Modification du dossier de PC : poursuite de l’instruction ou demande nouvelle ?

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Par David DEHARBE, avocat gérant et Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Aucune procédure spécifique permettant la modification d’un dossier de demande d’autorisation d’occupation du sol en cours d’instruction ne figure dans le Code de l’urbanisme, à tel point que la notion même de dossier modificatif y est inexistante.

Avant la réforme des autorisations d’occupation du sol, applicable depuis le 1er octobre 2007, la jurisprudence admettait qu’un permis soit accordé à la suite d’une demande modificative (CE, 4 mars 1983, Ceccon, n°22648).

Dans un souci de responsabilisation, l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme a obligé le demandeur d’une autorisation à déposer un dossier lorsque le projet est abouti (JORF n°286 du 9 décembre 2005).

Cela étant, certains pétitionnaires ont parfois des velléités de modification, et la doctrine locale des services instructeurs pour y faire face varie selon les collectivités.

La jurisprudence devait donc fixer un cadre juridique digne de ce nom, dans la mesure où, selon l’article R. 423-19 du Code de l’urbanisme, le délai d’instruction commence à courir à compter de la réception en mairie d’un dossier complet.

En l’espèce, la société Samsud avait déposé une demande de permis de construire concernant deux immeubles à usage d’habitation sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Gorbio, dans les Alpes-Maritimes.

Le 26 décembre 2016, le maire de la commune a décidé par arrêté de rejeter cette demande.

À la demande de la société impactée, le Tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté, le 6 novembre 2019.

La commune ayant interjeté appel, la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé le jugement du Tribunal administratif, le 19 novembre 2020.

La commune a donc formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Les modifications ultérieures au dépôt du dossier étaient-elles recevables ? Et, si oui, au regard du délai d’instruction, quel en était le régime juridique ? Enfin, quel pouvait être l’impact d’une modification sur ce délai, particulièrement s’agissant au regard de l’enjeu que constitue la naissance d’un permis modificatif ?

Pour répondre à ces questions, le Conseil d’État a admis la possibilité pour la société civile de construction vente, auteure de la demande de permis de construire, d’apporter à son projet des modifications qui n’en changeaient pas la nature, pendant la phase d’instruction, faisant ainsi preuve de pragmatisme et institutionnalisant ainsi le dossier modificatif d’autorisation d’occupation du sol : la modification d’un dossier en cours d’instruction est toujours possible.

L’arrêt est très clair sur ce point :

«En l’absence de dispositions expresses du code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus» (CE, 1er décembre 2023, n°448905, point 4, téléchargeable ici).

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Ce faisant, le juge administratif a consacré une pratique répandue parmi les services instructeurs de nombreuses collectivités qui, dans un souci de bonne administration, admettent souvent la modification d’un dossier, alors qu’un travail d’instruction a déjà été réalisé, l’intérêt du pétitionnaire étant de ne pas avoir à déposer un nouveau dossier complet.

L’analyse de cet arrêt permet de tirer des conclusions positives : dès le stade de l’instruction, le pétitionnaire peut donc faire évoluer son projet en faisant l’économie d’un nouveau dépôt.

Cela étant, le changement sollicité doit être qualifié de modification du dossier.

En l’espèce, le Conseil d’État a donc fixé des limites au-delà desquelles il sera qualifié de nouvelle demande, d’où l’intérêt de quelques précisions apportées ici par le juge administratif  :

«Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L’administration est alors regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l’administration d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié» (CE, 1er décembre 2023, n°448905, point 4, téléchargeable ici).

L’encadrement imposé par le Conseil d’État dans cet arrêt permet de préserver la sécurité juridique et la qualité de l’instruction, tout en maintenant la responsabilisation des pétitionnaires : certes, la présentation d’un dossier modificatif est possible, mais l’appréciation de l’Administration reste fondamentale.

Seules les modifications de faible impact peuvent être qualifiées de modifications d’un dossier initial, alors que les modifications d’envergure seront considérées comme un dossier nouveau.

Les modifications tardives, telle que celles intervenant une fois la décision née, devraient encore être requalifiées à raison «leur date» selon l’arrêté du Conseil d’État comme constitutive demande nouvelle.

On comprend que par «nature» certaines modifications devront être tenues pour nouvelles, telles celles qui impliqueraient une évaluation environnementale ou une demande au cas par cas, entre autres exemples.

Mais il semble bien que la haute juridiction ait aussi décidé d’imposer en guise de garantie pour le pétitionnaire une formalité informative au service instructeur : le service d’urbanisme doit, en cas de demande qualifiée de nouvelle, notifier au pétitionnaire le nouveau délai d’instruction et éventuellement, les pièces complémentaires sollicitées par l’administration.

Le Tribunal administratif de Montreuil avait d’ailleurs pu juger que :

«si la production spontanée de pièces par le pétitionnaire, notamment lorsqu’elles modifient substantiellement la consistance du projet, peut faire obstacle à la naissance d’un permis tacite à l’issue du délai d’instruction, il incombe néanmoins dans cette hypothèse à l’administration, sauf circonstances très particulières, telle la reconnaissance expresse de l’existence d’un nouveau délai d’instruction par le pétitionnaire lui-même, d’informer ce dernier du nouveau délai d’instruction dans un délai d’un mois à compter de la réception des pièces complémentaires» (TA Montreuil, 11 mars 2020, n° 1901122 , SCI Jane : JCP A 2020, act. 249, n° 16 – confirmé par CAA Versailles, n° 20VE01270, téléchargeable sur Doctrine).

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L’arrêt du Conseil d’État qui conduit à une censure du raisonnement inverse tenu par la CAA de Marseille et à ce que l’affaire lui soit renvoyée éclaire bien peu sur ce qu’il faut entendre par une modification du dossier constituant une nouvelle demande de PC.

Mais ce qui est certain c’est que l’administration puis le juge doivent concrètement apprécier cette qualification la portée de la modification :

«En l’espèce, en jugeant que l’envoi par la société Samsud à la commune de Gorbio, les 27 octobre et 25 novembre 2016, de pièces nouvelles qui correspondaient à des modifications de la demande de permis de construire initiale portant, d’une part, sur l’implantation d’un ouvrage d’art et, d’autre part, sur l’insertion paysagère du parking n’était pas susceptible d’influer sur la date de naissance d’un permis tacite, le 29 novembre 2016, alors qu’il appartenait au service instructeur, dans une telle circonstance, de rechercher, ainsi qu’il a été dit au point 4, si ces modifications, compte tenu de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles ont été présentées, pouvaient être prises en compte dans le délai qui lui était imparti pour se prononcer sur la demande initiale ou, à défaut, d’informer le pétitionnaire qu’elles avaient pour effet d’ouvrir un nouveau délai d’instruction de la demande ainsi modifiée, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. La commune de Gorbio est, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque» (CE, 1er décembre 2023, n°448905, point 5, téléchargeable ici) .

Ainsi peut-on supposer que «l’importance» des modifications de la demande initiale font écho à un changement quant à la nature globale du projet désormais érigée en limite à la demande de permis modificatif (cf. CE, sect., 26 juill. 2022, n° 437765 , B : Lebon ; Dr. adm. 2022, comm. 45, note J. Martin ; Dr. adm. 2022, alerte 128, A. Courrèges ; JCP A 2022, 2273, note F. Polizzi ; Constr.-Urb. 2022, 105, note X. Couton ; JCP N 2022, n° 35, act. 818).

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