P.I.G. contre N.I.M.B.Y. : l’indépendance des législations met K.O. le droit des déchets (CE, 30 mars 2015)

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Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Bien que les installations de stockage de déchets non dangereux soient nécessaires au service public de la gestion des déchets, la forte opposition locale contraint de nombreuses communes à faire obstacle à l’implantation de telles installations sur leur territoire. Face au syndrome « NIMBY », acronyme de l’expression « Not In My Back Yard », le code de l’urbanisme permet de déclarer certains projets « d’intérêt général » afin que l’autorité préfectorale puisse passer outre l’opposition de certaines communes.

Le régime des « projets d’intérêt général » méritait d’être éclairci sur certains points. Une décision du Conseil d’Etat du 30 mars 2015 est venue apporter quelques précisions nécessaires.

En l’espèce, le préfet de l’Essonne avait, par un arrêté du 13 mars 2009, qualifié de projet d’intérêt général l’installation d’un centre de stockage de déchets sur 19 hectares d’une petite commune de l’Essonne, Ce centre était destiné à recevoir annuellement, sur une période d’exploitation de dix années, 150 000 tonnes de déchets.

Deux communes, dont la commune sur laquelle devait être implanté le centre de stockage de déchets, et une association de protection de l’environnement ont saisi le tribunal administratif de Versailles d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Par un jugement du 13 décembre 2011, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande mais, en appel, la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté préfectoral litigieux.

La société qui devait procéder à l’exploitation du centre de stockage a alors formé un pouvoir en cassation.

Dernier rebondissement de cette affaire, le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles aux termes d’une décision du 30 mars 2015, sur conclusions conformes du rapporteur public (CE, 6ème / 1ère SSR, 30 mars 2015, n°375117).

Pour justifier son annulation de l’arrêt de la Cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat se fonde sur trois motifs.

En premier lieu, la Cour administrative d’appel de Versailles avait annulé l’arrêté du 13 mars 2009 en se fondant notamment sur le fait qu’il méconnaissait les dispositions du 2° de l’article R. 121-3 du code de l’urbanisme au motif qu’aucune personne publique n’envisageait de recourir à l’expropriation pour la réalisation du projet.

Aux termes de ces dispositions, alors en vigueur : ” Peut constituer un projet d’intérêt général au sens de l’article L. 121-9 tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique et répondant aux conditions suivantes : / 1° Etre destiné à la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipement, au fonctionnement d’un service public, à l’accueil et au logement des personnes défavorisées ou de ressources modestes, à la protection du patrimoine naturel ou culturel, à la prévention des risques, à la mise en valeur des ressources naturelles ou à l’aménagement agricole et rural ; / 2° Avoir fait l’objet : / a) Soit d’une délibération ou d’une décision d’une personne ayant la capacité d’exproprier, arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ; / b) Soit d’une inscription dans un des documents de planification prévus par les lois et règlements, approuvé par l’autorité compétente et ayant fait l’objet d’une publication (…) ” ;

Le Conseil d’Etat censure l’analyse de la Cour administrative d’appel de Versailles pour erreur de droit. Il estime que « peut constituer un projet d’intérêt général un projet ayant fait l’objet d’une délibération ou d’une décision émanant d’une personne ayant la capacité d’exproprier, que celle-ci ait ou non l’intention de recourir à l’expropriation pour la réalisation de ce projet ».

Le Conseil d’Etat considère donc qu’il suffit d’avoir la capacité d’exproprier pour créer un PIG, sans qu’importe l’intention de recourir ou non à l’expropriation pour la réalisation du projet. Le Conseil d’Etat se livre ainsi à une interprétation littérale de l’article R. 121-3 du code de l’urbanisme, interprétation préconisée par le rapporteur public.

En deuxième lieu, la Cour administrative d’appel de Versailles avait jugé que le préfet ne pouvait, en l’absence d’adoption par la région d’Ile-de-France d’un plan d’élimination des déchets, et sur la base d’estimations réalisées par ses services, reconnaître à une installation de stockage de déchets le caractère d’un projet d’intérêt général.

Une fois encore, le Conseil d’Etat censure cette analyse pour erreur de droit.

Rappelons qu’aux termes de l’article R. 121-3 du même code, alors en vigueur : “ Peut constituer un projet d’intérêt général au sens de l’article L. 121-9 tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique et répondant aux conditions suivantes : / 1° Etre destiné à la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipement, au fonctionnement d’un service public, à l’accueil et au logement des personnes défavorisées ou de ressources modestes, à la protection du patrimoine naturel ou culturel, à la prévention des risques, à la mise en valeur des ressources naturelles ou à l’aménagement agricole et rural ; / 2° Avoir fait l’objet : / a) Soit d’une délibération ou d’une décision d’une personne ayant la capacité d’exproprier, arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ; / b) Soit d’une inscription dans un des documents de planification prévus par les lois et règlements, approuvé par l’autorité compétente et ayant fait l’objet d’une publication (…) ” .

Aux termes de l’article R. 121-4 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : ” Le projet mentionné à l’article R. 121-3 est qualifié de projet d’intérêt général par arrêté préfectoral en vue de sa prise en compte dans un document d’urbanisme. Cet arrêté est notifié à la personne publique qui élabore le document d’urbanisme. Pour l’application de l’article L. 123-14, le préfet précise les incidences du projet sur le document. (…) ” .

Par ailleurs, aux termes de l’article L. 541-14 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : ” I. – Chaque département est couvert par un plan départemental ou interdépartemental d’élimination des déchets ménagers et autres déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales. L’Ile-de-France est couverte par un plan régional. / II. – Pour atteindre les objectifs visés aux articles L. 541-1 et L. 541-24, le plan : / 1° Dresse l’inventaire des types, des quantités et des origines des déchets à éliminer, y compris par valorisation, et des installations existantes appropriées ; / 2° Recense les documents d’orientation et les programmes des personnes morales de droit public et de leurs concessionnaires dans le domaine des déchets ; / 3° Énonce les priorités à retenir compte tenu notamment des évolutions démographiques et économiques prévisibles : / a) Pour la création d’installations nouvelles, / et peut indiquer les secteurs géographiques qui paraissent les mieux adaptés à cet effet ; / b) Pour la collecte, le tri et le traitement des déchets afin de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement compte tenu des moyens économiques et financiers nécessaires à leur mise en oeuvre. / III. – Le plan tient compte des besoins et des capacités des zones voisines hors de son périmètre d’application et des propositions de coopération intercommunale. / IV. – Il prévoit obligatoirement, parmi les priorités qu’il retient, des centres de stockage de déchets ultimes issus du traitement des déchets ménagers et assimilés. (…) “.

Enfin, aux termes du premier alinéa de l’article L. 541-15 du même code : ” Dans les zones où les plans visés aux articles L. 541-11, L. 541-13 et L. 541-14 sont applicables, les décisions prises par les personnes morales de droit public et leurs concessionnaires dans le domaine de l’élimination des déchets et, notamment, les décisions prises en application du titre Ier du présent livre doivent être compatibles avec ces plans “.

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que : « la qualification d’un projet d’intérêt général […] a pour seul objet sa prise en compte dans un document d’urbanisme et doit conduire à la révision ou la modification du document existant ; qu’eu égard à son objet, l’arrêté qualifiant un projet d’intérêt général ne constitue pas une décision prise dans le domaine de l’élimination des déchets au sens de l’article L. 541-15 du code de l’environnement ».

Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que la qualification d’un projet d’intérêt général relève de la législation urbanistique et non de celle sur les déchets. Le principe d’indépendance des législations sous-tend cette analyse.

Le Conseil d’Etat ajoute ensuite que « les dispositions de l’article L. 541-15 du code de l’environnement ni aucune autre disposition ne s’opposent à ce que l’Etat décide, au vu d’une évaluation des nécessités en matière d’élimination des déchets, d’un projet d’intérêt général concernant un centre de stockage de déchets alors même que le plan d’élimination des déchets prévu par l’article L. 541-14 précité n’aurait pas été édicté par l’autorité compétente ».

Les projets d’intérêt général ne sont donc pas conditionnés par l’existence d’un plan d’élimination des déchets. Cette position peut surprendre surtout que l’objectif du P.I.G. est de créer, à terme, une installation d’élimination des déchets. Une fois encore, le Conseil d’Etat rappelle à mots couverts le principe d’indépendance des législations entre la législation sur les déchets et celle de l’urbanisme et fait une exacte application du principe qu’il vient de poser.

Cette position du Conseil d’Etat permet également de dessiner les contours du régime des plans d’élimination des déchets. En effet, la Haute Juridiction rappelle incidemment que parmi les décisions prises « dans le domaine de l’élimination des déchets » figurent, notamment, les décisions prises au titre de la législation du livre V « Prévention des pollutions, des risques et des nuisances » du code de l’environnement. Seules les décisions prises dans le domaine des déchets, domaine entendu strictement au sens « environnemental » du terme doivent être compatibles avec ces plans. Il est dès lors parfaitement cohérent que les décisions prises au titre de la législation sur l’urbanisme ne soient pas soumises à une obligation de compatibilité avec les plans d’élimination des déchets.

Notons que la formation de jugement a suivi les conclusions du rapporteur public qui l’a, par un adroit raisonnement par analogie, guidé sur ce terrain.

Enfin, en troisième et dernier lieu, la Cour administrative d’appel de Versailles avait jugé que les inconvénients du projet contesté résultant de la diminution des terres agricoles et de son éloignement de l’agglomération la plus importante de l’Essonne étaient de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique.

Le Conseil d’Etat estime qu’elle a inexactement qualifié les faits de l’espèce et refait un bilan des intérêts en présence.

Après avoir rappelé le considérant de principe (initié par : CE, 28 mai 1971, « Ville nouvelle Est », n° 78825, Lebon 409) selon lequel « une opération ne peut être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente », il considère « qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d’une part, que le projet contesté entend répondre à l’insuffisance des capacités d’enfouissement des installations de stockage de déchets ultimes non dangereux en Ile-de-France, et plus spécifiquement en Essonne, d’autre part, que le choix du lieu d’implantation ne contrevient pas, en l’espèce, à l’objectif de limitation de la distance du transport des déchets prévu par l’article L. 541-1 du code de l’environnement, eu égard notamment à la pénurie d’installations de traitement pour les déchets produits dans le département de l’Essonne, et qu’enfin, le site du projet contesté occupera une part très limitée, de l’ordre de 1,6 %, des terres agricoles de la commune de Saint-Escobille ».

En conséquence, le bilan établi par le Conseil d’Etat est très favorable à l’intérêt général du projet pour le département de l’Essonne, au détriment de l’intérêt des requérantes.

Les conclusions du rapporteur public éclairent cette analyse du Conseil d’Etat. Il considère en effet nécessaire « de censurer la cour, dont l’appréciation reste pénétrée du poids qu’a pris, dans son raisonnement, l’absence de plan régional à la date de l’arrêté attaqué. Et son bilan en est irrémédiablement affecté : elle ne fait en effet qu’additionner des inconvénients […] Manquent au bilan les aspects positifs du projet soumis à la cour ». Le bilan des intérêts en présence aurait, par conséquent, été faussé car seuls seraient entrés dans la balance de la Cour les aspects négatifs du projet.

Le Conseil d’Etat met donc fin au débat concernant la qualification de projet d’intérêt général de ce centre de stockage de déchets de Saint-Escobille et demande à la Cour administrative d’appel de se prononcer à nouveau.

***

Par cette décision, il est certain que le Conseil d’Etat a voulu sanctionner la position audacieuse de la Cour administrative d’appel de Versailles et a procédé à un certain nombre de précisions sur le régime des P.I.G. et sur celui des plans d’élimination des déchets. Sa position a été déterminée par le principe d’indépendance des législations, souvent malmené en droit de l’environnement, et qu’il convenait de réaffirmer.

Les précisions apportées par le Conseil d’Etat dans cette décision étaient nécessaires et bienvenues. Par ailleurs, le Conseil d’Etat montre également dans cette décision qu’il est réticent à faire évoluer trop vite sa jurisprudence sur les déchets. Lorsqu’il a établi le bilan des intérêts en présence et reconnu l’utilité publique du P.I.G., il aurait pu, au contraire, faire prévaloir le principe de proximité dans la gestion des déchets et encourager des modes de traitement des déchets autres que l’élimination (préparation en vue de la réutilisation, recyclage, toute autre valorisation et, en dernier recours, élimination), conformément aux objectifs fixés à l’article L. 541-1 du code de l’environnement. Tel n’a pas été son choix. Le Conseil d’Etat a préféré conserver une vision classique de l’utilité publique en faisant primer le service public des déchets sur les considérations environnementales de l’article L. 541-1 du code de l’environnement.

Certains se risqueront sans doute à une lecture plus sociologique et politique de la solution. Dans l’hypothèse où le Conseil d’Etat faisait prévaloir le principe de proximité dans la gestion des déchets dans son bilan des intérêts en présence, cette position aurait sans doute impliqué l’implantation d’un centre de stockage de déchets ultimes à proximité des zones très urbanisées du nord de l’Essonne. Or, plutôt que d’avoir une opposition de villes entières du nord de l’Essonne contre ce projet, seuls quelques villages isolés du sud de l’Essonne protestent en clamant « Not in my back yard »…