Pas dévaluation environnementale pour le PPRN ?

shutterstock_150256718Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)

Dans un contexte de sécurisation des documents d’urbanisme, le Tribunal administratif de Poitiers considère par un jugement du 17 octobre 2019, que les plans de prévention des risques naturels (PPRN) ne sont pas soumis à évaluation environnementale après examen au cas par cas (TA Poitiers, 19 octobre 2019, n°1801913, 1801952.docx). L’absence de saisine par le Préfet de l’autorité environnementale compétente pour procéder à cet examen est alors insusceptible de fonder l’annulation d’un PPRN.

En l’espèce, le PPRN de la commune de La Couarde sur Mer a été approuvé en 2018 par le Préfet de la Charente-Maritime. À la suite d’évènements tempétueux, à l’instar de la tempête Xynthia en 2010 qui a provoqué de nombreux dégâts sur les côtes Atlantiques, les services de l’État ont procédé à la révision du document réglementaire du PPRN afin de l’adapter à la meilleure connaissance des phénomènes d’érosion littorale, de submersion marine et des incendies de forêt.

La révision du PPRN a cependant entraîné le classement en zone rouge Rs3 du secteur du Fonds des airs, constitué d’une cinquantaine de parcelles sur lesquelles sont installés un nombre important de caravanes, de mobil-homes et les locaux sanitaires qui leurs sont dédiés. La zone Rs3 correspond aux zones naturelles soumises aux submersions marines. Ainsi, cette zone est frappée d’une inconstructibilité de principe. Les occupants du secteur du Fonds des Aires ont donc entendu contester le PPRN afin d’obtenir la modification du zonage.

Pour ce faire, les requérants ont notamment fait valoir que « la décision dispensant d’une évaluation environnementale le plan de prévention des risques naturels de la commune de La Couarde sur Mer est entachée d’un vice de procédure dès lors qu’elle émane du préfet de la Charente-Maritime qui a également pris la décision approuvant le plan en litige ».

Faisant suite à la jurisprudence du Conseil d’État, le Tribunal administratif de Poitiers rejette ce moyen en considérant que les PPRN « ont été placés par le législateur hors du champ d’application de l’évaluation environnementale » et ce, en dépit des prescriptions textuelles en vigueur à ce jour.

En 2014, le Conseil d’État excluait toute évaluation environnementale pour les PPRN en ce qu’ils visent la protection des populations contre les risques naturels, alors même que ces plans sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (CE, 29 janvier 2014, n°356085).

Ici, le Conseil d’État s’était appuyé sur l’article 3 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. Cet article dispose que ne sont pas soumis à évaluation environnementale, « les plans et programmes destinés uniquement à des fins de défense nationale et de protection civile ». À noter que cette solution se justifie en ce que le Conseil d’État s’était basé sur le droit applicable à la date de l’arrêté attaqué (en 2006). Or, à cette époque, les PPRN n’étaient expressément soumis à aucune évaluation environnementale (décret n° 2005-613 du 27 mai 2005 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2004-489 du 3 juin 2004 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement).

Mais, la loi « Grenelle II » et son décret d’application, puis la loi « ELAN » en 2018 ont complété le champ d’application de l’évaluation environnementale. Ainsi, il ressort des textes en vigueur que les PPRN sont désormais soumis à la procédure d’évaluation environnementale au cas par cas (voir en ce sens l’article R. 122-17, II, 2° du code de l’environnement : « les PPRT et PPRN font partie des plans et programmes susceptibles de faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas »).

Cependant, le Tribunal administratif de Poitiers rejette toute possibilité pour l’autorité administrative de soumettre un PPRN à évaluation environnementale après examen au cas par cas, et ce au visa de l’article L. 122-4, V du code de l’environnement qui transpose l’article 3 de la directive du 27 juin 2001. Cet article dispose que « les plans et programmes établis uniquement à des fins de défense nationale ou de protection civile ainsi que les plans et programmes financiers ou budgétaires ne sont pas soumis à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale ». Pour le juge administratif, la circonstance que les PPRN visent la protection des populations contre les risques naturels suffit à les sortir du champ d’application de l’évaluation environnementale.

Néanmoins, ce principe général de non-soumission à évaluation environnementale des plans et programmes destinés à la protection civile n’est pas sensé s’appliquer aux PPRN en ce que ces derniers sont expressément soumis à évaluation environnementale. Ainsi, l’interprétation de l’article L. 122-4 du code de l’environnement par le Tribunal administratif de Poitiers va à l’encontre des dispositions de l’article R. 122-17 du même code. Ce faisant le Tribunal ne fait jamais que rendre sa primauté au droit communautaire au demeurant transposé par la loi nationale sur un texte réglementaire contraire.

Mais cette interprétation introduit également une incohérence jurisprudentielle au regard du champ d’application des procédures d’évaluation environnementale pour les documents de planification.

Il convient ici de se rapporter au régime juridique des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Les PPRT « ont pour objet de délimiter les effets d’accidents susceptibles de survenir dans les installations [classées pour la protection de l’environnement] et pouvant entraîner des effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques […] » (art. L.515-5 du code de l’environnement).

Les PPRN ont quant à eux pour objet de réglementer l’utilisation des sols en fonction des risques naturels auxquels ils sont exposés.

Ces deux documents visent donc la protection des populations soumises à un risque. Ils bénéficient du même régime juridique au titre de l’évaluation environnementale (art. R. 122-17, II, 2° du code de l’environnement).

Pour autant et contrairement aux PPRN, la jurisprudence n’exclut pas les PPRT du champ d’application de l’évaluation environnementale. Au contraire, le Conseil d’État dans un avis du 6 avril 2016 puis le Tribunal administratif de Lyon le 10 janvier 2019 réaffirment la soumission des PPRT à évaluation environnementale après examen au cas par cas (CE, 6e et 1e SST, 6 avr.2019, n°395916 ; TA Lyon, 10 janv. 2019, Société Plymouth Française, n°1609469 et commune de Solaize, n°1703560).

Au final néanmoins le moyen des requérants aurait du être rejeté, même à considérer qu’un PPRN devrait être soumis à autorisation environnementale.

Certes à l’occasion de la réforme de l’autorité environnementale, le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler les exigences de séparation fonctionnelle s’imposant entre l’autorité instructrice du projet et l’autorité environnementale qui émet un avis sur l’évaluation environnementale dudit projet (CE, 6e et 1e CR, 6 déc. 2017, n°400559 ; CE, 6e ch., 28 déc. 2017, n°407601).

Au regard de l’élaboration d’un PPRT, cette exigence de séparation fonctionnelle s’applique également entre l’autorité prenant la décision de dispense d’évaluation environnementale et l’autorité approuvant le plan (TA Lyon, 10 janvier 2019, Société Plymouth Française, n°1609469 et commune de Solaize, n°1703560). En raison de la similitude de leurs régimes juridiques, on en déduit que cette exigence peut se transposer à la procédure d’élaboration du PPRN.

Cette exigence s’est traduite dans la réglementation puisque selon l’article R. 122-17, IV, 2° du code de l’environnement, l’autorité compétente pour dispenser le PPRN d’évaluation environnementale est la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) et l’autorité compétente pour approuver le PPRN est le Préfet de région.

Or en l’espèce, les requérants soutenaient que la procédure d’élaboration du PPRN de La Couarde sur Mer ne respectait pas cette séparation puisque la décision de dispense d’évaluation environnementale du PPRN et la décision d’approbation du plan ont été prises par le Préfet de la Charente-Maritime. Le tribunal rejette cependant ce moyen au motif qu’en tout état de cause, aucune évaluation environnementale n’était exigée dans le cadre de l’élaboration du PPRN.

Mais à propos du régime de l’enregistrement ICPE, le Conseil d’Etat a récemment jugé : « Si les dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 citées au point 4 ont pour finalité de garantir que l’avis sur l’évaluation environnementale des plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soit rendu, avant leur approbation ou leur autorisation afin de permettre la prise en compte de ces incidences, par une autorité compétente et objective en matière d’environnement, il résulte clairement de ces mêmes dispositions que cette autorité est distincte de celle mentionnée à l’article 4, chargée de procéder à la détermination de la nécessité d’une évaluation environnementale par un examen au cas par cas ».

La méconnaissance de l’exigence de séparation fonctionnelle est ainsi inopérante au stade de choisir de la soumission même d’un projet à évaluation environnementale. Elle le serait sans doute s’agissant d’un projet.