Permis de construire – précisions utiles sur la portée des articles L.600-2 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme

Par Maître Marie KERDILES, Avocate collaboratrice (Green Law Avocats)

Le contentieux de l’urbanisme est régi par des règles procédurales propres à la matière, imposant au juge administratif un large panel d’outils pour éviter l’annulation sèche des permis de construire irréguliers mais régularisables.

L’on connait désormais bien le mécanisme de la « Danthonisation », issue du célèbre arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 2011, n°335033, Danthony, selon lequel un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

L’on connait moins bien les mécanismes de l’annulation partielle (article L.600-5 du code de l’urbanisme) ou du sursis à statuer (article L.600-5-1).

Pourtant obligatoire, le sursis à statuer impose que dans le cas où le juge constaterait un vice régularisable dans une autorisation d’urbanisme, il doit surseoir à statuer afin de laisser un temps déterminé au pétitionnaire pour régulariser ce vice.

C’est cette règle qu’est venu préciser le Conseil d’État dans un arrêt du 14 décembre 2022 (n°448013, téléchargeable ci-dessous).

En l’espèce, une pétitionnaire s’était vue opposer un refus de permis de construire pour la démolition partielle, la rénovation et l’extension d’un bâtiment existant en vue de la réalisation d’un immeuble collectif de douze logements.

Attaqué en justice, le refus est annulé par le TA de Rennes, qui enjoint au maire de prendre une nouvelle décision. Le jugement étant devenu définitif, la pétitionnaire confirme sa demande de permis de construire, et le maire délivre donc le permis.

Deux associations de défense du patrimoine local attaquent alors ce permis de construire. Après un rejet au TA, la CAA casse le jugement sans surseoir à statuer dans un raisonnement validé par le Conseil d’Etat.

D’une part, sur le fondement de l’article L.600-2 du code de l’urbanisme, le juge rappelle que lorsqu’un refus de permis fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire.

Il résulte de ce qui précède qu’en cas d’annulation de refus de permis de construire le pétitionnaire peut confirmer sa demande auprès du service instructeur, qui doit dans ce cas délivrer le permis. C’est seulement dans l’hypothèse où de nouvelles dispositions d’urbanisme interviennent postérieurement à la décision annulée, le maire peut délivrer un nouveau refus ou un permis avec de nouvelles prescriptions.

Toutefois, le juge estime que si la demande n’est pas simplement confirmée, mais que le projet fait l’objet de modifications dépassant de simples ajustements ponctuels, alors il s’agit d’un nouveau projet ; dans ces conditions, la demande doit être appréciée non au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles applicables à la date de cette nouvelle demande.

D’autre part, le juge rappelle, sur le fondement de l’article L.600-5-1, qu’un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

Ce Considérant confirme un arrêt récent de la Haute juridiction du 2 octobre 2020 (n°438318), et s’inscrit dans le mouvement de jurisprudence relatif aux modifications apportées aux permis de construire initiaux. Ainsi par exemple, en matière de permis de construire modificatif, le juge administratif estime que l’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif 1) tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, 2) dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même (CE, 26 juillet 2022, n°437765).

En application de cette règle, en statuant ainsi sans faire usage de l’obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le Conseil d’Etat juge que la cour :

On peut s’étonner de cette absence d’obligation de motivation dans la mesure où l’appréciation de l’impossibilité de régulariser un vice est laissé à l’appréciation implicite de la Cour, et potentiellement du Conseil d’Etat. Cette solution semble même aller au contraire du mouvement jurisprudentiel censé éviter les annulations sèches. On note toutefois que cette absence d’obligation ne vaut que dans le cas où la demande de régularisation n’est pas demandée par le pétitionnaire. Il est donc nécessaire de s’assurer, dans la défense des permis, de bien demander le bénéfice de l’article L.600-5-1 en cas d’irrégularité du permis.