Par Me Marie-Coline Giorno et David Deharbe
(Green Law Avocat)
Dans quarante-huit heures, la jurisprudence dite Danthony sera sous les feux de la rampe en Nord-Pas-de-Calais : les rencontres Interrégionales du droit public organisées à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de LILLE seront consacrées à cette question prégnante « LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE VICE DE PROCEDURE : ORTHODOXIE ET /OU PRAGMATISME ? ».
Faute de pouvoir assister à cette manifestation, il nous paraît néanmoins opportun d’alimenter le débat que ne manquera pas de susciter l’atelier « Droit des sols Urbanisme et environnement ».
Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision dite Danthony, a dégagé un « principe » désormais bien connu : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon).
Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.
Cette décision avait pour objectif de permettre « au juge d’exercer pleinement son office, c’est-à-dire de mesurer la portée exacte du moyen de légalité invoqué, en recherchant si, dans les circonstances de l’espèce, la formalité, même substantielle, a été affectée d’une façon telle qu’elle n’a pu atteindre correctement son objet […] » (Gaelle Dumortier, conclusions sur Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon).
En pratique, elle a impulsé un tournant quant à l’appréciation par le juge des vices de procédure en droit de l’environnement, même si une partie de la doctrine considère encore que « le changement provoqué par l’arrêt Danthony est […] purement cosmétique » (Julien Bétaille, « Insuffisance de l’étude d’impact : Danthony ne change rien, ou presque », Droit de l’Environnement, n°231, Février 2015, p.65).
En effet, elle conduit à régulariser de nombreux vices de procédure (I) sous réserve d’une limite essentielle : qu’il ne soit pas porté atteinte au droit à l’information du public (II).
I. La régularisation de multiples vices de procédure en application du principe révélé par la décision Danthony
La sanction des vices de procédure ne peut désormais être prononcée que si le juge a vérifié au préalable que ces vices entachaient d’illégalité la décision prise au regard du principe révélé par la décision Danthony (A). A cet égard, il conviendra de souligner que la jurisprudence Danthony, en droit de l’environnement, a pour vocation à s’étendre à l’ensemble des vices de procédure habituellement invoqués devant le juge administratif (B).
A. Le refus de sanctionner des vices de procédures en méconnaissance de la décision Danthony
Depuis l’intervention de la décision Danthony, un vice de procédure ne peut être sanctionné que si les conditions posées par cette décision sont remplies : le juge doit constater que ce vice a privé les intéressés d’une garantie ou qu’il a eu une influence sur le sens de la décision administrative.
A défaut d’avoir procédé à une telle recherche sur les effets du vice de procédure, le juge commet une erreur de droit (CE, 30 janvier 2013, n°347347). Il doit donc expressément préciser dans sa décision en quoi le vice de procédure allégué a constitué, en l’espèce, une insuffisance de nature à avoir nui à l’information complète de la population ou à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative (CE, 7 novembre 2012, n°351411).
Dans une décision très récente, le Conseil d’Etat a souligné « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d’enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; que, pour juger illégal l’arrêté attaqué, […] la cour s’est fondée sur l’insuffisance de l’estimation sommaire des dépenses, qui ne tenait pas compte des sommes nécessaires à l’indemnisation de M. A…à raison des restrictions apportées à son activité agricole par les servitudes instituées dans le périmètre de protection ; qu’elle a relevé, pour retenir cette insuffisance, qu’il n’était pas démontré et ni même allégué que les sommes nécessaires à cette indemnisation seraient ” tellement minimes ” que leur omission serait sans incidence sur l’information du public et le choix opéré par l’autorité compétente ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’omission alléguée avait effectivement été, en l’espèce, […] de nature à nuire à l’information complète de la population ou avait exercé une influence sur la décision prise, la cour a méconnu, au prix d’une erreur de droit, les principes rappelés ci-dessus » (CE, 10 juin 2015, n°371566, décision rendue non pas sur le fondement du code de l’environnement mais sur le fondement du code de l’expropriation).
L’application du principe dégagé par Danthony ne consiste donc pas à examiner si une insuffisance est substantielle ou non. Il ne s’agit pas de vérifier si l’insuffisance concerne un détail minime du projet qui ne peut qu’être sans incidence sur l’information du public et sur le choix opéré par l’autorité administrative. Il convient de véritablement regarder si, l’omission alléguée, avait effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public ou avait exercé une influence sur la décision prise. Cela implique d’être pragmatique et de porter une attention toute particulière aux circonstances de l’espèce. Le défaut d’information ne se postule mais se démontre in concreto.
En sanctionnant sur le fondement de l’erreur de droit la méconnaissance par les juges du principe dégagé par la décision Danthony, le Conseil d’Etat confère donc une véritable force contraignante à ce principe et justifie qu’il s’applique à l’ensemble des vices de procédure pouvant être invoqués en droit de l’environnement.
B. La volonté d’étendre à l’ensemble des vices de procédure la jurisprudence Danthony
L’impulsion donnée par le Conseil d’Etat conduit à la « Danthonysation » de nombreux vices de procédure invoqués en droit de l’environnement. Il convient d’illustrer ce propos par quelques exemples qui pourraient ressembler à un inventaire à la Prévert mais qui sont surtout très instructifs (nous avons relevé environ 200 décisions d’espèce sur ce sujet).
Le principe révélé par la décision Danthony s’applique à présent : au contenu des études d’impact (CE, 25 juin 2014, n°352633 ; CE, 20 mars 2013, n°354115 ; CAA Versailles, 21 juillet 2015, n°13VE02038 ; CAA Marseille, 12 juin 2015, n°14MA00321), au contenu des études de danger (CE, 25 juin 2012, n°346395), à la consultation irrégulière de la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) (TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339), à des visites sur les lieux préalablement à l’enquête publique (CAA Marseille, 26 juin 2015, n°14MA01250), aux vices relatifs à l’ouverture d’une enquête publique (CE, 27 février 2015, n°382502 et n°382557, deux décisions ; CE, 25 septembre 2013, n°359756 ; CAA Bordeaux, 9 juillet 2015, n°13BX01672), au contenu du dossier d’enquête publique et, plus particulièrement, aux avis non joints au dossier d’enquête publique (avis de maires : TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339), à l’inclusion tardive d’avis dans le dossier d’enquête publique (CE, 29 octobre 2013, n°360085), aux analyses socioéconomiques (par analogie avec CAA Bordeaux, 21 juillet 2015, n°14BX03468 et n°14BX03454, deux arrêts sur le fondement du code de l’expropriation)…
Il s’agit donc d’un principe omniprésent en droit de l’environnement qui sert essentiellement à régulariser les insuffisances d’une étude d’impact ou les vices de procédure d’une enquête publique. Néanmoins, ce principe s’exerce sous réserve d’une condition majeure : qu’il ne soit pas porté atteinte à l’information du public.
II. L’importance conférée au droit à l’information du public dans l’application du principe révélé par la décision Danthony en droit de l’environnement
En droit de l’environnement, la sanction des vices de procédure résulte bien souvent d’une privation du droit à l’information du public (A). Cette garantie va jusqu’à empêcher les régularisations en présence d’un plein contentieux (B).
A. Le droit à l’information du public, garantie de nature à empêcher l’application de la jurisprudence Danthony
Parmi les conditions requises pour qu’un vice de procédure ne soit pas sanctionné par l’illégalité de la décision prise, il est notamment nécessaire que le vice n’ait pas été de nature à priver les intéressés d’une garantie.
En droit de l’environnement, la garantie essentielle protégée par le juge est le droit à l’information du public. La décision du Conseil d’Etat Ocréal (CE, 14 octobre 2011, n°323257), à titre d’exemple, sanctionne les insuffisances d’une étude d’impact uniquement si « elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».
L’importance conférée à l’information du public se justifie en matière environnementale par le fait que cette garantie est constitutionnalisée. Elle figure en effet à l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »
Le code de l’environnement consacre lui aussi le droit à l’information environnementale en ses articles L124-1 et suivants.
Il est donc logique qu’en droit de l’environnement, les juges soient particulièrement vigilants au respect de cette garantie.
En pratique, l’atteinte à l’information du public s’apprécie notamment au regard de l’état de la participation du public. A titre d’exemple, dans une région viticole, ne pas joindre l’avis de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) à un dossier d’enquête publique est de nature à nuire à l’information complète du public eu égard au public concerné par le projet, notamment constitué d’exploitants viticoles (CAA Marseille 19 mai 2015, n°13MA03284, CAA Marseille, 7 juillet 2015, n°12MA04547). Dans ces affaires, le défaut d’information du public se traduisait par une très faible participation sur les registres d’enquête publique. Il résulte donc de ces deux arrêts que l’existence d’un vice de procédure s’apprécie de façon pragmatique : il dépend de la nature du public n’ayant pas bénéficié de l’information absente du dossier d’enquête publique et de sa participation.
Un autre vice de procédure portant atteinte à l’information du public est l’insuffisance des conclusions du commissaire-enquêteur (CAA Bordeaux, 30 juillet 2014, n°12BX02495).
De même, une insuffisance du dossier de demande d’autorisation d’exploiter concernant les capacités techniques et financières de l’exploitant est de nature à nuire à l’information du public et à justifier l’annulation de la décision contestée (CE, 15 mai 2013, n°353010)
Relevons enfin que si des études complémentaires sont produites postérieurement à la consultation du public afin de régulariser une insuffisance de l’étude d’impact, il est nécessaire de procéder à une nouvelle consultation du public (CE, 28 septembre 2012, n°340285). Cela témoigne une fois encore de l’importance accordée à l’information du public.
Notons que cette garantie est protégée par le juge de l’excès de pouvoir mais aussi par le juge saisi d’un litige de plein contentieux objectif.
B. La limite des régularisations du fait de cette garantie en présence d’un litige de plein contentieux
La garantie liée à l’information complète du public s’exprime en particulier en matière de vices de procédure lorsque le juge du plein contentieux est saisi.
En effet, le Conseil d’Etat estime qu’« il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce ; que les obligations relatives à la composition du dossier de demande d’autorisation d’une installation classée relèvent des règles de procédure ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; qu’en outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu’elles n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ; » (CE, 22 septembre 2014, n°367889)
Il paraît donc possible de combiner le principe dégagé par la décision Danthony et l’office du juge du plein contentieux des installations classées : le juge peut admettre la régularisation a posteriori de vices de procédure qui auraient dû, en principe, entraîner l’illégalité de la décision contestée sous réserve qu’ils n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population.
A titre d’exemple, une insuffisance relative à l’exposé des capacités techniques et financières de l’exploitant ne peut être régularisée des années plus tard devant le juge du plein contentieux car « eu égard à l’intérêt qui s’attache à la qualité et au caractère complet des indications à fournir sur les capacités financières de l’exploitant pour permettre au public de les apprécier, cette carence du dossier de demande a, dans les circonstances de l’espèce, eu pour effet de nuire à l’information complète de la population, sans que les justifications apportées plusieurs années plus tard par le pétitionnaire permettent de régulariser ce vice, qui, par suite, entache d’irrégularité l’arrêté préfectoral contesté ». (CAA Nantes, 11 mai 2015, 13NT02099). Reste que dans cette affaire Madame le Rapporteur public Christine Grenier fait encore dans ses conclusion une précision qui suggère que l’information du public pourrait dans certains circonstances être légalement réalisée après l’enquête publique : « Il ne résulte pas de l’instruction que le public a disposé d’une information actualisée depuis l’enquête publique qui lui aurait permis de prendre connaissance des éléments nouveaux produits en appel par la société [X] ». Est-ce à dire qu’une information du public sans nouvelle « consultation » (contra cf. CE, 28 septembre 2012, n°340285) ? Manifestement le droit de l’environnement pose plus que jamais cette question : jusqu’où doit être ‘danthonysé’ le procès environnemental ?
Il résulte de tout ce qui précède que la décision Danthony est déclinée de multiples façons en droit de l’environnement. Avant l’intervention de cette décision, les autorisations pouvaient être plus facilement annulées en raison d’un vice de procédure qu’à présent. Cela donnait au requérant qui contestait une décision administrative l’illusion d’avoir été entendu alors que l’administration s’empressait de reprendre une décision identique mais dans le strict respect de la procédure. A présent, ce type de situation est bien plus rare et de nombreux vices de procédure ne sont plus sanctionnés, ce qui permet de sécuriser plus rapidement les autorisations délivrées dans le cadre du droit de l’environnement.
Toutefois, en droit de l’environnement, un vice de procédure doit notamment être sanctionné s’il est de nature à avoir porté atteinte au droit à l’information du public. Le juge est particulièrement vigilant quant à la protection de cette garantie. En plein contentieux, cela le conduit notamment à refuser certaines régularisations si elles n’ont pas été portées auparavant à la connaissance du public.
Se donne ainsi à voir en droit de l’environnement un véritable standard de jugement de la régularisation du vice formel des dossiers de police environnementale : la vocation informative pour le public des éléments omis, l’élasticité du standard se prêtant à la casuistique même si les annulations paraissent de prime abord plus difficiles à obtenir. Il n’est d’ailleurs pas certain que la même omission aura pour tous les dossiers le même effet. La vocation informative se plaide avec ce débat en filigrane : toute information règlementairement requise est-elle pour autant indispensable au public ? Cette question dépend aussi de la perception que se fait le juge du public et de sa capacité à appréhender le projet.