L’effet éolien de la saturation visuelle : une construction juridictionnelle toujours en chantier
Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par une décision du 13 décembre 2024 (n°465368), le Conseil d’État est venu apporter un éclairage important sur une problématique récurrente dans l’instruction des projets de parcs éoliens : les modalités d’appréciation de la saturation visuelle occasionnées par les parcs pour la commodité du paysage.
En annulant à nouveau une décision de la Cour administrative d’appel de Douai, la Haute juridiction a précisé comment l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, doit apprécier si un projet de parc éolien crée une saturation visuelle pour les voisins au sens de sa nouvelle jurisprudence.
L’on sait en effet que le Conseil d’État admet désormais que dans le cadre de l’autorisation environnementale et sur le fondement de l’article L511-1 du code de l’environnement la saturation visuelle puisse être appréciée comme une atteinte à la commodité du voisinage (Conseil d’État, 1er mars 2023, n°459716).
Le conseil d’Etat ayant posé ce principe d’appréciation :
« Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l’effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu’une telle argumentation est soulevée devant lui, de l’effet d’encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels, l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration, ce dernier s’entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents » (CE, 10 novembre 2023, n°459079).
L’on sait encore que les capacités humaines de perception de cette saturation ne sont pas le critère de son appréciation, dès lors que le Conseil d’État a censuré la Cour administrative de Douai en considérant :
« pour écarter l’existence d’un effet de saturation visuelle susceptible de faire regarder le projet litigieux comme présentant des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage, la cour administrative d’appel, après avoir relevé que soixante-douze éoliennes avaient déjà été construites ou autorisées dans un rayon de dix kilomètres autour du village du Plessier-Rozainvilliers et seize dans un rayon de trois kilomètres, s’est fondée sur ce que si le projet avait pour effet de porter le cumul des angles occupés par des machines à un total de 167,5 degrés, il ne résultait pas de l’instruction que les éoliennes seraient toutes simultanément visibles depuis un même point. En statuant ainsi, alors, d’une part, que la circonstance que les éoliennes ne seraient pas toutes simultanément visibles depuis un même point n’était pas, par elle-même, de nature à permettre d’écarter l’existence d’un effet de saturation et sans tenir compte, d’autre part, de l’effet d’encerclement lié à la réduction de l’angle de respiration qu’invoquaient les parties, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit » (CE, 10 novembre 2023, n°459079).
Ainsi selon la Haute juridiction pose une méthodologie d’appréciation de la saturation :
- Le juge administratif doit tenir compte de l'effet d'encerclement résultant du projet, en évaluant l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration ;
- Celle-ci doit être appréciée au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels ;
- Enfin surtout, la circonstance que les éoliennes ne soient pas toutes simultanément visibles depuis un même point n’est pas, par elle-même, de nature à permettre d’écarter l’existence d’un effet de saturation.
Avec une telle construction juridictionnelle de la saturation reste à comprendre quel « œil » permet de percevoir cette énigmatique ‘re-présentation’ de la pression éolienne sur la commodité du voisinage. Et chaque arrêt est ici une pierre à l’édifice…
Dans notre affaire, une société avait sollicité une autorisation environnementale pour l’exploitation d’un parc éolien de six aérogénérateurs sur 2 communes.
Par un arrêté du 5 mars 2021, le préfet du Pas-de-Calais a refusé cette autorisation, invoquant notamment un effet de saturation visuelle.
La cour administrative d’appel de Douai a confirmé ce refus le 3 mai 2022.
Le Conseil d’État, saisi par la société requérante, rappelle les critères à prendre en compte pour justifier un tel refus et apporte une précision pratique non négligeable, en ce qu’elle a au moins le mérite de donner de la visibilité…
Ainsi, le Conseil d’État rappelle que :
« la circonstance que les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l’impact visuel d’un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu’un projet de parc éolien est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article ».
A ce propos, la Haute juridiction confirme que pour évaluer cet effet, l’autorité administrative doit considérer en premier lieu l’effet d’encerclement résultant du projet en tenant compte :
- De l'ensemble des parcs éoliens installés ou autorisés dans la zone concernée.
- De la configuration particulière des lieux, notamment les reliefs et les écrans visuels.
- De l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, étant défini comme le plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.
Il est également possible de prendre en compte en second lieu d’autres projets de parcs éoliens en cours d’instruction concomitante, à condition qu’ils soient susceptibles d’être autorisés.
En revanche, les projets ayant fait l’objet d’un refus, même non définitif, ne doivent pas être considérés dans cette évaluation ; c’est là en définitif le nouvel apport de l’arrêté rapporté ci-dessous.
En l’espèce, la cour administrative d’appel de Douai a commis une erreur de droit en validant le refus du préfet, qui avait pris en compte cinq autres projets de parcs éoliens dans le même secteur, dont trois avaient déjà été refusés à la date de sa décision. En ce sens, l’impact visuel d’un projet doit se baser sur des éléments concrets et probables, pas sur des hypothèses invalidées.
Cette décision du Conseil d’État clarifie les critères à prendre en compte pour évaluer l’effet de saturation visuelle des projets de parcs éoliens, en précisant notamment que seuls les projets installés, autorisés ou en cours d’instruction susceptibles d’être autorisés doivent être considérés. Cette précision est essentielle pour les porteurs de projets et les autorités administratives dans l’instruction des demandes d’autorisation environnementale.
Cette solution s’imposait sauf à totalement déconnecter de la réalité la saturation visuelle pour concevoir définitivement son appréciation dans une dimension parallèle…
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