La doctrine de l’armée en matière d’éoliennes : du vent ? (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon)

fotolia_100046680Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Le Conseil d’Etat, gardien de l’Etat de droit, a, dans une décision du 11 décembre 2015, précisé que les changements de doctrine de l’armée ne devaient pas préjudicier aux opérateurs éoliens lorsqu’ils demandaient une prorogation de permis de construire.

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un préfet a délivré à un opérateur éolien un permis de construire pour l’implantation de sept éoliennes et d’un poste de livraison, au vu notamment d’un avis favorable rendu par l’autorité militaire en application de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile.

L’opérateur éolien a alors déposé une demande de permis de construire modificatif afin d’augmenter la longueur des pales des sept éoliennes autorisées mais, à la suite d’un avis défavorable de l’autorité militaire, sa demande a été refusée. L’opérateur éolien a également déposé une demande de prorogation du permis de construire, elle aussi rejetée.

Ces deux refus ont été contestés devant le tribunal administratif de Rennes. Le tribunal administratif, confirmé ensuite par la Cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03252), a rejeté la requête dirigé contre le refus de prorogation du permis de construire.

Le tribunal a, en revanche, fait droit à la demande d’annulation du juillet refus de permis de construire modificatif au motif que le préfet avait porté son appréciation sur l’intégralité du projet et non sur les modifications faisant l’objet du permis de construire modificatif. La Cour administrative d’appel de Nantes a toutefois censuré ce raisonnement dans un autre arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°12NT03253) en estimant que la décision par laquelle le préfet s’était prononcé sur le permis de construire modificatif n’avait pas eu pour objet de retirer le permis de construire initial qui demeure.

L’opérateur éolien a alors formé deux pourvois en cassation devant le Conseil d’Etat qui s’est prononcé par une seule décision le 11 décembre 2015. Il s’agit de la décision présentement commentée. (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 11 décembre 2015, n°371567, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Après s’être prononcé sur le refus de prorogation du permis de construire (I), le Conseil d’Etat a examiné le refus de permis de construire modificatif (II).

I. Sur le refus de prorogation du permis de construire

Aux termes du premier alinéa de l’article R. 424-21 du code de l’urbanisme alors applicable : ” Le permis de construire, d’aménager ou de démolir ou la décision de non-opposition à une déclaration préalable peut être prorogé pour une année, sur demande de son bénéficiaire si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard. (…) ».

Il convenait donc de déterminer si les servitudes administratives avaient évolué sur le terrain d’assiette du site.

En vertu de l’article R. 425-9 du code de l’urbanisme: ” Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d’aménager tient lieu de l’autorisation prévue par l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile dès lors que la décision a fait l’objet d’un accord du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre de la défense. ” ;
De plus, l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme alors en vigueur (désormais codifié à l’article L. 151-43 du code de l’urbanisme) prévoyait que les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales devaient comporter en annexe les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol et qui figurent sur une liste dressée par décret en Conseil d’Etat. Parmi cette annexe figuraient les « Servitudes établies à l’extérieur des zones de dégagement en application des articles R. 244-1 et D.244-1 à D. 244-4 du code de l’aviation civile ».

Il n’est donc pas contestable que les servitudes aéronautiques issues de l’article R.244-1 du code de l’aviation civile sont des servitudes administratives au sens de l’article L. 424-21 du code de l’urbanisme. Or, l’article R.244-1 du code de l’aviation civile complété par un arrêté du 25 juillet 1990 soumet la construction d’éoliennes à autorisation du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre chargé de la défense.

Toutefois, en l’espèce, la difficulté résultait dans le fait que si les servitudes aéronautiques n’avaient pas changé, leur appréciation par l’autorité militaire était devenue plus stricte. En effet, une circulaire du 3 mars 2008 créant des lignes directrices, complétée par des études de la défense datant de 2009, conduisait l’autorité militaire à apprécier plus strictement les servitudes issues de l’arrêté du 25 juillet 1990. Celle-ci a donc émis, du fait de cette modification de son appréciation, un avis défavorable sur le projet en cause.

La question posée au Conseil d’Etat était donc de savoir si la modification de l’appréciation, par l’autorité militaire, des conditions dans lesquelles une servitude s’appliquait au terrain d’assiette d’un projet éolien devait être considérée comme une modification de la servitude au sens de l’article R.424-21 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’Etat répond à cette question en deux temps. Dans un premier temps, il précise que : « l’autorité administrative, saisie d’une demande de prorogation d’un permis de construire par une personne ayant qualité pour présenter une telle demande, ne peut refuser d’y faire droit que si les règles d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres s’imposant au projet ont été modifiées, postérieurement à la délivrance du permis de construire, dans un sens qui lui est défavorable ; qu’elle ne peut fonder un refus de prorogation sur une évolution des autres éléments de droit ou circonstances de fait, postérieure à la délivrance de l’autorisation ».

Il avait déjà posé ce principe quelques années auparavant, dans une décision du 5 novembre 2003 (Conseil d’Etat, section, 5 novembre 2003, n°230535, publié au recueil Lebon).

Il complète ensuite son analyse en ajoutant que : « la modification, dans un sens plus restrictif, de l’appréciation portée par l’autorité administrative compétente sur les conditions d’application des textes régissant une servitude, ne peut, dès lors que ceux-ci n’ont pas été modifiés, être regardée comme constituant une modification de cette servitude dans un sens défavorable pour l’application des dispositions de l’article R. 424-21 du code de l’urbanisme ».

Il en déduit alors que « la circonstance que l’administration compétente a, postérieurement à la délivrance d’une autorisation de construire, adopté des lignes directrices pour l’instruction des demandes qui lui sont adressées est à cet égard sans incidence ; que, par suite, en jugeant que le changement d’appréciation de l’autorité militaire, saisie en application de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile d’une demande d’autorisation, sur les conditions d’application de l’arrêté du 25 juillet 1990 précité pouvait être regardé comme une évolution dans un sens défavorable à la société requérante de la servitude prévue par l’article R. 244-1, de nature à justifier légalement le refus de prorogation litigieux, sans rechercher si les textes régissant cette servitude avaient été modifiés, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; »

Il censure donc la Cour administrative d’appel de Nantes. Cette décision, rendue sur conclusions conformes du rapporteur public, était particulièrement nécessaire. La doctrine de l’armée en matière de servitudes aéronautiques et d’éoliennes est versatile, voire purement opportune. Le rapporteur public, dans ses conclusions, invitait ainsi la formation de jugement à ne pas se « laisser impressionner par les impératifs de sécurité ou d’efficacité militaires que l’on peut associer à la nouvelle doctrine de l’autorité militaire sur les effets des radars, cette dernière disposant de voie de droit s’il convient de revenir sur l’autorisation spéciale délivrée ».

Le Conseil d’Etat s’est ensuite prononcé sur le refus de permis de construire modificatif.

II. Sur le refus de permis de construire modificatif

Plusieurs moyens étaient invoqués devant le Conseil d’Etat pour contester le rejet de la demande de permis de construire modificatif.

En premier lieu, le Conseil d’Etat a écarté le moyen selon lequel la Cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en jugeant qu’une décision de refus de permis de construire modificatif n’avait pas pour effet de retirer le permis de construire initial. Il écarte également le moyen tiré du fait que la Cour aurait inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ou aurait insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que « les motifs de l’avis défavorable du ministre de la défense et de la décision attaquée, tirés du risque d’un accroissement de la longueur des pales des éoliennes pour l’efficacité des radars et la sécurité aérienne, n’étaient pas étrangers aux modifications projetées. » Cette décision est gênante dans la mesure où l’efficacité des radars ne nous paraît pas entrer dans le cadre des motifs pouvant être pris en compte dans le cadre de l’application de l’article R.244-1 du code de l’aviation civile, celui-ci visant exclusivement les obstacles à la navigation aérienne du fait de la hauteur des installations mais non l’efficacité des radars. De même, l’efficacité des radars militaire ne nous paraît pas entrer dans le cadre des servitudes aéronautiques possibles, celles-ci regroupant à notre sens les servitudes de dégagement et les servitudes de balisage.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat a écarté le moyen d’une substitution de base légale réalisée irrégulièrement par la Cour administrative d’appel.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat a éludé le débat sur la valeur de la circulaire interministérielle du 3 mars 2008 alors qu’il y était pourtant invité. Il a en effet considéré, « en tout état de cause », que la Cour a « jugé que l’avis défavorable du ministre de la défense était fondé sur l’arrêté du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l’établissement à l’extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation et diverses études ; qu’elle a ainsi regardé le moyen tiré de l’illégalité de la circulaire comme inopérant ». Il a donc écarté le moyen tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation des pièces du dossier.

Il est particulièrement dommage que le débat sur la valeur de la circulaire du 3 mars 2008 ait été éludé. Nous pouvons seulement relever que, dans cette décision, le Conseil d’Etat a considéré qu’il s’agissait de « lignes directrices pour l’instruction des demandes »

Enfin, en quatrième et dernier lieu, le Conseil d’Etat écarte le moyen tiré de ce que la servitude aérienne serait dépourvue de base légale au motif qu’il était invoqué pour la première fois en cassation. Il est d’ailleurs bien dommage que ce moyen n’ait pas été examiné par le Conseil d’Etat car il nous paraît parfaitement fondé.

Dès lors, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel sur le refus du permis de construire modificatif.
En conclusion, le Conseil d’Etat, par cette décision, ne met sans doute pas un terme à la versatilité de la doctrine du ministre chargé de la défense mais instaure une limite indispensable dans un Etat de droit. De nombreuses questions restent toutefois en suspens en ce qui concerne la légalité de la doctrine de l’armée en matière de radars militaires et d’éoliennes.