Sursis à statuer sur la légalité de l’autorisation d’exploitation de l’usine Rockwool

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Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Le tribunal administratif d’Amiens a sursis à statuer sur la légalité de l’arrêté du 31 mars 2021 du préfet de l’Aisne autorisant la société Rockwool France à exploiter une usine de fabrication de laine de roche située sur le territoire des communes de Ploisy et Courmelles, et a enjoint à l’administration dispose d’un délai de quatre mois pour régulariser le vice de procédure relevé par les juges, tenant à une insuffisance dans l’étude d’impact (TA d’Amiens, nos 2102663 et 2102680, 21 juillet 2023, téléchargeable ci-dessous).


En l’espèce, les associations Picardie Nature et Sauvons Soissons ont contesté la légalité de l’arrêté du 31 mars 2021 par lequel le préfet de l’Aisne a délivré à la société Rockwool France une autorisation environnementale pour son usine de fabrication de laine de roche, située sur le territoire des communes de Ploisy et Courmelles.

A ce titre, les associations ont soutenu que l’arrêté préfectoral doit être annulé au motif que l’autorisation environnementale serait entachée des illégalités suivantes :


Par ailleurs, les associations ont soutenu que l’autorisation d’émissions de gaz à effet de serre incluse dans l’arrêté attaqué serait entaché des vices suivants :


Quant à la société pétitionnaire, cette dernière a demandé à titre subsidiaire de :


Au final, le Tribunal retient le vice de l’insuffisance de l’étude du cumul des incidences de l’étude d’impact (I) et sursoit à statuer pour permettre au préfet de l’Aisne, le cas échéant, de régulariser ce vice de procédure (II).

Et il convient encore de souligner la finesse du contrôle de la juridiction amiénoise pour conclure que la même étude d’impact démontre qu’une dérogation espèce de destruction d’espèce naturelle n’était pas requise (III).

I. Une insuffisance de l'étude d'impact quant à l'analyse des nuisances


Le tribunal a jugé que l’arrêté attaqué était seulement entaché d’un vice résultant de l’insuffisance de l’étude d’impact quant à l’analyse du cumul des incidences.

En effet, les autres moyens invoqués par les associations ont été écarté par le tribunal et ce dernier a estimé que l’absence d’analyse des effets cumulés du projet avec des établissements situés à proximité du site en litige et relevant de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement méconnaissait le II de l’article R. 122‑5 du code de l’environnement :

II. Le sursis à statuer aux fins de la régularisation de l'insuffisance de l'étude d'impact


Les dispositions du I de l’article L. 181-18 précité du code de l’environnement prévoient que le juge peut, après avoir constaté que les autres moyens dont il est saisi ne sont pas fondés, surseoir à statuer pour permettre la régularisation devant lui de l’autorisation environnementale attaquée lorsque le ou les vices dont elle est entachée sont susceptibles d’être régularisés par une décision modificative (CE, 22 mars 2018, req. n°415852, point 3).

Les dispositions du 2° du I de l’article L. 181-18 permettent au juge, lorsqu’il constate un vice qui entache la légalité de la décision mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi (CE, 22 mars 2018, req. n°415852, point 4).

Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation (CE, 22 mars 2018, req. n°415852, point 4).

Dans le cadre de cet office, le tribunal a  jugé que, dès lors que ce vice était régularisable, il y avait lieu de faire usage des dispositions du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement et de surseoir à statuer pour permettre la régularisation de l’autorisation attaquée sur ce point :


Le tribunal a précisé selon quelles modalités cette régularisation, qui implique notamment la réalisation d’une étude d’impact complémentaire et l’édiction d’un arrêté modificatif par le préfet, pourra intervenir :

III. Une étude d'impact démontrant l’inutilité d’une dérogation de destruction d’espèce naturelle


Mais il faut encore s’arrêter sur la façon, dont le Tribunal rejette le moyen des requérants considérant qu’eu égard aux enjeux du projet pour les espèces protégées de chauve-souris, une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées devait être sollicitée sur le fondement du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, par le bénéficiaire de l’autorisation environnementale querellée.

Le Tribunal rappelle d’abord la solution fondamentale qui a été dégagée par le Conseil d’État dans son avis du à ce sujet (CE, avis, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, req. n°463563) :


On avait déjà pu commenter sur ce blog le premier cas d’application de cette solution de principe à un parc éolien (CAA Lyon, 15 déc.2022, req. n°21LY00407).

Remarquons encore que le Conseil d’État (CE, 6 ème chambre, 11 août 2023, req. n°465751) est venu censurer la jeune Cour administrative d’appel de Toulouse pour avoir méconnu la portée de son avis n° 463563 :


Et le Conseil censure encore la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour ne pas avoir pris en compte des mesures de réduction (CE, 6ème chambre, 27 mars 2023, req. n° 452445, Inédit au recueil Lebon) :


Et le Conseil d’État a enfin censuré la Cour administrative d’appel de Lyon en ces termes (CE, 6ème chambre, 28 avril 2023, req. n°460471, Inédit au recueil Lebon) :


Or c’est en ces termes que le Tribunal va finalement conclure que compte tenu des mesures d’évitement et de réduction proposées, il résulte de l’instruction que le projet ne comporte pas de risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées ou leurs habitats, et le porteur de projet n’était ainsi pas tenu de solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées :


On remarque, avec le plus grand intérêt, que dès lors que le Tribunal se convainc que les mesures d’évitement ou de réduction sont données à voir dans l’étude d’impact comme ramenant le risque brut pour l’espèce protégé à un degré « négligeable », la juridiction met à la charge de l’association requérante la preuve contraire, pour constater que les conclusions de l’étude ne sont pas sérieusement contestées.