La cohabitation des éoliennes et des radars : plus que jamais une question d’expert! (CE, 30 déc. 2013, “Sté E.”)

Le Conseil d’Etat a rendu un arrêt ce 30 décembre 2013 qui constitue une nouvelle étape sur le long chemin des opérateurs éoliens cherchant à cohabiter avec un radar météo (CE, 30 décembre 2013, “Ste E.”, n°352693). Cet arrêt fait suite à celui de la Cour administrative d’appel de Douai du 30 juin 2011 qui avait confirmé la légalité d’arrêtés préfectoraux de refus de permis de construire fondés sur la localisation d’un parc éolien dans la zone dite “de coordination” autour d’un radar météo (soit entre 5 et 20km autour du radar). Il n’est pas inutile de rappeler que l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai intervenait lui même à la suite d’une expertise ordonnée par ladite Cour, et réalisée par un expert dont il sera établi par la suite qu’il ne présentait pas les garanties d’impartialité requises. En effet, un autre opérateur dont une expertise avait été diligentée devant le TA d’Amiens à l’égard d’un autre radar météo (celui d’Avesnes s/ Helpe, alors que le dossier devant la CAA de Douai et maintenant jugé par le Conseil d’Etat concernait le radar d’Abbeville), avait sollicité la récusation de cet expert, avec succès (voir notre analyse de l’ordonnance de récusation du 10 avril 2012). Un pourvoi en cassation est enregistré en décembre 2011 contre l’arrêt de la CAA de Douai fondé sur l’expertise réalisée par cet expert. Cependant, le Conseil d’Etat par une décision du 30 décembre 2013 rejette ce pourvoi en considérant notamment: “8. Considérant qu’aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable : ” Le permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions projetées, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d’autres installations, leurs caractéristiques ou leur situation sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ” ; 9. Considérant que la cour a relevé que le projet de champ éolien serait de nature à provoquer ” un affaiblissement de la précision et de la fiabilité des estimations des précipitations à partir des mesures en réflectivité, d’une part, et, surtout, une dégradation de l’évaluation de la vitesse du vent par mode Doppler, d’autre part ” ; qu’elle a également estimé que la société requérante ne pouvait utilement soutenir que les radars utilisés pourraient être adaptés afin de permettre la réalisation de son projet ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que les perturbations engendrées par le parc éolien seraient de nature à altérer le fonctionnement du radar météorologique ne peut qu’être écarté ; 10. Considérant que la cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis et qu’elle n’a pas dénaturés une appréciation souveraine en jugeant, par une décision suffisamment motivée et exempte d’erreur de droit, qu’il ressortait des pièces du dossier que les dysfonctionnements induits par les éoliennes sont de nature à porter atteinte à la sécurité publique au sens de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme en raison de la perturbation importante de la détection des phénomènes météorologiques dangereux qu’elles entraînent, sans réelle possibilité de neutralisation de leurs effetset, par suite, que le préfet de la Somme n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en refusant de délivrer le permis de construire les installations litigieuses ;’ Contrairement à ce qu’un survol de la décision pourrait laisser penser, il nous semble que la Haute juridiction ne pouvait malheureusement pas juger dans un sens différend. D’une part, s’agissant du défaut d’impartialité de l’expert que l’opérateur avait soulevé postérieurement à l’arrêt de la Cour et pour la première fois en cassation, il s’agit là d’un “moyen nouveau”. Juridiquement, il est constant qu’un tel moyen est inopérant (et même sans qu’il soit besoin d’en informer préalablement les parties en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative : CE, 24 novembre 2010, Commune de Lyon, n° 325195, T. p. 932). C’est profondément regrettable, surtout qu’en l’espèce, le défaut d’impartialité de cet expert avait été reconnu par une décision définitive du Tribunal administratif d’Amiens au sujet d’une expertise sur certains points comparables. C’est dire que le Conseil d’Etat, pour un pur motif de procédure, est contraint de ne pas censurer un rapport d’expertise dont il est de notoriété publique qu’il est profondément biaisé. D’autre part, le juge de cassation n’a pu ici que contrôler, s’agissant des faits qui ont été soumis à l’appréciation des juges d’appel, que leur “dénaturation” . Rappelons que le juge de cassation suit le principe selon lequel il ne contrôle pas les faits en cassation. Notamment, il s’interdit de contrôler les éléments de preuve car ils relèvent de la souveraineté des juges du fond (CE, 7 mars 1962, Jaffré : Rec. CE, tables, p. 1086. – 19 janv. 1966, Lion Mayer : Rec. CE, p. 43. – 13 nov. 1991, Brami, req. n° 98515. – sect., 10 juill. 1992, Normand : Rec. CE, tables, p. 889-905. – 22 mars 1993, CHR de Brest : Rec. CE, p. 79). Néanmoins, certains contrôles peuvent encore être opérés en cassation, comme celui de la “dénaturation des faits”. La dénaturation des faits peut permettre au juge de cassation de sanctionner les appréciations opérées par le juge du fond à partir du moment où elles ont donné des faits une interprétation fausse ou tendancieuse (CE, 4 janv. 1952, Simon : Rec. CE, p. 13, concl. M. Letourneur. – 9 févr. 1966, com. Gouv. près la commission régionale des dommages de guerre de Colmar c/ Dame Debré-Feldbau : Rec. CE, p. 101. – 16 mars 1975, Bischoff : RD publ. 1975, p. 1453. – 3 déc. 1975, Bové : RD publ. 1976, p. 618. – 25 nov. 1985, Dame Frapier de Montbenoît-Gervais : Rec. CE, p. 911. – 23 juin 1993, Cne de Lespinasse, req. n° 129363. – 13 déc. 1993, Albert Beaume, req. n° 117130 : Dr. fisc. 1994, n° 13, comm. 644, concl. Loloum. – 26 janv. 1994, Knafo : Dr. fisc. 1994, n° 15, comm. 751. – 26 janv. 1994, Panas : Dr. fisc. 1994, n° 18, comm. 831. –…

ICPE: les élevages de porcs soumis au régime de l’enregistrement, une nouvelle rubrique pour le traitement de déchets de PCB

Les exploitants d’ICPE veilleront aux modifications suivantes apportées à la nomenclature. Le décret n°2013-1301 du 27 décembre 2013 (NOR:  DEVP1328917D) introduit les changements suivants : – deux nouvelles rubriques de la nomenclature des ICPE sont soumises au régime de l’enregistrement : les élevages de porcs, d’une part, l’activité de transformation de polymères (matières plastiques, caoutchouc, etc., rubrique n°2661), d’autre part. Nous parlions ici de cette réforme sujette à débat. – et des rubriques consacrées au traitement des déchets sont également modifiées : ainsi, la rubrique 1180 intégrant des activités de traitement de déchets est supprimée, tandis qu’une rubrique relative au traitement des déchets de PCB est créée (la rubrique 2792).   Sont publiés le même jour les arrêtés de prescriptions générales pour la rubrique relative aux polymères (disponible ici pour la rubrique 2661, et là pour les élevages de porcs).  

Urbanisme: précisions sur l’étendue du droit à réparation de la partie civile en cas de construction sans permis, ultérieurement régularisée (Cass crim, 13 nov.2013)

Dans un arrêt en date du 13 novembre 2013, publié au Bulletin (Cass Crim.13 novembre 2013, n°12-84.430), la Cour de cassation rappelle que la Cour d’appel, saisie par une partie civile suite à la condamnation définitive d’un prévenu pour violation du permis de construire, est tenue de réparer le préjudice entre la date de construction litigieuse et celle de sa régularisation. En l’espèce, un permis de construire modificatif était intervenu après la condamnation pénale définitive pour construction sans permis, de sorte qu’une période intermédiaire s’était ouverte. La Cour d’appel de renvoi avait rejeté les demandes de réparations des parties civiles en appel au motif que l’infraction n’était pas constituée puisqu’un PC modificatif était, entre temps, intervenu, ce qui avait régularisé le permis initial La Cour de cassation censure cette appréciation en considérant qu’ «  il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe ; Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que les époux X… ont porté plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction en exposant qu’ils avaient fait l’acquisition, à La Croix-Valmer (Var), d’un appartement avec vue sur la mer et qu’après leur achat, la construction irrégulière d’une villa les avait privés de cette vue ; que M. Jean-Pierre Z…, responsable de l’exécution des travaux litigieux, renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir méconnu les prescriptions du permis de construire en augmentant la surface du garage de la villa, a été déclaré coupable de ces faits et dispensé de peine, l’infraction ayant été réparée par l’obtention d’un permis modificatif ; que, statuant sur l’action civile, les premiers juges ont déclaré la constitution de partie civile des époux X… irrecevable ; Attendu que, statuant sur le seul appel des parties civiles, l’arrêt attaqué déclare recevable leur constitution, puis, pour les débouter de toutes leurs demandes, retient que la perte partielle de vue trouve sa cause, non dans l’infraction, mais dans la construction, conforme aux règles de l’urbanisme pour avoir obtenu un permis modificatif ultérieur ; qu’ils ajoutent que les époux X…, qui ne pouvaient ignorer que de telles constructions étaient susceptibles d’être édifiées dans ce secteur urbanisé et prisé, ne démontrent pas l’existence d’un préjudice en lien direct avec l’infraction ; Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que M. Z… avait été définitivement condamné pour avoir édifié la construction litigieuse, la cour d’appel, qui était tenue de rechercher l’étendue du préjudice subi entre la date de la constatation de la construction irrégulièrement entreprise et celle de sa régularisation, n’a pas donné de base légale à sa décision ; D’où il suit que la cassation est encourue ; » La présente décision rappelle donc les contours du droit à réparation de la partie civile dans le cadre d’une procédure pénale engagée au titre d’une infraction au droit de l’urbanisme et souligne la nécessité pour les juridictions répressives d’apprécier ce droit à réparation eu égard à une condamnation devenue ou non définitive. La solution aurait été sans doute différente si un appel avait été formé par le prévenu et que ce dernier avait justifié d’un permis de construire modificatif permettant une régularisation de sa situation devant le juge d’appel. Cela doit donc conduire toute partie à un procès pénal, en matière d’urbanisme, à être vigilante sur les possibilités de régularisation et les incidences procédurales que cela peut avoir. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat

Urbanisme: comment apporter la preuve d’une violation d’une règle d’urbanisme? (Cass, 23 octobre 2013, n°12-24.919)

Dans un arrêt en date du 23 octobre, la Cour de cassation rappelle que la preuve d’une faute résultant de la violation d’une règle d’urbanisme peut être établie par tous moyens (Civ. 3e, 23 oct. 2013, FS-P+B, n° 12-24.919), ce qui peut relativiser la portée d’un certificat de conformité des travaux. En l’espèce, un voisin avait obtenu dans le cadre d’une procédure en référé la désignation d’un expert afin que ce dernier détermine si l’habitation voisine à sa propriété dépassait la hauteur autorisée par le plan d’occupation des sols. Fort du rapport remis, le requérant avait assigné son voisin aux fins de solliciter la démolition de l’habitation et des dommages et intérêts. La Cour d’appel avait rejeté les demandes du requérant aux motifs que le propriétaire attaqué avait obtenu une décision administrative, en l’espèce, un certificat de conformité des travaux eu égard au permis de construire délivré. De cette seule constatation, la Cour avait estimé que la preuve de la  violation des règles d’urbanisme n’est pas apportée et qu’en tout état de cause cette décision administrative prévaut sur le rapport d’expertise judiciaire. La cour de cassation casse le raisonnement de la cour d’appel et précise : « Attendu que pour débouter M. X… de sa demande de dommages intérêts, l’arrêt retient que le 4 octobre 2004, M. Y… s’est vu accorder un certificat de conformité pour les travaux ayant fait l’objet du permis de construire accordé le 12 octobre 2001, que ce certificat, dont la légalité n’est pas contestée, atteste de la conformité des travaux au permis de construire, que cette décision administrative, que le juge de l’ordre judiciaire ne saurait remettre en cause, prévaut sur les constatations effectuées par les experts judiciaires et apporte la preuve qu’aucune violation des règles d’urbanisme ne saurait être reprochée à M. Y… et qu’en l’absence de faute imputable à M. Y… celui-ci ne saurait voir engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil ; Qu’en statuant ainsi, alors que la faute de M. Y…, résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil, pouvait être établie par tous moyens, la cour d’appel a violé le texte ».   En l’espèce, l’arrêt de la Cour de cassation met en relief l’interaction des décisions administratives dans le cadre d’un litige judiciaire. Une fois n’est pas coutume, l’arrêt de cassation souligne la portée trop importante qu’ont accordé les juges du fond à un acte administratif (au demeurant un certificat de conformité) et ce en méconnaissance d’une règle générale de droit civil qui prévoit que la preuve de prétentions peut être apportée par tous moyens.   Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat

Détermination du fondement légal permettant au maire d’ordonner une mesure de démolition immédiate d’un immeuble dans une situation de « péril particulièrement grave et imminent ».

Dans une décision en date du 6 novembre 2013 (CE 6 nov. 2013, requête n° 349245), le Conseil d’état a précisé qu’en situation de « péril particulièrement grave et imminent », la démolition immédiate d’un immeuble ne pouvait être ordonné par le maire que sur la base de ses pouvoirs de police générale, et non sur la base de l’article L 511-3 du code de la construction et de l’habitation. En l’espèce, un maire, sur la base  des conclusions d’un expert désigné par le tribunal administratif, avait pris, un arrêté de péril imminent qui ordonnait à son propriétaire de procéder à l’évacuation et à la démolition de l’immeuble, au visa de l’article L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation. Le Conseil d’État censure ledit arrêté prescrivant une telle mesure et rappelle à l’occasion du litige les règles applicables selon que l’on est en présence d’une situation de « péril ordinaire » ou de « péril imminent ». Ainsi le Conseil d’Etat rappelle : S’agissant de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation qui relatif au péril « ordinaire » : Consécutivement à une procédure contradictoire, le maire met le propriétaire de l’immeuble menaçant ruine en demeure de faire les réparations nécessaires ou les travaux de démolition. Ce n’est  qu’à défaut de réalisation de ces mesures que le maire peut faire procéder à la démolition prescrite sur ordonnance du juge.   S’agissant de l’application des dispositions de l’article L. 511-3 du Code de la construction et de l’habitation relatif au « péril imminent » : le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative la nomination d’un expert qui examine les bâtiments et propose des mesures de nature à mettre fin à l’imminence du péril. Dans l’hypothèse où le rapport de l’expert conclut à l’existence d’un péril grave et imminent, le maire doit ordonner les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité. Au besoin, ces mesures peuvent être exécutées d’office. C’est ici que le Conseil d’Etat précise que ce fondement ne peut être utilisé pour prononcer une démolition. Le Conseil d’État apporte en effet des précisions à l’hypothèse d’une situation de péril « imminent » et souligne : « que, si le maire peut ordonner la démolition d’un immeuble en application des dispositions de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation, après accomplissement des formalités qu’il prévoit, il doit, lorsqu’il agit sur le fondement de l’article L. 511-3 afin de faire cesser un péril imminent, se borner à prescrire les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité ; qu’en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition, le maire ne peut l’ordonner que sur le fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales ; qu’un arrêté ordonnant la démolition d’un immeuble sur le fondement de l’article L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation est entaché d’une illégalité qui touche au champ d’application de la loi et doit, par suite, si elle n’a pas été invoquée par le requérant, être relevée d’office par le juge saisi d’un recours contre l’arrêté  ». La décision du Conseil d’Etat du 6 novembre 2013 rappelle l’interprétation stricte qu’il convient de faire des dispositions des articles L 511-2 et L 511-3 du Code de la construction et de l’habitation, laquelle est justifiée par l’intervention du maire sur le droit fondamental que constitue le droit de propriété des particuliers. Le fondement légal des pouvoirs de police du Maire (article L 2212-2 CGCT) comporte en effet un régime juridique différent de celui du Code de la construction et de l’habitation. D’un point de vue strictement procédural, cette décision souligne l’importance de vérifier la motivation des arrêtés de « péril imminent » dans le cadre de la contestation de ces derniers devant les juridictions administratives. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat