Par Maître Sébastien BECUE
Green Law Avocats
Suis-je en présence d’un cours d’eau ou d’un simple écoulement ? C’est la question que tout propriétaire riverain d’un cours d’eau ou porteur d’un projet susceptible d’avoir un impact sur le milieu aquatique doit se poser.
En effet, la qualification juridique de « cours d’eau » s’accompagne d’un assortiment d’obligations susceptibles de sanctions administratives et pénales.
Or, le moins que l’on puisse dire est qu’en l’absence de critères précis, il était, jusqu’à récemment, compliqué de s’y retrouver.
Une instruction ministérielle est depuis intervenue afin d’expliciter les critères jurisprudentiels et prescrire, sur ce fondement, la réalisation d’une cartographie complète des cours d’eau.
NB: Il est à noter que depuis la publication initiale de cet note de blog le 9 février 2016 :
La Cour administrative d’appel de Lyon, dans une décision d’avril 2016 a réalisé une intéressante analyse in concreto de l’existence d’un cours d’eau au regard de la définition du Conseil d’Etat :
« que constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté parune source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année ;
que M. C…se prévaut de deux rapports établis par M.D…, “consultant milieux aquatiques”, en 2011 et le 26 août 2014, qui soulignent que, si l’arrêté préfectoral contesté retient l’existence d’un cours d’eau, nommé le Rivaux, alimentant le plan d’eau, aucune indication d’un tel cours d’eau ne figure sur les cartes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), ni au cadastre, et relèvent l’absence de débit, de mars à octobre 2011, ainsi que la reproduction de ce tarissement chaque année ; que, toutefois, la circonstance que le tarissement du cours d’eau constaté en octobre 2011 par l’auteur du rapport durerait depuis le mois de mars et se reproduirait chaque année ne résulte pas de constats mais uniquement des affirmations du requérant, propriétaire de l’étang, lequel ne conteste pas utilement les données avancées par l’administration selon lesquelles le débit moyen annuel du cours d’eau est de 28 litres par seconde et le débit d’étiage du mois le plus sec sur une période de cinq ans, appelé “QMNA/5”, de 2 litres par seconde, non plus que les rapports établis par des agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) des 29 janvier 2009 et 23 octobre 2014, aux termes desquels le plan d’eau litigieux n’est pas seulement alimenté par des eaux de ruissellement et de drainage mais par un écoulement d’eau, dans un lit naturel à l’origine, alimenté par des sources, qui naît 600 mètres en amont du plan d’eau, où il s’écoule au rythme de 20 litres par seconde ; qu’il ressort également de ces rapports qu’a été constatée dans le lit de ce ruisseau la présence de gammares, petits crustacés détritivores qui ont un cycle de vie complet dans l’eau, ainsi que celle de larves de trichoptères ; que ces constatations démontrent que le débit d’eau y est permanent ; qu’ainsi, alimenté par une source, s’écoulant dans un lit à l’origine naturel et présentant un débit suffisant, ce ruisseau, qui, au demeurant, était déjà mentionné dans l’arrêté du 12 mai 1981, constitue, quand bien même il ne figure pas sur une carte IGN, un cours d’eau ;
que, par suite, en qualifiant de cours d’eau le ruisseau alimentant le plan d’eau de M. C…et en estimant par conséquent que ce plan d’eau faisait obstacle au libre écoulement des eaux et constituait une pisciculture, au sens des dispositions de l’article L. 431-6 du code de l’environnement, soumise à autorisation, au sens de l’article R. 214-1 du même code, le préfet du Puy-de-Dôme n’a pas fait une inexacte application de ces dispositions ; qu’à cet égard, est sans incidence la circonstance que M. C…ne commercialise pas les poissons qu’il pêche et ne fasse de son plan d’eau qu’un usage privatif de loisir » (CAA Lyon, 3e, 12-04-2016, n° 14LY01055)
De plus, l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement, entré en vigueur le 10 août 2016, définit ainsi le cours d’eau :
« Constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. »
Ce faisant, le Législateur reprend à son compte la définition du Conseil d’Etat.
I. Le cours d’eau, objet coulant Identifié
Il n’existe à l’heure actuelle aucune définition légale du cours d’eau. C’est donc au juge administratif qu’est revenue la tâche de dégager des critères, au cas par cas.
La circulaire du 2 mars 2005 relative à la définition de la notion de cours d’eau reprenait les critères jurisprudentiels de l’époque, à savoir :
– La présence et la permanence d’un lit naturel à l’origine, ce qui suppose d’être en mesure de démontrer à la fois l’origine naturelle d’un lit, une tâche pas forcément aisée, ainsi que sa permanence ;
– La permanence d’un débit suffisant une majeure partie de l’année, appréciée au cas par cas en fonction de diverses présomptions telles que les cartes IGN et registres cadastraux ; on a vu plus simple en terme de prévisibilité.
Par une décision en date du 21 octobre 2011 (n°334322), le Conseil d’Etat a enfin fixé une définition jurisprudentielle générale du cours d’eau. Aux deux précités, il ajoute un troisième critère :
– L’alimentation de l’écoulement par une source, sous-entendu autre que les précipitations.
Il est à noter qu’un amendement au projet de loi sur la biodiversité reprenant cette définition jurisprudentielle a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce nouvel article L. 215-7-1 du code de l’environnement, s’il restait en l’état, prévoirait ainsi que :
« Constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année.
L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. »
Ces définitions et ces éléments jurisprudentiels ont en commun de caractériser le cours d’eau au moyen du précieux liquide même si son écoulement n’est pas systématiquement exigé en jurisprudence ().
II. Une définition par instruction du 3 juin 2015 ajoutant l’eau virtuelle
Il en va tout autrement avec l’instruction ministérielle du 3 juin 2015 relative à la cartographie et l’identification des cours d’eau et à leur entretien, suite notamment à un lobbying intense et légitime de la FNSEA.
En premier lieu, cette instruction détaille en profondeur les critères jurisprudentiels. En exergue, il est rappelé que ces critères ont été conçus pour être applicables à l’ensemble du territoire et qu’il convient donc, lorsqu’on les utilise, de les apprécier en fonction du contexte local.
Ensuite, la ministre explicite ces trois critères cumulatifs :
– La présence et la permanence d’un lit naturel à l’origine, étant précisé que le fait qu’un lit ait été canalisé ou recalibré ne fait pas obstacle à la qualification de cours d’eau. Il en est de même pour les bras artificiels abandonnés ou ceux captant une majeure partie du débit d’un cours d’eau.
– Un débit suffisant une majeure partie de l’année
– On constate une relativisation du critère de la permanence ; en effet, certains cours d’eau sont naturellement intermittents ; l’instruction retenant notamment l’exemple des torrents et des cours d’eau méditerranées ou d’outre mer.
– Une méthode d’analyse du caractère suffisant du débit suffisant est prescrite : celle-ci doit être réalisée en dehors des épisodes de pluviosité significative.
– L’alimentation de l’écoulement par une source : l’idée est celui-ci ne soit pas exclusivement alimenté par des précipitations, quelque soit la source impliquée (jaillissement ou affleurement de nappe, exutoire de zone humide…).
Enfin, la ministre propose un faisceau d’indices supplémentaires (élaboré à partir de critères secondaires dégagés par la jurisprudence) à utiliser lorsque les trois critères jurisprudentiels sont insuffisants pour déterminer avec certitude si l’on est en présence d’un cours d’eau, étant précisé que cette liste d’indices est non-exhaustive et qu’elle peut être complétée notamment en fonction des caractéristiques locales :
– La présence de berges au dénivelé suffisant et d’un lit au substrat différencié du sol adjacent
– La présence d’une faune et flore aquatique
– L’existence d’une continuité amont-aval
En second lieu, l’instruction prescrit aux services préfectoraux la réalisation, avant le 15 décembre 2015, d’une cartographie complète des cours d’eau, notamment à partir des cartes IGN. La Ministre tablait ainsi sur une cartographie des 2/3 des cours d’eau du territoire dans le délai fixé. L’instruction laissait toutefois la possibilité, lorsque la tâche paraît irréalisable dans ce délai, de se restreindre à la définition d’une méthode d’identification des cours d’eau, en tenant justement compte des circonstances locales.
Près de deux mois après le terme fixé par la Ministre, on constate que l’objectif, ambitieux, est loin d’être atteint. Cette instruction est néanmoins bienvenue en ce qu’elle devrait permettre, à terme, une meilleure prévisibilité de la notion de cours d’eau.
Les riverains d’écoulements dont le statut fait débat ont donc tout intérêt à réaliser leur propre appréciation sur le fondement des critères jurisprudentiels et à la faire connaître des services préfectoraux.
Si elle semble consister en une synthèse des conditions jurisprudentielles, il est par ailleurs opportun de rappeler qu’une telle instruction, en ce qu’elle comporte des dispositions présentant un caractère impératif, peut être soumise au contrôle du juge administratif (CE, 18 déc. 2002, Mme Duvignères, n° 233618).
III. Les enjeux de la qualification de cours d’eau.
Pour tout riverain d’abord, le premier enjeu consiste en l’interdiction de nuire à l’écoulement des cours d’eau et l’obligation d’entretien des cours d’eau. L’article L. 215-9 du code de l’environnement interdit au propriétaire riverain d’un cours d’eau de nuire à son écoulement. L’article L. 215-14 du même code prévoit encore que « le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d’eau » dont l’objet est de permettre de :
– De maintenir son profil d’équilibre ;
– De permettre l’écoulement naturel des eaux ;
– de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique.
Cet entretien consiste notamment en :
– l’enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non ;
– l’élagage ou le recépage de la végétation des rives.
En cas de non-acquittement par le propriétaire riverain de son obligation d’entretien régulier, il revient à la commune, après mise en demeure restée infructueuse, d’y pourvoir d’office aux frais de l’intéressé (article L. 215-16 du même code).
Sur ce point, il est à noter que l’instruction précitée prévoit l’élaboration par les préfets d’un guide des bonnes pratiques en matière d’entretien des cours d’eau, sur la base d’un modèle national, qui devrait là encore permettre une clarification bienvenue.
Pour le porteur de projet ensuite, c’est la nécessité de déclarer ou d’obtenir une autorisation, au titre de la police de l’eau, pour certaines opérations sur les cours d’eau.
La nomenclature dite « IOTA » (pour installations, ouvrages, travaux ou activités) fait référence, afin de déterminer si certaines opérations sont soumises à déclaration ou autorisation, à la notion de cours d’eau.
En cas d’erreur sur la qualification, et en conséquence d’absence de déclaration ou d’autorisation, le porteur de projet s’expose donc à une régularisation a posteriori de l’étude d’impact et enquête publique qui auraient dû précéder la réalisation des opérations.
Il risque surtout de subir de lourdes sanctions pénales. Par exemple, la réalisation sans autorisation d’opérations soumises à autorisation peut faire l’objet de sanctions allant jusqu’à 1 an de prison et 75.000 euros d’amende (et 375.000 euros pour une société). En revanche, si l’on est en présence d’un écoulement qui ne satisfait pas aux critères du cours d’eau, ces obligations et interdiction ne sont pas applicables.
Ce sont les agents de l’ONEMA qui sont en charge du contrôle du respect par les riverains de leurs obligations, donc de la qualification de cours d’eau, et d’en rendre compte aux préfets et procureurs.
Du fait du manque de sensibilisation des riverains, des conséquences financières et sanctions pénales en jeu, ainsi que du comportement parfois un peu cavalier de certains agents, les relations avec l’ONEMA sont souvent tendues. Des progrès devraient néanmoins intervenir sur ce point.
Ainsi, une circulaire du 31 juillet 2015 relative aux contrôles dans les exploitations agricoles recommande aux procureurs, lorsqu’ils statuent sur l’opportunité de poursuivre l’auteur d’une infraction commise sur un cours d’eau, de tenir compte de sa bonne foi, en vérifiant notamment si ledit cours d’eau est référencé sur la carte départementale. Un simple rappel à la loi peut ainsi être délivré.
Les préfets sont par ailleurs invités à établir une charte des contrôles en agriculture afin d’apaiser les relations entre l’ONEMA et les agriculteurs et à organiser des actions de sensibilisation sur les contrôles.
Il est aussi prévu que les agriculteurs soient informés systématiquement des contrôles réalisés sur leur exploitation, afin d’éviter la mauvaise surprise de recevoir un procès verbal d’infraction plusieurs mois après, sans même avoir eu connaissance du contrôle.