Contribuable respirez, l’air sain est redevenu gratuit !

Contribuable respirez, l’air sain est redevenu gratuit !

Par Maître David DEHARBE, Avocat Gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats) 

Au début du XX° siècle, l’aspiration à une certaine qualité de l’air et la recherche de la luminosité faisaient craindre la fumée parce qu’elle attaquait les poumons, noircissait les façades et obscurcissait l’atmosphère. En conséquence, la loi du 20 avril 1932 tendant à la suppression des fumées industrielles dite loi Morizet a fait écho à ces préoccupations en interdisant l’émission de fumées, de suies, de poussières et de gaz susceptibles d’incommoder le voisinage, de polluer l’atmosphère, de nuire à la santé ou à la sécurité publique, à la production agricole, à la bonne conservation des monuments et à la beauté des sites.

De même, la loi n° 61-842 du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs a fidèlement protégé les mêmes intérêts.

Mais il faudra attendre la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie pour que soit posé le principe d’une obligation positive pour les pouvoirs publiques en la matière, selon lequel, « L’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » (article 1er).

Ces aspirations sont d’autant plus d’actualité, depuis que le juge a été saisi pour que soit sanctionnée cette obligation positive, qui repose essentiellement sur une politique de planification initiée par l’Union européenne (article 23 de la directive n° 2008/50/CE du 21 mai 2008).

Le Conseil d’État a ainsi rendu cinq décisions d’importance, depuis 2017, sur ce sujet :

Le 17 avril 2024 a commencé le sixième épisode de ce feuilleton juridique : le délégué à l’exécution des décisions de justice de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d’État a, par courrier, demandé à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de porter à sa connaissance les mesures prises par les services de l’État pour assurer l’exécution de ces décisions.

Le 31 mai 2024, la ministre a produit des observations précisant les mesures adoptées par l’État à cette fin.

Le 9 juillet 2024, la Présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération a adressé une note à la Présidente de la 6ème chambre de la section du contentieux : cette note a également été communiquée aux parties.

Le 13 septembre 2024, 48 associations de protection de l’environnement, 8 particuliers et une commune ont demandé au Conseil d’État de constater que les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 n’avaient pas été pleinement exécutées au terme du délai laissé par la décision du 10 juillet 2020, de condamner l’État au paiement de 20 millions d’euros pour la période de deux semestres du 13 juillet 2023 au 13 juillet 2024, de fixer la liste des bénéficiaires de cette condamnation ainsi que les modalités d’attribution des sommes à verser selon la convention d’assistance juridique conclue le 6 mai 2021 entre l’Association Les Amis de la Terre France et son avocat, et de majorer le montant de l’astreinte prononcée par la décision du 10 juillet 2020 pour la porter à un montant de 20 millions d’euros par semestre de retard dans l’exécution de cette décision.

Le Gouvernement a-t-il exécuté la décision de justice du 12 juillet 2017 dans sa totalité ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par l’affirmative, constatant ainsi que les mesures prises pour respecter les seuils de pollution avaient porté leurs fruits (décision commentée : CE, 25 avril 2025, n° 428409).

D’une part, l’article L. 911-7 du Code de justice administrative dispose que :

« En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l’astreinte qu’elle avait prononcée.

Sauf s’il est établi que l’inexécution de la décision provient d’un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l’astreinte définitive lors de sa liquidation.

Elle peut modérer ou supprimer l’astreinte provisoire, même en cas d’inexécution constatée. »

D’autre part, le décret n° 2010-1250 du 21 octobre 2010 relatif à la qualité de l’air a été codifié à l’article R. 221-1 du Code de l’environnement.

Dans cette décision du 25 avril 2025, après avoir détaillé les tenants et les aboutissants de ses précédentes décisions, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’exécution de celles du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 :

« Il résulte de ce qui a été dit précédemment que demeure seulement en cause, à ce stade de l’examen de la demande d’exécution, le respect des objectifs de réduction des taux de concentration dans l’atmosphère du dioxyde d’azote pour les ZAG Paris et Lyon, le Conseil d’État, par ses décisions précédentes, ayant jugé que ses décisions de 2017 et 2020 devaient être regardées comme ayant été exécutées pour les autres zones, s’agissant du dioxyde d’azote, et pour tout le territoire, s’agissant des concentrations en particules fines PM10 » (décision commentée : CE, 25 avril 2025, n° 428409, point 7).

Ce sont donc deux zones à risques « Agglomération » (ZAG) qui sont au cœur de cette décision, en l’occurrence Lyon et Paris :

« Pour la ZAG Lyon, en 2022, une seule station de mesure était encore en situation de dépassement de la valeur limite de concentration en dioxyde d’azote de 40 ug/m³. En 2023, la moyenne annuelle de concentration en dioxyde d’azote dans cette station, qui demeure la seule en situation de dépassement, s’est établie à 44 ug/m³. Il résulte de l’instruction, et notamment des éléments indiqués lors de la séance orale d’instruction tenue par la 6ème chambre de la section du contentieux le 17 janvier 2025 et des derniers éléments transmis par la ministre chargée de la transition écologique, que, au vu des résultats disponibles, la moyenne annuelle de concentration en dioxyde d’azote dans cette station devrait s’établir à 40 ug/m³ en 2024. Cette estimation est cohérente avec les modélisations effectuées par Atmo Auvergne Rhône-Alpes en 2022 dans le cadre de la préparation du troisième plan de protection de l’atmosphère de l’agglomération lyonnaise (PPA3) qui anticipaient une absence de dépassement de la valeur limite dans toutes les stations en 2024 et une baisse continue ensuite » (décision commentée : CE, 25 Avril 2025, n° 428409, point 9).

La ZAG Lyon peut et doit donc mieux faire, mais elle est sur la bonne voie :

« Dans ces conditions, si la ZAG Lyon a connu un dépassement s’agissant des taux de concentration en dioxyde d’azote pour la période du 13 juillet 2023 au 13 juillet 2024, elle est actuellement en voie de respecter les objectifs de concentration, cette situation ne pouvant toutefois être regardée comme consolidée » (décision commentée : CE, 25 Avril 2025, n°428409, point 10).

Restait à examiner le cas de la ZAG Paris :

« La valeur de la moyenne annuelle des émissions de dioxyde d’azote relevée dans la station de mesure de la ZAG Paris présentant le dépassement le plus important a diminué de 73 ug/m³ en 2019 à 52 ug/m³ en 2022 puis 46 ug/m³ en 2023. Pour cette zone, la valeur limite de concentration de 40 ug/m³ a été dépassée en 2023 dans trois stations de mesure alors qu’elle l’était dans huit stations en 2022 et neuf en 2019. Il résulte de l’instruction, et notamment des éléments indiqués lors de la séance orale d’instruction du 17 janvier 2025 et des derniers éléments transmis par la ministre chargée de la transition écologique, que les moyennes annuelles enregistrées dans ces trois stations de mesures devraient être comprises entre 41 et 44 ug/m³ pour 2024. D’après les modélisations les plus récentes effectuées en décembre 2024 par Airparif et communiquées lors de la séance orale d’instruction, deux stations seraient encore en situation de dépassement et enregistreraient une moyenne annuelle de 41 ug/m³ en 2025 et, en 2026, une dernière station présenterait un taux de concentration égal à la valeur limite de 40 ug/m³, toutes les autres stations présentant des taux inférieurs à cette valeur limite. Ces éléments montrent une baisse des émissions de dioxyde d’azote plus rapide qu’anticipée par les premières estimations auparavant communiquées au Conseil d’État, qui prévoyaient un respect des valeurs limites seulement à l’horizon 2030 » (décision commentée : CE, 25 Avril 2025, n° 428409, point 11).

Ici encore, l’objectif n’est pas tout à fait atteint, mais l’amélioration est réelle :

« Au vu de ces éléments, la ZAG Paris doit être regardée comme connaissant encore, en dépit d’une nette amélioration, certains dépassements ponctuels s’agissant des taux de concentration en dioxyde d’azote » (décision commentée : CE, 25 Avril 2025, n° 428409, point 12).

Le Conseil d’État a donc mis en perspective les mesures adoptées avec les objectifs poursuivis afin de constater que la décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017 avait été entièrement exécutée.

L’astreinte prononcée à l’encontre de l’État n’a donc pas été liquidée, et le surplus des conclusions de l’Association Les Amis de la Terre France et autres a été rejeté.

Cet arrêt sera certainement lu comme démontrant que le contrôle des obligations positives par le juge administratif est efficient le juge obtenant les respect des normes de qualité de l’air par l’Etat.

Mais le rapport de cause à effet est-il vraiment celui-là ? Les améliorations dans le domaine de la pollution de l’air ne sont-elles pas aussi et surtout le fait d’une baisse d’activité et des déplacements du fait de la crise économique ?

On ne le saura sans doute jamais mais si ca devait être le cas cette décision marque la fin d’une solution pour le moins troublante : pour contraindre l’Etat à respecter ses obligations positives le juge affecte des astreintes à des organismes d’Etat (l’ADEME, en particulier) ce qui revient tout de même à dire que les impôts des contribuables français financent le droit de respirer un air sain, certes au moyen d’une gestion publique…

A l’heure où la spirale de la dette semble exiger un regard bien plus critique sur la dépense publique, on comprend que le Conseil d’Etat ait pour sa part préféré refermer cette trappe à financement…

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