Par David DEHARBE (Green Law Avocat)
Dans sa rédaction tirée de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 (Journal Officiel 13 Novembre 2013), l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 (L. n° 2000-321, 12 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations) prévoit désormais que le silence gardé pendant deux mois par l’Administration sur une demande vaut décision d’acceptation.
Près de 1200 exceptions à ce principe ont été instituées par une administration qui a voulu s’octroyer des délais en tous genres pour maintenir le principe du silence valant rejet. Jamais sans doute nos administrations centrales n’auront aussi bien fait la preuve de leur capacité à neutraliser les objectifs des politiques publiques qu’elles ont pourtant pour mission de mettre en œuvre. Mais dès lors que le législateur lui-même leurs donnait des bases juridiques pour instaurer par la voie réglementaire des exceptions au principe, il ne faut pas s’étonner qu’elles se soient multipliées.
Le juriste environnementaliste n’a pu que lister celles très nombreuses le concernant (Décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014) :
– pour l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (Articles L. 122-1, L. 122-3 et R. 122-14 du code de l’environnement), le silence vaut toujours rejet selon des délais prévus par la législation particulière au projet ;
– pour l’Autorisation unique de l’expérimentation d’installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement (articles L. 214-3 et suivants du code de l’environnement), le délai de refus est celui prévu par les textes visés ;
– pour la dérogation individuelle à un arrêté ministériel de prescriptions générales applicable à une ICPE soumise à autorisation (2ème alinéa de l’article L. 512-5), le délai de refus est de deux mois ;
– s’agissant de l’édiction de prescriptions spéciales sur demande d’un tiers pour une ICPE soumise à déclaration (Article L. 512-12 du code de l’environnement), le délai de refus est de deux mois ;
– pour l’autorisation temporaire d’exploiter une ICPE pour une durée de 6 mois renouvelable une fois (Article R. 512-37 code de l’environnement), le délai de refus est de 6 mois
– pour la modification des prescriptions applicables à l’installation sur demande de l’exploitant d’une ICPE soumise à déclaration (Article R. 512-52), le délai de refus est de 3 mois ;
– s’agissant de l’autorisation de changement d’exploitant pour les installations soumises à garanties financières par les 3° et 4° de l’article R. 516-1 (Article R. 516-1), le délai de refus est de 3 mois ;
– pour la dérogation à l’interdiction d’opérer des mélanges de déchets dangereux de catégories différentes, de déchets dangereux avec des déchets non dangereux et de déchets dangereux avec des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets (Article L. 542-7-1 et articles D. 541-12-1 et suivants ), le délai de refus est de 6 mois ;
– pour l’autorisation d’exploitation de stockage de déchets inertes (Articles R. 541-68 et R.541-71), le délai est de refus est de 9 mois ;
– s’agissant de la sortie du statut de déchet pour des déchets spécifiques à une installation (articles D.541-12-4 à D. 541-12-15) le délai est de 12 mois
-pour l’agrément des collecteurs de déchets de pneumatiques non liés par contrat à un organisme collectif représentant les producteurs de pneumatiques (article R. 543-145 du code de l’environnement) le délai de refus est de 6 mois …
Au-delà du fait que la variation du délai de refus de 3, 6, 9 mois semble parfaitement arbitraire, cette liste comporte encore son lot d’abus inadmissibles. Ainsi pour la fixation des prescriptions de réhabilitation et des mesures de surveillance après la mise à l’arrêt définitif d’une ICPE soumise à autorisation ou à enregistrement, s’agissant de l’accord sur le mémoire proposé par l’exploitant (II de l’article R. 512-39-3 et II de l’article R. 512-46-28 du code de l’environnement) le délai est d’un an ! De même s’agissant de l’autorisation de travaux de recherche de formations ou de cavités géologiques susceptibles d’être utilisées pour le stockage souterrain de déchets ultimes en l’absence de consentement du propriétaire du sol (article L. 541-17) le délai est de 2 ans !
Quatre nouveaux décrets du 10 novembre 2015 établissent les exceptions au principe selon lequel le silence gardé pendant plus de deux mois par l’administration sur une demande vaut acceptation.
Ces décrets listent les procédures dans lesquelles le silence de l’administration vaut décision de rejet à l’échéance des deux mois ou d’un autre délai qu’ils précisent et celles pour lesquelles le silence vaut acceptation à la fin d’un délai autre que de deux mois :
– Décret n° 2015-1451 du 10 novembre 2015 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (organismes chargés d’une mission de service public), JO du 11 novembre 2015 ;
– Décret n° 2015-1452 du 10 novembre 2015 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du 4° du I de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu’aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites, sur le fondement du II de cet article (organismes chargés d’une mission de service public), JO du 11 novembre 2015 ;
– Décret n° 2015-1459 du 10 novembre 2015 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » pour les actes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics sur le fondement du 4° du I de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu’aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de cet article, JO du 11 novembre 2015 ;
– Décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » ainsi qu’aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites pour les actes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics sur le fondement du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JO du 11 novembre 2015.
Et le juriste environnementaliste semble une fois encore réduit à constater que la liste des exceptions s’allonge inexorablement. Ainsi sont dorénavant acquis par un refus constitué sous deux mois :
– l’autorisation de modification de l’état ou de l’aspect d’une réserve naturelle en cours de classement par la région ou la collectivité territoriale de Corse (articles L. 332-6, L. 332-3, R. 332-44, R. 332-62 et R. 332-63 c. env) ;
– l’autorisation de modification de l’état ou de l’aspect d’une réserve naturelle régionale ou classée par la collectivité territoriale de Corse (articles L. 332-9, R. 332-44, R. 332-62 et R. 332-63 . env.) ;
– l’autorisation d’activité dans une réserve naturelle régionale ou classée par la collectivité territoriale de Corse (article L. 332-3 c. env) ;
– Autorisation d’accès aux ressources génétiques des espèces prélevées dans le parc amazonien de Guyane, d’utilisation de ces ressources et de partage des bénéfices pouvant en résulter (article L. 331-15-6).
Ce délai de deux mois, valant refus, désormais s’applique également pour les demandes d’autorisation d’un projet entrant dans le champ de l’article L. 123-2, assujetti à une étude d’impact, à un avis de l’autorité administrative compétente en matière d’environnement et à une enquête publique (articles L. 122-1, L. 122-3 et R. 122-14). Cette disposition qui substitue un délai de 2 mois à la référence retenue par le décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 au « délais prévus par la législation particulière au projet » pose le problème de la survivance de la jurisprudence qui veut que le préfet n’est pas dessaisi de la demande d’autorisation ICPE passé le délai imparti pour statuer à son endroit par l’article R 521-26 du code de l’environnement (CE 9 juin 1995, Tchijakoff, rec. Lebon, p. 233). Le pouvoir réglementaire ne sait pas attaqué à ce qui constitue un véritable déni d’administration… Pourtant il en avait l’occasion.
Le droit souffre des trop nombreuses exceptions qu’il concède à ses principes.
Nos administrations centrales devraient se soucier un peu plus de l’autorité du droit et renoncer à contrecarrer même les lois de circonstances.
Non seulement annihiler les choix du législateur c’est pour notre administration méconnaître l’exigence démocratique de sa soumission au politique mais surtout s’octroyer un droit sur mesure au service de son confort et non plus des d’administrés.