demeurant, l’arrêté du 30 juin 2020 pris pour son application, qui est également attaqué, ne comporte aucune référence aux effets prévisibles des opérations et les premiers travaux qu’il énumère concernent précisément les arasements d’ouvrage en lit mineur et les désendiguements. ».
C’est dans ce contexte que le Conseil d’État, faisant sien le raisonnement du Rapporteur public, décide de prononcer l’annulation des dispositions portant création de la rubrique 3.3.5.0 :
« Il résulte des dispositions de l’article L. 214-3 du code de l’environnement, citées au point 2 ci-dessus, que les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles notamment de présenter des risques pour la santé et la sécurité publiques, ou d’accroître notablement le risque d’inondation, doivent être soumis à autorisation. Si, ainsi que le soutient le ministre de la transition écologique, la création, dans la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau ou le fonctionnement des écosystèmes aquatiques, de la rubrique 3.3.5.0 regroupant les travaux ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et la soumission de ces travaux à un régime de déclaration a été prévue pour répondre à l’objectif de simplifier la procédure pour des projets favorables à la protection de ces milieux, au renouvellement de la biodiversité et au rétablissement de la continuité écologique dans les bassins hydrographiques, il ressort des pièces du dossier que certains de ces travaux, notamment quand ils ont pour objet l’arasement des digues et des barrages, mentionné au 1° de l’article 1er de l’arrêté du 30 juin 2020, auquel renvoient les dispositions litigieuses du décret attaqué, sont susceptibles, par nature, de présenter des dangers pour la sécurité publique ou d’accroître le risque d’inondation. Par suite, en soumettant à déclaration tous les travaux ayant pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, indépendamment des risques et dangers qu’ils sont susceptibles de présenter, les dispositions du h) de l’article 3 du décret attaqué méconnaissent l’article L. 214-3 du code de l’environnement. ».
Il convient à cet égard de préciser que le Conseil d’État fait ici le choix, pour tenir compte des déclarations au titre de la rubrique 3.3.5.0 déjà effectuées ou sur le point de l’être, de moduler les effets dans le temps de son arrêt et d’en reporter les effets au 1er mars 2023, en application de la jurisprudence AC ! (CE, Ass., 11 mai 2004, n°255886, Publié au recueil Lebon).