Les polices environnementales : un enjeu pour les magistrats… et les avocats !

Par David DEHARBE (Green Law Avocats)

A l’heure où les magistrats disent s’organiser pour mener la grande croisade environnementale (L’association française des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale – AFME – est née d’un groupe de discussion qui réunit 200 magistrats du siège et du parquet, dont quelques premiers présidents et procureurs généraux) et où le législateur se saisit de l’écocide, le Conseil d’Etat donne les grandes lignes d’une réformes des polices environnementales.

Dans un rapport (téléchargeable ici) sur « les pouvoirs d’enquête de l’administration », paru le 6 juillet, la Haute juridiction prône un grand ménage dans les polices de l’environnement.

Certes le rapport rappelle le travail déjà engagé en 2012 et poursuivi en 2016 par le législateur.

 » L’ordonnance n° 2012‐34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, a défini un socle commun de dispositions applicables à 25 polices environnementales, qui présentent des caractères hétérogènes et sont mises en œuvre par de très nombreuses catégories d’agents. La refonte a été opérée selon le même parti légistique de séparation des dispositions relatives aux contrôles administratifs et à la police judiciaire que celle des livres II et IX du code rural et de la
pêche maritime. Les dispositions antérieures reposaient sur des procédures propres à chaque police, certaines entièrement pénales (chasse, déchets), d’autres mettant en œuvre un corps unique de pouvoirs de contrôle pouvant aboutir, dans une situation donnée, à une combinaison de réponses administratives et judiciaires (installations classées)
. L’harmonisation des pouvoirs opérée en 2012 a été faite « par le haut », en consolidant des régimes de contrôle qui obéissaient à des logiques différentes ou procédaient de constructions ad hoc dans le cas des polices des déchets, de la lutte contre le bruit et des enseignes et pré‐enseignes. Ces pouvoirs ont été étendus par l’ordonnance du 10 février 2016 portant diverses
dispositions en matière nucléaire aux inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’office français de la biodiversité aux agents chargés des forêts qui, lorsqu’ils sont également investis de missions de police judiciaire en application du code de l’environnement, interviennent dans les conditions définies par le celui‐ci et non par le code forestier. Les dispositions de ce code relatives à la recherche et à la constatation des infractions, qui ne sont plus utilisées à une échelle significative, n’ont cependant pas été abrogées.
 » (pp. 57-58 du rapport)

Et finalement on constate que cette réforme ne laisse son autonomie réelle qu’au régime des contraventions de grande voirie, qui sanctionne avec tellement de singularité les atteintes au domaine public. Il est principalement mis en œuvre pour la protection du domaine public naturel. Il repose sur un simple pouvoir de constatation par procès‐verbal, complété par celui de relever l’identité des contrevenants dans le cas des agents chargés de la police des ports maritimes et du domaine public fluvial.

Mais la plus haute juridiction administrative fait surtout cette critique cinglante du code de l’environnement : « 70 catégories d’agents compétents pour rechercher et constater les infractions en matière environnementale
Les compétences pour la recherche et la constatation des infractions en matière environnementale sont définies par 28 articles du code de l’environnement, relatifs à 25 polices environnementales, qui visent chacun, outre les officiers de police judiciaire et les inspecteurs de l’environnement, jusqu’à 14 catégories d’agents – soit au total plus de 70 catégories, pour autant que ce nombre puisse être déterminé précisément, compte tenu de l’effet des renvois indirects à des listes fixées par d’autres textes – parfois abrogés – ou d’autres codes. Elles sont le résultat d’une stratification historique qui n’a jamais été réexaminée depuis la création de la plupart de ces polices, y compris lorsque les dispositions relatives aux pouvoirs de ces agents ont été harmonisées, en 2012. La justification de ces attributions de compétences a été oubliée. Il ne s’en dégage pas de logique d’intervention claire, même si l’on peut supposer que ces listes ont parfois été conçues, au fil de l’évolution des textes relatifs à ces différentes polices, en fonction d’une combinaison de critères tenant à la couverture territoriale, aux spécificités des milieux et à la complémentarité et à la connexité des expertises, ainsi qu’à une forte demande sociale de contrôle. Elles reflètent souvent un « saupoudrage » des compétences, conçu à des époques où les administrations spécialisées en matière environnementale n’avaient pas encore émergé. Si des chefs de file et des mécanismes de coordination existent désormais dans la plupart des cas, le ministère de la transition écologique ne dispose de données sur la mise en œuvre, de ces pouvoirs que pour certaines de ces catégories
« .

Et le Conseil d’Etat de préconiser le regroupement dans les rubriques suivantes, autour de logiques d’intervention communes, qui peuvent également se rattacher aux différents livres du code de l’environnement :

 » 1° (Livre II) Police de l’eau et des milieux aquatiques, relevant des inspecteurs de l’environnement des DDTM et de l’Office français de la biodiversité,
2° (Livre II) Polices des pollutions en mer811 , relevant du contrôle des affaires maritimes, et de façon incidente des autres capacités maritimes de l’Etat (marine nationale, douanes, Ifremer) et des officiers des ports,
3° (Livre III) Polices des espaces naturels (littoral, parcs nationaux, réserves naturelles, sites, circulation motorisée dans les espaces naturels), exercées par les agents des établissements chargés de leur conservation, par les agents des DREAL et par les agents chargés de la police du domaine public (DDTM),
4° (Livre IV) Protection de la faune et de la flore (accès aux ressources génétiques, espèces protégées, chasse, pêche), exercée par l’Office français de la biodiversité, par les agents des établissements chargés des espaces naturels et de l’ONF, et sur certains enjeux par les agents des douanes, avec les gardes champêtres, les gardes particuliers et les agents de développement des fédérations de chasse et de pêche,
5° (Livre IV, se substituant au code forestier) Police de la forêt, relevant de l’Office national des forêts, des DDTM et des directions régionales de l’agriculture et de la forêt (DRAAF), les gardes particuliers contribuant à la constatation des infractions,
6° (Livre V) Inspection des installations classées pour la protection de
l’environnement (ICPE), police des produits chimiques et biocides (compétence partagée avec la DGCCRF), contrôle des utilisations confinées d’OGM à des fins de production industrielle, relevant des DREAL et des DDPP,
7° (Livre V) Inspection des installations nucléaires (INB), exercée par l’Autorité de sûreté nucléaire,
8° (Livre V) Polices de proximité, relevant principalement des municipalités : déchets, lutte contre le bruit (avec les ARS), publicité et enseignes (avec les DREAL).
La police de l’air et de l’atmosphère (Livre II) et celles des équipements sous pression (Livre V) ne présentent pas de véritable autonomie par rapport à celles des ICPE et des INB.
Au regard de la diversité des champs couverts par les polices de l’environnement, la réflexion à mener sur la simplification des catégories d’agents désignées doit aussi être l’occasion de s’assurer, au sein des différentes rubriques, de l’adéquation avec les compétences techniques requises812 , et s’articuler avec la consolidation des filières correspondant aux différents métiers de contrôle ».

La simplification de ces listes devra également tenir compte de l’évolution
administrative depuis la période, il y a près d’un demi‐siècle, où la plupart d’entre elles ont été figées, et en particulier des enjeux d’une couverture territoriale de proximité.
Les gardes‐champêtres, désignés par le code de l’environnement et par le code forestier pour rechercher et constater des infractions dans dix domaines, sont désormais moins de 1.000, principalement dans la région Grand Est. Les inspecteurs de l’Office français de la biodiversité présents sur le terrain sont en moyenne une quinzaine par département, et l’activité de police de l’Office national des forêts est limitée et appelée à se concentrer sur environ 200 agents spécialistes.
Dans ce contexte, sauf à laisser une large part de police de proximité de
l’environnement aux agents de développement des fédérations de chasse et de pêche, en revenant au modèle des polices environnementales du XXème siècle dont ces fédérations constituaient l’ossature, ou aux gardes‐particuliers, dont l’activité n’est aujourd’hui plus suivie par l’administration, et qui représentent les intérêts des propriétaires, il est sans doute pertinent d’élargir les compétences des agents municipaux à tout ou partie des compétences jusqu’alors exercées par les gardes champêtres « 

On lit bien … la police municipale ! Pourtant le Conseil d’Etat interdit sur le terrain administratif dans sa jurisprudence toute immixtion de la police générale du maire dans le giron préfectoral et ministériel des polices spéciales environnementales.

Ainsi le Conseil d’Etat entend « simplifier en particulier le code de l’environnement, qui donne les pouvoirs de police judiciaire les plus intrusifs (perquisition, relevés d’identité) à 70 catégories d’agents dans 25 polices différentes » … mais sans augmenter le seffectifs affectés de la fonction publique, dogme du babélisme économique oblige… L’arbitraire n’est pas loin …

Finalement le Conseil d’Etat ne fait que démontrer ce que Jean-Philippe Rivaud de la nouvelle association des magistrats judiciaires environnementalistes a défendu dans un entretien donné à Actu-Environnement le mois dernier :  » Les textes auraient mérité une meilleure rédaction et prêtent à confusion. Il aurait fallu se livrer à un travail beaucoup plus ambitieux de reconstruction complète du droit pénal de l’environnement. Ce droit est très compliqué et trouve sa source dans plus de quinze codes « . Et bien évidement le magistrat pénaliste ne manque de rappeler ce que vise le toilettage du droit de l’environnement, à savoir punir plus : « Seulement 10 % des 2 000 infractions sont poursuivies. Autrement dit, 90 % des textes ne servent à rien. Il faut toiletter le droit pénal de l’environnement alors que, là, on est resté approximatif « .

Cette confondante unanimité des conseillers d’Etat et des magistrats judiciaires pour appeler de leurs voeux que soient sanctionnées pénalement avec la plus rigueur et une efficacité sans faille les atteintes à l’environnement doit aussi conduire les avocats environnementalistes à ne pas perdre de vue que derrières les pollutions il y a aussi des hommes et des femmes qui méritent un procès équitable… l’Etat de droit leur est dû tout autant, si ce n’est plus (diront certains), qu’à la nature.