RESPONSABILITE CONTRACTUELLE DE L’AUTORITE CONCEDANT UN RESEAU DE CHALEUR : LOURDE CONDAMNATION

Pompe di ricircolo per liquidiPar Thomas RICHET Élève avocat chez Green Law

Voici un contentieux de la concession d’un réseau de chaleur qui doit retenir l’attention tant il est rare que des condamnations pécuniaires aussi lourdes soient prononcées par le juge (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 03/03/2017, 398901).

Par un contrat de concession conclu le 14 février 1997, la commune de Clichy-sous-Bois a concédé à la société Dhuysienne de chaleur (ci-après la « SDC ») son réseau public de distribution de chauffage urbain et d’eau chaude sanitaire. Cette concession portait sur le réseau primaire c’est-à-dire, sur la distribution de chaleur jusqu’aux postes de livraison mis à disposition par les abonnés.

La société coopérative immobilière pour le chauffage urbain (ci-après la « SCICU ») a souscrit une police d’abonnement pour alimenter en chauffage et en eau chaude sanitaire des copropriétés situées sur le territoire de la commune, notamment celles du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu (ci-après « les copropriétés du Chêne Pointu »).

A la suite de la liquidation judiciaire la SCICU, les copropriétés du Chêne Pointu n’ont pas pu contracter de nouvelles polices d’abonnement auprès de la SDC, leur syndicat étant incompétent en la matière. La SDC ayant fait part de son intention de ne plus fournir en chaleur ces deux résidences, la commune a décidé d’utiliser son pouvoir de coercition, en mettant en demeure la société de poursuivre la délivrance de la prestation sous peine de mise en régie de la concession, et ce, malgré l’absence de police d’abonnement.

Après s’être exécutée la SDC va rechercher la responsabilité contractuelle de la commune de Clichy-sous-Bois pour l’avoir obligée, via son pouvoir de coercition, à poursuivre ses prestations. Par un jugement du 17 septembre 2013, confirmé par un arrêt du 18 février 2016, dont la commune se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Montreuil a reconnu la responsabilité de la collectivité.

 

La commune soutenait devant le Conseil d’Etat que les clauses du contrat de concession et les principes régissant le service public imposaient à la SDC de poursuivre la fourniture en chaleur pour ces deux copropriétés.

 

L’absence de stipulations contractuelles justifiant l’usage d’un pouvoir de coercition

Dans un premier temps, la commune invoquait le manquement de la SDC à ses obligations contractuelles pour justifier l’usage de son pouvoir de coercition.

Elle soutenait d’abord que la SDC avait violé ses obligations contractuelles en ne fournissant pas en chaleur le réseau secondaire qui raccordait les postes de livraison aux usagers finaux. Or, le Conseil d’Etat relève que le contrat de concession ne portait que sur le seul réseau primaire.

La Haute juridiction administrative rejette également le moyen selon lequel le concessionnaire était tenu d’assurer ses prestations à destination des copropriétés du Chêne Pointu. En effet, le juge administratif relève que ces deux copropriétés, suite à la liquidation judiciaire de la SCIDU, n’étaient plus titulaires d’une police d’abonnement.

Enfin, le moyen selon lequel la SDC était tenue de rechercher la conclusion de polices d’abonnement de façon individuelle avec les copropriétaires des deux résidences est également rejeté car cette hypothèse n’était pas prévue au sein du contrat de concession. La commune n’établissait pas plus que les copropriétaires avaient recherché à bénéficier de polices d’abonnement individuelle.

 

Si les clauses du contrat de concession ne pouvaient justifier l’obligation faite à la SDC de poursuivre la délivrance de la prestation aux deux copropriétés, les principes régissant le service public, le pouvaient-ils ?

 

L’invocation contractuellement conditionnée des principes d’égalité des usagers devant le service public et de sa continuité

C’est sur cette seconde partie du pourvoi que la décision délivrée par le Conseil d’Etat est certainement la plus riche d’enseignements. En effet, la commune soutenait que la SDC était également tenue, au titre des principes de continuité du service public et d’égalité de traitement des usagers devant le service public, de fournir la prestation de chaleur litigieuse aux copropriétés du Chêne Pointu.

Les juges du Palais Royal considèrent que ces principes s’imposent au concessionnaire uniquement « dans les limites de l’objet du contrat et selon les modalités définies par ses stipulations ». Par conséquent, si les bénéficiaires ne remplissaient plus les conditions d’obtention de la prestation concédée, en l’espèce, la condition d’une police d’abonnement, le concessionnaire n’était nullement tenu de fournir la prestation à ces derniers.

De plus, si les principes de continuité du service public et d’égalité des usagers devant le service public peuvent constituer un motif d’intérêt général, fondement du  pouvoir de modification unilatérale du contrat (Cf. CE, 21 mars 1910, Compagnie générale française des tramways, Lebon 216), ces principes ne peuvent justifier l’utilisation du pouvoir de coercition qu’en cas de méconnaissance de ses obligations contractuelles par le concessionnaire. Ce qui n’était donc pas le cas en l’espèce.

Ainsi, le Conseil d’Etat reconnaît qu’en obligeant la SDC à s’exécuter la commune a commis une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité. Il condamne cette dernière à verser à la société concessionnaire une somme d’environ 1 500 000 d’euros.

Dans un contexte marqué par la multiplication des projets de réseaux de chaleur et par la réforme des contrats de concession (Cf. ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession), et au-delà de l’enseignement rendu sur l’application des grands principes du service public à ces contrats publics, l’arrêt démontre, une fois de plus, l’importance d’une rédaction sécurisée des dispositions de ce type de contrat qui peuvent engager les collectivités publiques sur plusieurs dizaines d’années et pour des sommes considérables.