Déchets plastiques à usage unique : un Etat exemplaire par anticipation

Par Maître Marie-Coline GIORNO (Avocate collaboratrice chez Green Law Avocats)

Par une circulaire du 25 février 2020 relative aux engagements de l’État pour des services publics écoresponsables (NOR : PRMX2005931C, N° 6145/SG), le Premier ministre a indiqué aux ministres et secrétaires d’État et aux préfets de région que la démarche de « l’État exemplaire » doit désormais reposer sur un socle de vingt mesures présentées comme obligatoires ainsi que sur un dispositif de mobilisation des agents appelés à identifier et proposer d’autres mesures.

Parmi les mesures obligatoires qui sont mentionnées dans ce socle, figure l’engagement de l’État à ne plus acheter de plastique à usage unique en vue d’une utilisation sur les lieux de travail et dans les événements qu’il organise à compter de juillet 2020 (cf. mesure n°9 de l’annexe de la circulaire).

Cependant, cette interdiction existait déjà depuis une quinzaine de jours à l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement et aurait dû entrer en vigueur… presque deux ans plus tard !

En effet, l’article 77 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dite Loi « AGEC » (JORF n°0035 du 11 février 2020) avait créé l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement dont le 17e alinéa disposait déjà :  « A compter du 1er janvier 2022, l’État n’achète plus de plastique à usage unique en vue d’une utilisation sur les lieux de travail et dans les évènements qu’il organise. Un décret précise les situations dans lesquelles cette interdiction ne s’applique pas, notamment afin de prévenir les risques pour la santé ou pour la sécurité » .

Il convient d’ailleurs de souligner que le projet de loi avait cristallisé de nombreux débats avant que la loi « AGEC » ne soit finalement adoptée en commission mixte paritaire. La mesure sur l’interdiction du plastique à usage unique a fait d’ailleurs partie des mesures phares de cette loi et avait donné lieu à un lobbying intensif, notamment de la part des fédérations d’entreprises de l’industrie du plastique  (cf. analyse thématique « Le lobbying autour de la loi « AGEC » de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique du  9 mai 2022).

C’est dans ce contexte que la Fédération nationale de vente et de services automatiques (NAVSA) a demandé au Conseil d’Etat d’annuler la mesure n° 9 de la circulaire du Premier ministre du 25 février 2020 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 12 juin 2020, ainsi que, à titre subsidiaire, la circulaire elle-même, la perte des marchés étatiques avec deux ans d’avance représentant sans doute un manque à gagner important pour les membres de sa fédération.

Dans son arrêt de principe qui a été publié au recueil Lebon (CE, 16 mai 2022, n° 445265), le Conseil d’État a dû trancher deux questions de droit :

–    d’une part, la question de la compétence du Premier ministre pour interdire, par circulaire, aux administrations de l’État le recours à des produits en plastique à usage unique (1) ;

–    et d’autre part, la question de la possibilité, pour le Premier ministre, d’anticiper, par une circulaire, l’interdiction légale imposée à l’État d’acquérir des produits en plastique à usage unique (2).

1) En ce qui concerne la première question relative à la compétence du Premier ministre :

Le Conseil d’État a considéré qu’il était « loisible, au Premier ministre sur le fondement des dispositions de l’article 21 de la Constitution en vertu desquelles il dirige l’action du gouvernement, d’adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d’agir dans un sens déterminé ou d’adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur ». Ce faisant, il a repris le considérant de principe qu’il avait adopté dans la décision « Libérez les Mademoiselles ! » (CE, 26 décembre 2012, n°358226, Publié au recueil Lebon).

Le Conseil d’État a décliné ce considérant de principe au cas de l’espèce en jugeant que « par la circulaire en cause, adressée aux ministres et secrétaires d’État et aux préfets de région, le Premier ministre s’est borné à leur prescrire un certain nombre d’actions visant à améliorer le respect de l’environnement par les administrations de l’État, notamment en évitant de recourir à des produits en plastique à usage unique. Par suite, la fédération requérante n’est pas fondée à soutenir que l’acte qu’elle attaque aurait été pris par une autorité incompétente ».

Le Conseil d’État en a déduit que le Premier Ministre était bien compétent pour adopter la circulaire en cause. De prime abord, cette conclusion ne va pas de soi lorsque l’on sait que la préservation de l’environnement relève de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution.

Il se déduit de l’arrêt du Conseil d’État que le législateur peut imposer des règles en matière de préservation de l’environnement à l’État tout comme le Premier ministre peut imposer des règles à ses services dans le même domaine.

2) En ce qui concerne la seconde question relative à la possibilité d’anticiper par circulaire une interdiction légale :

Sur ce point, le Conseil d’État a jugé : «  la fixation par les dispositions de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement d’une date à partir de laquelle il sera interdit à l’État d’acquérir des produits en plastique à usage unique ne fait pas obstacle à ce que le Premier ministre demande aux ministres et secrétaires d’État ainsi qu’aux préfets de région d’anticiper la mise en œuvre effective de cette mesure d’interdiction, notamment afin de favoriser le respect de l’environnement dans l’achat public conformément à l’objectif que le législateur a fixé à l’État par l’article 48 de la loi du 3 août 2009. La fédération requérante n’est dès lors pas fondée à soutenir que la mesure qu’elle conteste méconnait les dispositions de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement. »

Le Conseil d’État a mentionné la faculté pour le Premier Ministre d’anticiper par l’adoption d’une circulaire une interdiction légale. Il a notamment évoqué l’article 48 la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (JORF n°0179 du 5 août 2009) selon lequel « L’État doit, comme toute collectivité publique, tenir compte dans les décisions qu’il envisage de leurs conséquences sur l’environnement, notamment de leur part dans le réchauffement climatique et de leur contribution à la préservation de la biodiversité, et justifier explicitement les atteintes que ces décisions peuvent le cas échéant causer. […] L’État favorisera le respect de l’environnement dans l’achat public par un recours croissant, dans les marchés publics des administrations et services placés sous son autorité, aux critères environnementaux et aux variantes environnementales […] ».

On pourrait croire qu’en faisant cette référence à l’article 48 précité, le Conseil d’État a hiérarchisé les lois en donnant plus de poids à la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement qu’à l’article L. 541-15-10, 17e alinéa, du code de l’environnement.

Tel ne nous paraît toutefois pas être le cas. En effet, les deux lois ne nous paraissent pas contradictoires mais plutôt complémentaires :

–    D’une part, la loi AGEC interdisait à l’État d’acheter des plastiques à usage unique après le 1er janvier 2022. En revanche, l’État est libre d’arrêter d’acheter ce type de plastiques plus tôt que prévu s’il s’y sentait prêt. Rien dans l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement ne le contraignait à continuer d’acheter des plastiques jusqu’au 1er janvier 2022 ;

–    D’autre part, l’article 48 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement autorisait déjà l’État à favoriser le respect de l’environnement dans l’achat public. L’État pouvait donc déjà mettre des critères environnementaux tels que l’absence de plastiques à usage unique dans ses marchés de fournitures. La circulaire s’est donc bornée à généraliser ce critère environnemental, s’inscrivant ainsi dans la droite ligne des achats publics éco-responsables. Ajoutons encore que l’interdiction des plastiques à usage unique dans les marchés étatiques était prévisible au regard de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui a initié la politique de lutte contre les plastiques à usage unique (JORF n°0189 du 18 août 2015 ; cf. article L. 541-10-5 du code de l’environnement dans sa version issue de cette loi).

Plus qu’une application anticipée de l’interdiction légale posée par l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement, la circulaire a donc visé à aller au-delà des textes légaux en montrant l’exemplarité de l’État en matière de préservation de l’environnement. Cette préoccupation nous semble également avoir guidé la réflexion du Conseil d’État.

En conclusion, bien que d’un point de vue juridique, la position du Conseil d’État nous paraisse fondée, elle nous semble également très opportune à l’heure où les enjeux écologiques deviennent des préoccupations de plus en plus majeures.