Par un arrêt lu le 31 octobre 2013 « Société I. » n° 11VE02431, la Cour administrative d’appel de Versailles précise que l’ « exploitant » d’une ICPE est celui qui a obtenu du Préfet le récépissé de déclaration, et ce indépendamment du fait que l’exploitation effective de l’installation soit laissée à d’autres sociétés commerciales. En conséquence de quoi, c’est à cet exploitant que doit être adressé un arrêté de mise en demeure de respecter les conditions d’exploitation de l’installation classée en question.
Déjà nous pouvions nous interroger en ces termes : « la qualité d’exploitant s’apprécie-t-elle in abstracto (en fonction du titre) ou in concreto (en fonction de l’exploitation réelle) ? (D.DEHARBE, Les installations classées pour la protection de l’environnement, Litec, 2007, pt. 419). La décision de la CAA de Versailles fournit une réponse claire à cette question mais elle n’est pas sous soulever de nouvelles interrogations au sujet d’une situation devenant alors problématique, quasi-piégeuse pour l’exploitant en titre car quels que soient les aménagements conventionnels conclus relatifs à la délégation de l’exploitation de l’installation, c’est toujours au titulaire du titre d’exploitant que l’administration enjoindra de se conformer à la règlement ICPE.
Les faits étaient simples : la société I. s’est vue délivrer un permis de construire en vue de la reconstruction d’un bâtiment à usage de stockage et d’industrie. Parallèlement, la société I. a établi une déclaration pour l’exploitation, sous la rubrique 1510-2 de la nomenclature ICPE (soit l’activité d’entrepôt) pour un bâtiment composé de cinq cellules. Cela a donné lieu à un récépissé de déclaration qui constitue son titre. Par la suite, la société I. a donné à bail à des sociétés commerciales une partie du bâtiment dont l’une des ces sociétés exploitait un dépôt de pétards et d’artifices – relevant de la rubrique 1311 de la nomenclature ICPE – sans déclaration préalable. Une visite de contrôle pointait, en substance, l’absence de conformité des conditions d’exploitation de l’entrepôt à la réglementation applicable et conduisait in fine à l’arrêté de mise en demeure pris par le Préfet de la Seine-Saint-Denis à l’encontre de la société I.
Le Tribunal administratif de Montreuil a d’abord rejeté la demande la société requérante d’annulation de l’arrêté de mise en demeure de régulariser sa situation administrative d’annuler en déposant un dossier modificatif de déclaration. La société I. a alors interjeté appel du jugement en développant plusieurs moyens :
– Le jugement serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation car les installations, qui ont fait l’objet de la mise en demeure querellée, sont exclusivement exploitées par la société A ;
– La société I. n’est que propriétaire des locaux exploités et à ce titre, ne pouvait légalement être mise en demeure au titre de la législation sur les ICPE ;
– Les preneurs des locaux – la société A – se sont contractuellement engagés pour l’exercice de leur activité commerciale à obtenir les autorisations administratives nécessaires ;
– Dès lors, il appartenait aux seuls preneurs des locaux de déposer la déclaration prévue à l’article R. 512-68 du code de l’environnement (déclaration d’un nouvel exploitant).
La Cour constate d’abord que l’article R. 512-68 du code de l’environnement oblige « le nouvel exploitant » à déclarer au préfet « dans le mois qui suit la prise en charge de l’exploitation », les informations inhérentes à la personne et à l’activité du nouvel exploitant. La Cour considère que cet article ne s’applique pas en l’espèce puisque la société I. s’est vue délivrer un récépissé de déclaration pour l’exploitation d’un entrepôt couvert.
Pour rejeter le moyen selon lequel seuls les preneurs des locaux exploitaient l’exploitation, ce qui empêcherait la société I. d’être mise en demeure, la Cour relève :
« Qu’il résulte de l’instruction qu’en l’absence de toute déclaration auprès des services préfectoraux compétents d’un changement d’exploitant dans les conditions prévues par les dispositions susvisées, la Société I. est demeurée exploitante en titre de l’ensemble immobilier objet du récépissé délivré par le Préfet de la Seine-Saint-Denis le 8 mars 1999 ; »
Par suite, la CAA de Versailles neutralise le moyen selon lequel la société I. n’est qu’une société civile immobilière et qu’à ce titre elle donne en location à des sociétés exploitante l’entrepôt dont elle est propriétaire. En effet, bien qu’une jurisprudence constante veut qu’en sa seule qualité de propriétaire, ce dernier ne peut pas faire l’objet d’une mise en demeure (CE, 21 févr. 1997, SCI Les Peupliers, req. n° 160250 ; CAA Marseille, 13 avril 2006, SCI Joëlle, req. n° 02MA00689 ; CAA Douai, 18 oct. 2008, Société Intradis, req. n° 06DA01279), la société I. était en outre exploitante de l’installation classée en litige ce qui rend de jure la mise en demeure querellée opposable. A ce titre, le Conseil d’Etat juge que l’exploitant doit s’entendre comme le titulaire de l’autorisation mais plus, que l’existence d’un contrat confiant à un tiers l’exploitation de l’installation est, en l’absence d’une telle autorisation de changement d’exploitant, sans influence sur la qualification d’exploitant (CAA Douai, 22 mai 2008, Société Novergie, req. n° 06DA01271 ; solution confirmée par : CE, 29 mars 2010, Communauté des communes de Fécamp, req. n° 318886).
Dernièrement, dans un arrêt « Société Arcelormittal France » (CE, 6 déc. 2012, req. n°333977), le Conseil d’Etat a réaffirmé qu’un arrêté préfectoral pouvait être adressé, y compris après mise à l’arrêt définitif de l’installation, à l’exploitant « lequel doit s’entendre comme le titulaire de l’autorisation délivrée sur le fondement de l’article L. 511-1 du code de l’environnement […]». Ainsi, l’arrêté adressé au dernier exploitant de fait a donc été annulé.
La juridiction d’appel de Versailles, pour répondre au moyen selon lequel il appartenait aux sociétés commerciales – dont la société A – d’obtenir les autorisations administratives indispensables à l’exercice de leur activité en vertu des clauses d’un bail, énonce :
« que la société I. […] ne peut utilement soutenir […] qu’il incombait aux seuls preneurs d’informer l’administration du changement d’exploitant en vertu des clauses du bail qui les liaient à la société I., alors que les stipulations contractuelles liant la requérante à ses preneurs ne sauraient être opposées à l’administration »
Cette analyse s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante selon laquelle le titre d’exploitant d’une installation classée ne saurait être remis en cause de manière contractuelle (par une convention de droit privé) entre l’exploitant en titre et l’exploitant effectif.
Autrement dit, la délivrance du récépissé ou de l’autorisation d’exploiter confère à son bénéficiaire la qualité d’exploitant bien qu’il se soit déchargé de l’exploitation effective au terme d’un contrat dont les stipulations de droit privé ne sont pas opposables à l’administration (CAA Lyon, 9 déc. 1997, Société Elipol, req. n° 93LY00816).
En pratique, l’arrêt « Société I. » doit particulièrement appeler l’attention des dirigeants des sociétés civiles immobilières dont il est fréquent qu’elles détiennent un titre pour les entrepôts destinés ensuite à être loués, sur deux points :
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En tant qu’exploitante en titre d’une installation ICPE et quand bien même l’exploitation effective de l’installation est réglée par un contrat de droit privé, une SCI ne pourra s’exonérer du respect de la police des ICPE au motif que le non-respect des prescriptions est le fait de son locataire exploitant. Ainsi, devant le juge administratif, toute clause d’un bail obligeant le locataire « à informer l’administration du changement d’exploitant », restera à l’égard de l’administration sans effet. Elle ne pourra par conséquent être opposée à cette même administration lors de la naissance d’un litige comme en l’espèce ;
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Afin de parer aux conséquences de la décision commentée, il est dans l’intérêt des SCI concernées par ce type de montage contractuel d’assortir leur contrat d’une clause pénale dissuasive pour leur cocontractant si cela est envisageable, de leur faire garantir des conséquences pécuniaires de toute nature pouvant découler du non respect des obligations administratives, voire d’articuler du changement d’exploitant de telle sorte à ne pas laisser de période d’exploitant sans titre ou en non-conformité de laquelle la société initiale serait responsable sur le plan administratif et pénal.
Valentin GUNER
Green Law avocat