La « Danthonysation » des vices affectant l’ouverture d’une enquête publique

Rubber duckPar

Maître Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision Danthony, a dégagé un « principe » désormais bien connu : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon).

Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

En pratique, cette décision a impulsé un tournant quant à l’appréciation par le juge des vices de procédure, même si une partie de la doctrine considère encore que « le changement provoqué par l’arrêt Danthony est […] purement cosmétique » (Julien Bétaille, « Insuffisance de l’étude d’impact : Danthony ne change rien, ou presque », Droit de l’Environnement, n°231, Février 2015, p.65). Le praticien qui vit les applications par les juges du fond de la jurisprudence Danthony est sans doute moins enclin à cultiver ce paradoxe… la Danthonisation lui semble injuste pour le requérant, suscitant une frustration tout aussi comparable à celle des pétitionnaires victimes hier d’annulations reposant sur des motifs trop formalistes. Ainsi les positions de principe du Conseil d’Etat masquent les excès du juge du fond. Ainsi l’arrêt Danthony a incontestablement été compris par ces derniers comme un excellent moyen de neutraliser les illégalités formelles.

Quoiqu’il en soit, le principe dégagé par la décision Danthony fut notamment appliqué en matière d’ouverture d’enquête publique lorsque cette enquête était prévue par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique :

« 2. Considérant que s’il appartient à l’autorité administrative de procéder à la publicité de l’ouverture de l’enquête publique dans les conditions fixées par les dispositions précitées, la méconnaissance de ces dispositions n’est de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’enquête publique relative à la création, sur le territoire de la commune de Noisy-le-Grand, d’une liaison piétonne et automobile entre la zone d’aménagement concerté dénommée  » du Clos Saint Vincent  » et la rue Pierre Brossolette a commencé le 7 juin 2005 ; que l’avis d’enquête publique a été publié le 21 mai 2005 dans l’un des deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département intéressé et que cette publication a été renouvelée dans l’édition du 10 juin 2005 du même journal ; que cet avis d’enquête publique a également fait

l’objet d’une information résumée accompagnée de renseignements pratiques dans le magazine municipal gratuit  » Noisy-Mag  » le 4 juin 2005 ; que la cour administrative d’appel de Versailles a annulé l’arrêté du 21 octobre 2005 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a déclaré d’utilité publique l’acquisition des parcelles nécessaires à la création de la liaison piétonne et automobile projetée au motif de l’absence d’une publication dans un second journal régional ou local répondant aux exigences de l’article R. 11-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique sans rechercher, alors qu’une publication résumée de cet avis était intervenue dans un magazine municipal distribué dans l’ensemble de la commune, si ce manquement était, dans les circonstances de l’espèce, de nature à entacher d’irrégularité l’ensemble de la procédure d’enquête publique pour défaut d’information et de consultation du public ; qu’elle a ainsi commis une erreur de droit ; […] » (Conseil d’État, première et sixième sous-sections réunies, 3 juin 2013, n°345174, mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Or désormais, le Conseil d’Etat l’applique également en ce qui concerne l’ouverture des enquêtes publiques régies par les dispositions du code de l’environnement. Il s’agit de la décision présentement commentée (Conseil d’Etat, deuxième et septième sous-sections réunies, 27 février 2015, n° 382502, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

 

En l’espèce, trois projets relevant de la maîtrise d’ouvrage de la communauté urbaine de Lyon ont été retenus pour permettre la desserte du projet du Grand Stade de Lyon,

Ces trois projets ont été chacun soumis à une enquête publique distincte mais réalisée concomitamment.

Par trois arrêtés du 23 janvier 2012, le préfet du Rhône a déclaré d’utilité publique ces trois projets puis par deux arrêtés du 30 mars et par un arrêté du 24 juillet 2012, a déclaré cessibles les parcelles de terrain nécessaires à la réalisation d’un des projets.

Ces arrêtés firent l’objet de recours en excès de pouvoir.

En première instance, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ces recours pour excès de pouvoir par trois jugements du 10 avril 2013.

En appel, après avoir relevé que les arrêtés du préfet du Rhône prescrivant l’ouverture des enquêtes publiques et les avis au public relatifs à ces enquêtes avaient omis de mentionner que les projets avaient fait l’objet d’une étude d’impact et que ce document faisait partie du dossier soumis à l’enquête, la cour administrative d’appel de Lyon a estimé que cette méconnaissance des dispositions des articles R. 123-13 et R. 123-14 du code de l’environnement avait été de nature à nuire à l’information des personnes intéressées par le projet et justifiait l’annulation des arrêtés portant déclaration d’utilité publique.

Il s’agissait là d’une application du principe dégagé par la décision Danthony, la cour ayant considéré que le vice de procédure entachant l’ouverture de l’enquête publique avait entaché d’illégalité les décisions attaquées dans la mesure où il avait nui à l’information du public.

Elle a donc, par trois arrêts du 14 mai 2014, annulé les jugements du tribunal administratif de Lyon ainsi que les arrêtés du préfet du Rhône des 23 janvier, 30 mars et 24 juillet 2012.

Le ministre de l’intérieur et la communauté urbaine de Lyon se sont pourvus en cassation contre ces trois arrêts.

Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat a rappelé que :

« s’il appartient à l’autorité administrative de procéder à l’ouverture de l’enquête publique et à la publicité de celle-ci dans les conditions fixées par les dispositions du code de l’environnement précédemment citées, la méconnaissance de ces dispositions n’est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle n’a pas permis une bonne information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative ».

Il a alors considéré que, bien que la Cour ait relevé que le vice de procédure ait été de nature à nuire à l’information des personnes intéressées par le projet et justifiait l’annulation des arrêtés portant déclaration d’utilité publique, « la cour admettait toutefois que l’étude d’impact, qu’elle qualifiait au demeurant de particulièrement volumineuse, figurait dans le dossier d’enquête et avait pu être consultée par le public lors des permanences de la commission d’enquête ; qu’elle relevait, en outre, le nombre d’observations recueillies au cours de l’enquête, ainsi que le fait que le programme du Grand Stade avait été largement couvert par les médias, la circonstance que le dossier de permis de construire le stade avait été soumis à enquête publique avec mention de l’existence de l’étude d’impact et la circonstance que la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement avait émis un avis sur l’étude d’impact disponible par voie électronique ».

Il a alors conclu « qu’en se fondant sur la seule circonstance qu’avait été omise la mention relative à l’existence de l’étude d’impact dans les arrêtés d’ouverture des enquêtes publiques et les avis au public pour estimer que la procédure avait été viciée, alors que ce seul élément, en l’absence d’autres circonstances, n’est pas de nature à faire obstacle, faute d’information suffisante, à la participation effective du public à l’enquête ou à exercer une influence sur les résultats de l’enquête, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ».

Cette décision est intéressante d’un double point de vue :

  • D’une part, elle rappelle l’importance d’apprécier in concreto si le vice de procédure a pu avoir pour effet de nuire à l’information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou s’il a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative. Cela rappelle l’appréciation des conséquences du vice « en l’espèce » exigée par la décision Danthony.
  • D’autre part, cette décision témoigne une fois encore de la volonté du Conseil d’Etat d’assouplir son appréciation des irrégularités externes : il est nécessaire que ces dernières soient substantielles pour qu’elles puissent entraîner l’illégalité des décisions contestées. Cette tolérance à l’égard des irrégularités externes est particulièrement exacerbée lorsque les projets comportent des enjeux importants et mettent en cause des derniers publics, comme cela peut être le cas de la réalisation d’un grand stade…

Bien que la tendance actuelle du Conseil d’Etat soit d’éviter, autant que faire se peut, les annulations en raison de vices de légalité externe, il est tout de même nécessaire de rappeler une phrase de Victor Hugo selon laquelle « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Par suite, à force de trop tolérer des irrégularités externes, n’est-ce pas le fond même des décisions administratives qui risque, à terme, d’en pâtir ?

Mais on peut aussi considérer que depuis trop d’années on a laissé les pétitionnaires se faire annuler en surface et se noyer dans un verre d’eau …