Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)
Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision dite Danthony, a dégagé le « principe » selon lequel « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon).
Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.
Cette décision avait pour objectif de permettre « au juge d’exercer pleinement son office, c’est-à-dire de mesurer la portée exacte du moyen de légalité invoqué, en recherchant si, dans les circonstances de l’espèce, la formalité, même substantielle, a été affectée d’une façon telle qu’elle n’a pu atteindre correctement son objet […] » (Gaelle Dumortier, conclusions sur Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon).
En droit de l’environnement, la garantie essentielle protégée par le juge administratif est le droit à l’information du public. La décision du Conseil d’Etat Ocréal (CE, 14 octobre 2011, n°323257) sanctionne ainsi les insuffisances d’une étude d’impact si « elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative».
La garantie liée à l’information complète du public s’exprime en particulier en matière de vices de procédure lorsque le juge du plein contentieux est saisi.
En effet, le Conseil d’Etat considère qu’« il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce ; que les obligations relatives à la composition du dossier de demande d’autorisation d’une installation classée relèvent des règles de procédure ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; qu’en outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu’elles n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ; » (CE, 22 septembre 2014, n°367889, mentionné dans les tables du recueil Lebon)
Cette décision combine le principe dégagé par la décision Danthony avec l’office du juge du plein contentieux des installations classées : le juge peut admettre la régularisation a posteriori de vices de procédure qui auraient dû, en principe, entraîner l’illégalité de la décision contestée sous réserve qu’ils n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population.
Le juge est très strict quant à l’appréciation de l’information complète de la population. Une décision récente en témoigne (CAA Lyon, 1er décembre 2015, n°14LY03687). Il s’agit de la décision présentement commentée.
Dans cette affaire, deux questions de droit se posaient principalement : l’étude d’impact contenue dans le dossier de demande d’autorisation était-elle suffisante en ce qui concernait les vestiges archéologiques ? Dans l’hypothèse d’une insuffisance de l’étude d’impact, celle-ci pouvait-elle être susceptible d’être régularisée ?
• Sur la question de la suffisance de l’étude d’impact
Ainsi que le souligne cet arrêt, une des spécificités du recours de plein contentieux est qu’ « il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce ; que les obligations relatives à la composition du dossier de demande d’autorisation d’une installation classée relèvent des règles de procédure ; ».
Or, il résulte des dispositions en vigueur à la date de la délivrance de l’autorisation, « que la protection du patrimoine archéologique figure au nombre des intérêts que doit prendre en compte, le cas échéant, l’étude d’impact ».
En l’espèce, la Cour administrative constate que :
« le projet […] est implanté sur le plateau du Puy-de-Mur ; que, malgré la présence de vestiges archéologiques répartis sur ce plateau, dont témoignent plusieurs publications antérieures à 1997, notamment un ouvrage de 1933, qui fait état de deux sites protohistorique et médiéval, un document du service régional d’archéologie de 1992, qui mentionne des » vestiges importants » sur le site du Puy-de-Mur à Vertaizon, couvrant le néolithique et les âges des métaux entre 4 500 et 2 100 ans ou encore la » Carte archéologique de la Gaule « , publiée en 1994, qui regroupe l’ensemble des découvertes réalisées sur ce site de 1971 à 1994, sans compter les prospections et campagnes de fouilles qui s’y sont succédé depuis 1935 au moins, l’étude d’impact réalisée par la société intimée, figurant au dossier de l’enquête publique qui s’est déroulée du 14 octobre au 12 novembre 1997, bien que mentionnant l’existence de la » Carte archéologique de la Gaule « , se borne à affirmer qu' » aucun élément intéressant n’a été répertorié sur les terrains concernés par le projet » ; que, dans ce contexte, cette étude, dont le contenu n’est pas en relation avec les incidences prévisibles du projet sur l’environnement, et plus spécialement sur le patrimoine archéologique, est insuffisante ».
En conséquence, en se bornant à déclarer qu’aucun élément intéressant n’avait été répertorié sur les terrains d’assise du projet alors que de nombreux documents attestaient de la richesse archéologique du site d’implantation de la carrière, l’étude d’impact est insuffisante. Son contenu n’est pas proportionné aux incidences prévisibles du projet sur le patrimoine archéologique,
Restait alors à déterminer si cette insuffisance de l’étude d’impact pouvait être régularisée.
• Sur la question de la régularisation du vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact
Sur cette question, la Cour commence par réaffirmer le principe posé par le Conseil d’Etat dans sa décision précitée du 22 septembre 2014 (CE, 22 septembre 2014, n°367889, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Elle rappelle en effet que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant un dossier de demande d’autorisation d’une installation classée ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; qu’en outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu’elles n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ; »
En l’espèce, elle considère que :
« eu égard au nombre, à la répartition et à la diversité des éléments de patrimoine archéologique recensés ou soupçonnés sur le plateau du Puy-de-Mur, et malgré la connaissance diffuse que pouvait en avoir le public, l’insuffisance de l’étude d’impact, que ne pallie aucun autre document joint à la demande d’autorisation d’exploitation, a eu pour effet, compte tenu en particulier de la superficie du projet, de nuire à l’information complète de la population lors de l’enquête publique ; que rien ne permet de dire que, à la date du présent arrêt, et alors que, pour la délivrance de l’autorisation en litige, le périmètre d’exploitation avait été réduit, la population aurait davantage été informée sur ce point ; que, par suite, et même si, postérieurement à cette enquête, le conservateur régional de l’archéologie a, par un avis du 13 août 2009, levé l’hypothèque archéologique pesant sur le terrain de la carrière et si le diagnostic archéologique prescrit par arrêté du préfet du Puy-de-Dôme du 25 octobre 2010 n’a pas conclu à une présence importante de vestiges, l’autorisation contestée du 18 juin 2010 a été accordée à l’issue d’une procédure irrégulière ; »
Cette décision nous rappelle une décision de la Cour administrative d’appel de Nantes concernant une insuffisance du dossier de demande d’autorisation concernant l’exposé des capacités techniques et financières de l’exploitant.
Dans cette précédente affaire, le vice de procédure ne pouvait être régularisé des années plus tard devant le juge du plein contentieux car « eu égard à l’intérêt qui s’attache à la qualité et au caractère complet des indications à fournir sur les capacités financières de l’exploitant pour permettre au public de les apprécier, cette carence du dossier de demande a, dans les circonstances de l’espèce, eu pour effet de nuire à l’information complète de la population, sans que les justifications apportées plusieurs années plus tard par le pétitionnaire permettent de régulariser ce vice, qui, par suite, entache d’irrégularité l’arrêté préfectoral contesté ». (CAA Nantes, 11 mai 2015, 13NT02099). Dans cette affaire, Madame le Rapporteur public Christine Grenier faisait dans ses conclusions une précision qui suggérait que l’information du public pouvait, dans certaines circonstances, parfois être légalement réalisée après l’enquête publique : « Il ne résulte pas de l’instruction que le public a disposé d’une information actualisée depuis l’enquête publique qui lui aurait permis de prendre connaissance des éléments nouveaux produits en appel par la société [X] », ce qui semble confirmé par l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 1er décembre 2015 présentement commenté.
Il résulte de ce qui précède que le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance que des vices de procédure ont été régularisés, sous réserve qu’ils n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population. Cette information complète de la population appréciée strictement par le juge. Une insuffisance de l’étude de l’étude d’impact ne peut être régularisée lorsqu’au moment où le juge statue, le public n’a pas reçu davantage d’informations sur le point qui était insuffisamment développé. Notons à cet égard qu’ « information supplémentaire de la population » ne signifie pas « organisation d’une nouvelle consultation du public Il ne nous paraît dès lors pas forcément nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle « consultation » du public (contra CE, 28 septembre 2012, n°340285).
Précisons enfin que, dans l’affaire qui était soumise à la Cour administrative d’appel de Lyon, il existait un autre motif d’illégalité de l’autorisation. Les prescriptions dont l’autorisation d’exploiter était assortie (dont notamment l’obligation de procéder à un diagnostic archéologique avant chacune des phases d’exploitation) ne permettaient pas de garantir la préservation des vestiges qu’était susceptible de renfermer le terrain d’assiette du projet. Dès lors, l’installation en cause, ne pouvait être exploitée sans inconvénient ou nuisance grave pour la conservation du patrimoine archéologique.
Il est intéressant de noter que la Cour a réalisé une balance entre l’intérêt du patrimoine archéologique du terrain d’assiette et l’intérêt de l’exploitation de la carrière en faisant primer l’intérêt archéologique du site. Elle considère en effet que « dans ce contexte, en dépit des prescriptions techniques dont elle a fait l’objet, qui ne garantissent pas la préservation des vestiges qu’est susceptible de renfermer son terrain d’assiette, dont rien ne permet de dire qu’ils seraient dénués de tout intérêt notable, il n’apparaît pas que, malgré l’enjeu qu’elle présente pour l’alimentation en granulats des activités du bâtiment et des travaux publics du bassin clermontois, l’installation en cause, pourrait être exploitée sans inconvénient ou nuisance grave pour la conservation du patrimoine archéologique du Puy-de-Mur ; que, dans ces conditions, l’arrêté en litige est également illégal pour ce motif ».
En conséquence, l’autorisation d’exploiter aurait été refusée même si le public avait été informé en matière de vestiges archéologiques et même si le juge avait admis la régularisation de l’insuffisance de l’étude d’impact. Cela n’est guère surprenant dans la mesure où les prescriptions contenues dans l’arrêté d’autorisation permettent de remédier aux impacts identifiés dans l’étude d’impact. Par suite, si l’étude d’impact est insuffisante, les prescriptions de l’arrêté d’autorisation peuvent, elles aussi, être insuffisantes. Il est donc conseillé aux exploitants qui souhaitent régulariser l’insuffisance d’une étude d’impact après délivrance de l’autorisation de, d’une part, veiller à informer le public complètement des impacts du projet et, d’autre part, vérifier que les prescriptions contenues dans l’arrêté d’autorisation sont encore suffisantes au regard de la nouvelle évaluation des impacts.