L’intérêt pour agir, les circonstances particulières et le Code de l’urbanisme

immeuble

Par Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

 Depuis 2018, le promoteur SAS FF a pour projet d’édifier un immeuble d’habitation dans le 4e arrondissement de Marseille, sur un terrain non bâti.

Le 7 janvier 2019, le maire de Marseille a refusé le permis de construire déposé par la SAS FF portant sur la construction de cet immeuble de 12 logements pour une surface de plancher de 634 m².

Le promoteur a contesté ce refus devant le Tribunal administratif de Marseille.

En octobre 2020, M. S et Mme P sont devenus propriétaires du terrain limitrophe sur lequel se trouvait une maison d’habitation.

Mais avant d’acquérir leur bien, ils se sont assurés auprès des services de l’urbanisme qu’aucune demande d’autorisation d’urbanisme n’avait été déposée ou était en cours d’instruction.

Le 25 février 2021, le Tribunal administratif a annulé le refus adressé au promoteur, après l’avoir requalifié en retrait d’un permis de construire acquis tacitement le 19 février 2019.

Ce retrait a été reconnu comme illégal par le Tribunal, car il est intervenu sans respect préalable de la procédure contradictoire : un certificat de permis de construire tacite a donc été délivré au pétitionnaire le 22 mars 2021.

En avril 2021, à l’occasion de l’affichage du permis de construire tacite, M. S et Mme P ont découvert que le fameux immeuble de 12 logements s’élevant à seize mètres de hauteur était sur le point d’être construit sur le terrain voisin du leur.

Après avoir formé un recours gracieux le 20 mai 2021, demeuré sans réponse de la part de l’Administration, ils ont demandé au Tribunal administratif d’annuler le certificat de permis de tacite du 22 mars 2021 délivré à la SAS FF ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.

Les requérants justifiaient-ils d’un intérêt pour agir ? Quelle est la nature juridique des renseignements erronés donnés par la commune ?

La réponse à ces deux questions est donnée par l’interprétation des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme : les requérants justifiaient d’un intérêt pour agir et les renseignements erronés donnés par la commune sont des circonstances particulières.

L’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme dispose que :

«Une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation.

Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire.»

justice balance

Au sens de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, le Tribunal administratif de Marseille a considéré, fort logiquement, que les requérants, voisins immédiats du projet, justifiaient d’un intérêt pour agir. Restait à traiter le problème des renseignements erronés donnés par la commune.

L’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme prévoit que :

«Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.»

Fort de cet article, le Tribunal administratif qualifie alors ces renseignements de circonstances particulières, ce qui lui permet d’échapper à la cristallisation de l’intérêt pour agir à la date de l’affichage de la demande.

Dans un premier temps, le Tribunal met en perspective l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme avec les circonstances de l’espèce :

«Au regard de ces éléments, ils démontrent que leur choix quant à l’acquisition de leur bien a été compromis par les renseignements erronés donnés par les services de l’urbanisme de la mairie de Marseille. Ils peuvent ainsi se prévaloir de circonstances particulières au sens de l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme et justifient dès lors que l’intérêt pour agir contre le permis attaqué ne soit pas apprécié à la date d’affichage de la demande de permis de construire. Par suite, la fin de non-recevoir présentée sur le fondement des dispositions précitées doit être écartée. » (TA, 12 février 2024, n° 2108218, point 3, téléchargeable ici).

Dans un second temps, le Tribunal précise les obligations du requérant et du défendeur, avant d’évoquer sa propre analyse et d’aboutir à l’intérêt pour agir des requérants :

«Il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Ey égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction. » (TA, 12 février 2024, n° 2108218, point 5, téléchargeable ici)

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