Le « rescrit juridictionnel » une révolution du contentieux de l’urbanisme ?

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr L’Assemblée nationale a adopté définitivement, le 31 juillet 2018, le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance. Les députés sont revenus pour l’essentiel à leur texte de nouvelle lecture. Le souci de sécurité juridique a accouché d’un nouveau dispositif prévu à l’article 54 de la loi adoptée qui dès lors qu’il est applicable à urbanisme mérite que l’on prête toute notre attention : le « rescrit juridictionnel ». Cette procédure juridictionnelle préventive permettra à l’auteur d’une décision d’urbanisme non réglementaire (PC, Permis d’aménager, non opposition à DP…) ou à son bénéficiaire d’en obtenir une déclaration de régularité opposable aux tiers. Ce « rescrit juridictionnel » va être expérimenté pendant trois ans dans le ressort de quatre tribunaux administratifs au plus. Plus largement le dispositif est ouvert au bénéficiaire ou à l’auteur de décisions précisées par un décret en Conseil d’État, prises sur le fondement du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du code de l’urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du code de la santé publique et dont l’éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l’appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur. En revanche remarquons que le rescrit juridictionnel n’est pas applicable aux décisions prises par décret. La demande en appréciation de régularité est formée auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause. Elle est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d’intervenir à la procédure. La demande est présentée, instruite et jugée dans les formes prévues par le code de justice administrative, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires. Elle suspend l’examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l’exclusion des référés ( prévus au livre V du code de justice administrative). Le tribunal statue dans un délai fixé par voie réglementaire ; il devra être court et de l’ordre de quelques mois si l’on veut que le dispositif soit efficace, sinon il n’aura aucun intérêt. Le Tribunal se prononce sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif d’illégalité externe qu’il estime devoir relever d’office, y compris s’il n’est pas d’ordre public. La décision du tribunal n’est pas susceptible d’appel mais peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision. Par dérogation à l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration, l’autorité administrative peut retirer ou abroger la décision en cause, si elle estime qu’elle est illégale, à tout moment de la procédure et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée. Ce dispositif pourrait bien révolutionner le contentieux de l’urbanisme :  il permettrait une fois la déclaration de régularité obtenu de décourage les recours dilatoires sur le fonds en exposant leurs auteurs à des amendes pour recours abusifs et même à des dommages et intérêts substantiels. Pour autant ce rescrit juridictionnel deviendrait un passage obligé comme l’est un peu le référé préventif en droit de la construction. Finalement c’est un beau paradoxe manié par ceux qui considèrent que le contentieux de l’urbanisme ralentit inutilement le développement des constructions : on soigne le prétendu mal par le mal en systématisant le passage devant le juge. On attend avec impatience le décret d’application et le lancement de l’expérimentation. Il appartient en particulier à un décret en Conseil d’État : d’abord, de préciser les décisions pouvant faire l’objet d’une demande en appréciation de  régularité,  en  tenant  compte  notamment  de  la  multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu. ensuite, de fixer les modalités d’application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles   les   personnes   intéressées   sont  informées,  d’une  part,  des  demandes  tendant  à  apprécier  la  régularité  d’une  décision  et  de  leurs  conséquences  éventuelles  sur  les  recours  ultérieurs  et,  d’autre  part,  des réponses qui sont apportées à ces demandes par le tribunal.

Le PLU de CUCQ annulé pour méconnaissance de la loi littorale sur Stella plage

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr Aux termes de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme : « En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d’eau intérieurs désignés au 1° de l’article L. 321-2 du code de l’environnement ». Il résulte de ces dispositions que ne peuvent déroger à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces, ce que rappelait encore récemment le Conseil d’Etat (CE, 21 juin 2018, n°416564). Rappelons en effet que l’exception au principe d’inconstructibilité de la bande des 100 mètres ne concerne que les espaces urbanisés, dont la jurisprudence a précisé qu’ils doivent : être caractérisés par une densité significative de construction (CAA Nantes, 1er juin 2015, n°14NT01268) ; être bâtis (Rép. min. n° 36448: JO Sénat 28 mars 2002, p. 935), étant précisé que la présence de constructions isolées ou d’équipements publics ne suffit pas (CE, 2 janvier  2005, n° 226269 ; CE, 28 novembre 1997, n° 161572 ; CAA Lyon, 12 novembre 1996, n° 96LY00421 ; TA Rennes, 17 février 1994, Nevo, n°891408). Ainsi ce sont en ces termes que  le Tribunal administratif de Lille vient d’annuler par un jugement (téléchargeable ici : TA Lille, 17 juillet 2018, n° 1608885) la délibération du 23 mai 2016 approuvant le plan local d’urbanisme de la commune de Cucq est annulée en tant que le plan prévoit l’implantation du projet de l’Orientation d’aménagement et de programmation (OAP) du front de mer dans la bande littorale des cent mètres : « Considérant qu’il est constant que le terrain d’assiette du projet de l’OAP du front de mer se situe à Stella plage, en bordure du littoral, en partie dans la bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ; que la zone dans laquelle il est situé ne constitue pas, eu égard au nombre et à la faible densité de constructions qui la caractérise, un espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 précité ; qu’en tout état de cause, l’implantation du projet, qui prévoit la construction de 320 logements, correspondant à 30 000 mètres carrés de surface de plancher, dans des bâtiments d’une hauteur pouvant atteindre R+4+attiques, entraînerait une densification significative de cet espace ; que par suite, l’association requérante est fondée à soutenir que le plan local d’urbanisme méconnaît les dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme en tant qu’il prévoit l’implantation du projet de l’OAP du front de mer dans la bande littorale des cent mètres et à solliciter, dans cette mesure, son annulation, ainsi que celle de la décision de rejet de son recours gracieux ». Ici en méconnaissant la loi littorale, les auteurs PLU exposaient leur délibération l’approuvant à une censure évidente au regard d’une jurisprudence constante : le zonage retenu dans la bande des 100 mètres doit permettre de préserver l’inconstructibilité de celle-ci (CE, 25 septembre 1996, n° 138197 ; CAA Douai, 30 novembre  2006, n° 06DA00629 ; CAA Nantes, 13 novembre 2001, n° 00NT01526 ; TA Nice, 5 juillet 1989, Synd. de défense du cap d’Antibes, n°82089 ; TA Caen, 9 juin 1998, Manche Nature, n° 971339 ; CAA Douai, 30 novembre 2006, n° 06DA00629).

Validation d’une délibération fixant rétroactivement le tarif de la redevance d’enlèvement des OM

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats). david.deharbe@green-law-avocat.fr Par des délibérations des janvier 2012, février 2013, janvier 2014 et avril 2015, le conseil communautaire d’une communauté d’agglomération a fixé, respectivement pour les années 2012, 2013, 2014 et 2015, les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères. Afin d’obtenir l’annulation des titres exécutoires émis par la communauté d’agglomération pour le recouvrement de redevance d’enlèvement des ordures ménagères ainsi fondées, une société a fait citer la communauté d’agglomération devant la juridiction de proximité. Cependant, cette juridiction a sursis à statuer et a ordonné le renvoi au tribunal administratif de Poitiers de la question de la légalité des délibérations par lesquelles les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ont été fixés pour les années en cause. Finalement par un jugement en date du 12 juillet 2018 (téléchargeable ici TA poitiers-12-juillet-2018, n°1701087), le tribunal administratif de Poitiers a jugé que lorsque la redevance d’enlèvement des ordures ménagères a déjà été instituée mais qu’aucune délibération fixant le tarif annuel de cette redevance n’a été adoptée avant le début d’une année, l’organe délibérant peut alors fixer rétroactivement ce tarif en cours d’année (I). D’autre part, il a considéré que les sociétés dont le siège se trouve au domicile d’une personne physique, peuvent légalement se voir imposer le paiement de cette redevance, y compris de sa composante collecte (II). I/ La fixation rétroactive du tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères Dans un premier temps, le tribunal administratif de Poitiers rappelle le principe selon lequel : « la délibération par laquelle l’organe délibérant institue la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou en fixe le tarif peut, en principe, avoir aucune portée rétroactive ». Ce principe de non-rétroactivité des tarifs de la redevance rappelé par le tribunal, est issu de celui de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, ass., 25 juin 1948, Société du journal L’Aurore, Rec. Lebon, p. 289). En ce sens, déjà en 2010, le Conseil d’Etat avait déclaré illégale la délibération d’un conseil d’une communauté de communes qui fixait, de manière rétroactive, les éléments forfaitaires du tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (CE, 27 septembre 2010, n°311003, M. Clochard et autres). D’ailleurs le Conseil d’Etat juge que la délibération litigieuse fixant les tarifs de la redevance d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères à compter du 1er janvier 2003 n’est entrée en vigueur que le 12 août 2003, après sa transmission au contrôle de légalité est illégale car rétroactive (CE, 6 mai 2011, n° 339270). Cependant, dans un second temps, le tribunal juge que : « lorsque la redevance d’enlèvement des ordures ménagères a déjà été instituée et qu’aucune délibération fixant le tarif annuel de cette redevance n’a été adoptée avant le début d’une année, l’organe délibérant peut fixer ce tarif en cours d’année ». Ainsi, contrairement à la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, ass., 25 juin 1948, Société du journal L’Aurore, Rec. Lebon, p. 289 ; CE, 6 mai 2011, n° 339270, commune de Villeneuve de la Raho), le tribunal estime qu’une délibération qui fixe de manière rétroactive le tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagère peut être légale. Le tribunal justifie cette position en estimant que : « eu égard à la nature et à l’objet des redevances pour service rendu, qui constituent la rémunération des prestations fournies aux usagers, un retard pris pour l’adoption du tarif annuel d’une redevance déjà instituée ne saurait avoir pour effet de décharger les usagers de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils ont effectivement bénéficié ». En l’espèce, le tribunal juge que : « ces délibérations ayant pour seul objet de fixer, pour chacune des années considérées, le tarif d’une redevance déjà instituée par une délibération du conseil communautaire, elles ne sont pas entachées d’une rétroactivité illégale ». En chargeant les usagers du paiement des services dont ils ont bénéficié, sans que le tarif ait été préalablement fixé, le tribunal semble avoir décidé de faire primer la continuité du service financé par la redevance sur la prévisibilité juridique de son montant. Mais surtout à revisiter les limites de la jurisprudence Société du journal L’Aurore, on relève que le « Conseil d’Etat admet la rétroactivité d’actes sans lesquels des situations ne peuvent être réglés » (GAJA, P. 393). Ainsi le règlement d’une campagne de production, adopté en cours  de campagne, en l’absence de dispositions antérieures effectives peut rétroagir au début de cette campagne (CE Ass. 21 octobre 1966, Société Graciet Rec. 560). . II.Les sociétés domiciliées chez une personne physique assujetties au paiement de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères, y compris de sa composant collecte Tout d’abord, le tribunal administratif de Poitiers rappelle qu’en application de l’article L. 2333-76 du code général des collectivités territoriales, la communauté d’agglomération ne peut fixer le tarif de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères et assimilées qu’en fonction de l’importance du service rendu par ce service public industriel et commercial à chaque catégorie d’usagers. Ensuite, le tribunal estime que : « la gestion administrative d’une société au domicile d’un particulier est de nature à augmenter la masse des déchets collectés de sorte que, même en l’absence de mise à disposition d’équipement de collecte autre que ceux mis à la disposition du particulier, un service supplémentaire de collecte est effectivement rendu par la collectivité publique à la société ». En l’espèce, le tribunal juge que les délibérations qui assujettissent les sociétés dont le siège se trouve au domicile d’une personne physique au paiement de la redevance, y compris de sa composante collecte, ne sont pas illégales.    

Construction: Garantie décennale, assurance obligatoire et dommages aux existants : la tentative de clarification du Sénat par le projet de loi ELAN adopté le 25 juillet 2018

Par Me Valentine SQUILLACI- Avocat (GREEN LAW AVOCATS) Il y a maintenant un an, la Cour de Cassation a créé la surprise sur une question juridique intéressant le domaine de la construction. La Haute juridiction retenait alors que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 confirmé par Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-16.637, Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323) En d’autres termes, la garantie décennale n’est donc plus uniquement due par le constructeur d’un ouvrage mais par toute personne intervenant sur un ouvrage pour y installer un élément d’équipement, dissociable ou non (installateur d’une pompe à chaleur, d’une cheminée …) et s’étend aux dommages affectant l’ouvrage existant, dès lors qu’ils rendent ce dernier impropre à sa destination. Afin de tenter de limiter leur garantie dans une telle hypothèse, les assureurs de responsabilité décennale ont invoqué les dispositions de l’article L243-1-1 II) du Code des assurances qui excluent du champ de l’assurance obligatoire les « ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » Créant à nouveau la surprise, la Cour de Cassation s’est alors fondée quelques mois plus tard sur une application littérale du texte et a considéré que ces dispositions « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant » (Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120).   La Cour de Cassation considère donc aujourd’hui que les dommages aux existants (incorporés ou non) sont couverts par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale dès lors qu’ils résultent de l’installation d’un équipement sur existant, et non de la construction d’un ouvrage. Cette position de la Cour de Cassation crée en pratique deux séries de difficultés : D’une part, les simples installateurs d’équipements qui ignorent être désormais tenus à la garantie décennale s’exposent à des poursuites pénales, le défaut de souscription d’une telle assurance étant un délit en application de l’article L243-3 du Code des assurances ; D’autre part, du point de vue des assureurs, le prisme des dommages couverts au titre de l’assurance obligatoire est significativement élargi puisqu’il s’étend désormais aux désordres ayant pour origine un élément d’équipement dissociable d’origine ou installé sur existant. On imagine donc que le lobby des assureurs a activement œuvré pour obtenir une réponse législative à cette « dérive » jurisprudentielle… C’est ainsi que le 25 juillet 2018 le Sénat a adopté le « Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (disponible ici), dit « ELAN », qui prévoit notamment une nouvelle rédaction de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances en ces termes : « II. – Les assurances obligatoires prévues aux articles L. 241‑1, L. 241‑2 et L. 242‑1 ne sont pas applicables et ne garantissent pas les dommages, aux existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » La modification est subtile et il n’est pas certain qu’elle sera de nature à modifier la position de la Cour de Cassation… Bien que cette dernière n’ait pas expliqué pourquoi, selon elle, les dispositions de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », on peut imaginer que c’est dans la mesure où ce texte évoque un « ouvrage neuf ». Or, cette référence n’a pas été supprimée par le Sénat. Il convient donc de suivre attentivement le travail de la commission mixte paritaire qui a été convoquée après la première lecture du texte par les deux assemblées.

Nouvelles précisions du Conseil d’Etat sur le régime de l’autorisation environnementale (CE, 26 juil. 2018, n°416831)

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Aux termes d’un avis lu le 26 juillet 2018 en réponse à une question posée par le Tribunal administratif de Lille (à l’occasion d’un recours contre un parc éolien défendu par le cabinet), le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions cruciales sur les implications du régime de l’autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les contentieux en cours. Les règles de procédure de l’autorisation environnementale ne sont pas rétroactivement applicables dans le cadre des contentieux en cours à l’encontre des autorisations ICPE et autorisations uniques expérimentales Le Conseil d’Etat a tranché : il n’est pas possible d’interpréter l’article 15 de l’ordonnance créant l’autorisation environnementale (n°2017-80 du 26 janvier 2017) comme permettant une application rétroactive des nouvelles règles de procédure régissant la présentation des capacités techniques et financières de l’exploitant (L. 181-27 et  D. 181-15-2 du code de l’environnement) dans le cadre des instances introduites à l’encontre d’autorisations délivrées sur le fondement des régimes antérieurs. En effet, selon la haute juridiction, cette ordonnance ne prévoit aucune disposition prévoyant une telle application rétroactive, seulement : d’une part, l’assimilation pour l’avenir de ces autorisations à des autorisations environnementales, et, d’autre part, l’abrogation, là encore pour l’avenir, du régime de l’autorisation unique expérimentale. Il y avait clairement débat sur ce point dès lors que ledit article 15 indiquait que le nouveau régime est applicable aux autorisations préexistantes « notamment lorsque ces autorisations sont (…) contestées ». Est-ce à dire que le vice tiré de l’insuffisante présentation des capacités financières au regard des exigences de la jurisprudence Hambrégie condamnerait l’autorisation qui en est affectée ? Assurément non : le vice est régularisable sur le fondement des pouvoirs de plein contentieux du juge des installations classées, comme le Conseil d’Etat l’avait déjà exposé aux termes de son avis n°415852 du 22 mars 2018. Synthétiquement (voir notre commentaire de cet avis pour une explication plus détaillée), si le juge a reçu en cours d’instruction des compléments permettant de démontrer que le pétitionnaire dispose de capacités financières suffisantes mais que ces compléments n’ont pas été soumis à l’information du public dans le cadre de l’enquête publique qui s’est tenue lors de la procédure d’autorisation, alors la décision est affectée d’un vice qu’il est nécessaire de régulariser en organisant des mesures d’information complémentaires du public. A l’issue de cette phase d’information ad hoc, le Préfet prend un arrêté complémentaire et en informe le juge qui statue finalement sur la légalité de l’autorisation. Notons que cette possibilité a d’ores et déjà été mise en œuvre par les tribunaux administratifs d’Amiens (voir notre commentaire ici) et de Nantes (voir notre commentaire ici), ainsi que par la Cour administrative d’appel de Douai (voir l’arrêt ici). 2. Le juge pourra toujours contrôler la suffisance des capacités financières dans le cadre du régime de l’autorisation environnementale Depuis la réforme de l’autorisation environnementale, le pétitionnaire peut justifier de la suffisance de ses capacités financières jusqu’à la mise en service à condition d’en exposer les modalités prévues de constitution au sein de son dossier de demande (L. 181-27 et  D. 181-15-2 du code de l’environnement). Se posait logiquement la question de savoir si le juge aurait toujours la possibilité de se prononcer la sur la suffisance des capacités financières dans le cadre du nouveau régime. La réponse du Conseil d’Etat est claire : si le juge se prononce avant la mise en service de l’installation, il ne peut que se limiter à vérifier la pertinence des modalités de constitution des capacités, en revanche, si le juge se prononce après la mise en service, il exerce alors un contrôle complet sur la suffisance des capacités. Ensuite, le Conseil d’Etat précise que le préfet dispose de la possibilité de s’assurer tout au long de la vie de l’installation de la suffisance des capacités financières de l’exploitant, en prescrivant, sur le fondement de l’article R. 181-45 du code de l’environnement, « la fourniture de précisions ou la mise à jour » de ces informations. Cette possibilité ne se limite d’ailleurs pas aux seules informations sur les capacités mais également sur tout élément du dossier de demande d’autorisation. Et si le préfet ne fait pas application de cette possibilité, alors les tiers peuvent demander à ce qu’il le fasse, en formant la réclamation préalable prévue par l’article R. 181-52 du code de l’environnement. Si le préfet ne s’exécute pas, les tiers peuvent contester ce refus devant le juge. 3. Le juge reste tenu de statuer sur la légalité des permis de construire éoliens On pouvait encore se demander si le fait que les projets éoliens pour lesquelles une demande d’autorisation a été déposé après le 1er mars 2017 soient dispensés de permis de construire, en vertu du nouvel article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme, pouvait rendre inopérants les moyens invoqués à l’encontre des permis de construire ou autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valaient permis de construire délivrés avant cette date. C’est notamment ce qu’avait jugé la Cour administrative d’appel de Douai aux termes d’une décision selon laquelle la dispense de permis de construire pour les éoliennes marines avait pour conséquence de rendre sans objet les recours introduits à l’encontre des permis délivrés antérieurement à l’entrée en vigueur de la dispense (27 sept. 2012 N°12DA00017) Le Conseil d’Etat écarte cette possibilité en exposant que contrairement aux autorisations uniques expérimentales, les autorisations environnementales ne « valent » pas permis de construire : si l’article 15 de l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 prévoit que les autorisations uniques expérimentales sont considérées à partir du 1er mars 2017 comme des autorisations environnementales, le juge saisi d’un recours à l’encontre d’une de ces autorisations reste tenu de vérifier leur légalité en tant qu’elles valent permis e construire. A fortiori, il en sera donc de même pour les permis de construire éoliens. *** En conclusion, il faut retenir de cet avis qu’il confirme expressément la possibilité de régulariser, en matière éolienne, le vice de l’information du public résultant d’une insuffisante présentation des capacités financières. Or rappelons-le l’invocation de ce vice avait entraîné l’annulation d’un grand nombre de projets éoliens et…