Par un intéressant jugement en date du 15 septembre 2015 (TGI BETHUNE, 15 septembre 2015, RG n°32/2015), le Tribunal de grande instance de BETHUNE a prononcé la nullité du contrat de remblaiement de terrain passé entre un particulier et une société au motif d’un dol (jurisprudence cabinet).
En l’espèce, une société était venue proposer de remblayer le terrain d’un particulier, propriétaire d’un terrain.
Par suite du remblaiement effectué, un procès-verbal d’infraction avait été dressé à l’encontre du propriétaire pour violation de la loi sur l’eau (une partie de la parcelle était située en zone humide).
Le propriétaire s’estimant lésé a assigné la société en responsabilité contractuelle ainsi qu’en nullité du contrat sur le fondement de l’article 1108 du code civil.
Le Tribunal de grande instance de BETHUNE reconnaît la responsabilité de la société et annule le contrat en relevant l’absence de conseil donné par la société de remblaiement avant la conclusion du contrat, et en rejetant l’argument de la société qui faisait valoir qu’elle avait demandé une autorisation au Maire. Le Tribunal relève à bon droit que cela ne suffisait pas car la société connaissait forcément, en sa qualité de professionnelle du remblaiement, les règles relatives aux zones humides (et donc la nécessité d’une autorisation).
Rappelons qu’il résulte des dispositions du Code civil que diverses conditions sont requises pour assurer la validité des conventions. Selon l’article 1108 du code civil :
« Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention :
Le consentement de la partie qui s’oblige ;
Sa capacité de contracter ;
Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ;
Une cause licite dans l’obligation ».
Il résulte par ailleurs des dispositions de l’article 1109 du Code civil qu’« Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».
S’agissant du dol, la Cour de cassation admet que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ., 15 janv. 1971 : Bull. civ. III, n°38. – 2 oct. 1974 : Bull. civ. III, n° 330. – Cass. 1re civ., 23 juin 1987 : D. 1987, inf. rap. p. 168. – Cass. com., 20 juin 1995 : D. 1995, inf. rap. p. 211 ; Dr. et Patrimoine 1995/32, chron. n° 1108, obs. P. Chauvel. – Cass. 3e civ., 20 déc. 1995 : Bull. civ. III, n° 268 ; Contrats, conc., consom. 1996, comm. n° 55, obs. L. Leveneur).
Dans cette mesure il importe peu, naturellement, que la réticence ait porté sur une qualité substantielle, qu’elle ait induit une erreur de fait ou une erreur de droit, une erreur sur la contre-prestation ou, au contraire, sur la propre prestation.
La vigilance des tribunaux eu égard au vice du consentement que constitue le dol s’exerce avec d’autant plus de précautions notamment lorsque la victime de la réticence est un particulier, profane, qui reproche son silence au cocontractant professionnel (Cass. 3e civ., 3 févr. 1981 : Bull. civ. III, n° 18 ; D. 1984, jurispr. p. 457, note J. Ghestin, promoteur immobilier. – Cass. 1re civ., 19 juin 1985 : Bull. civ. I, n° 201, vendeur professionnel d’automobile. – Cass. 3e civ., 25 févr. 1987 : Bull. civ. III, n° 36, agence immobilière. – Cass. 1re civ., 26 févr. 1991 : Bull. civ. I, n° 331, banque.- voir également, pour une commune, lors de l’acquisition d’un terrain, Cass. 3e civ., 27 mars 1991 : Bull. civ. III, n° 108 ; D. 1992, somm. p. 196, obs. G. Paisant ; Contrats, conc., consom. 1991, comm. n° 133, obs. L. Leveneur. – Pour un huissier, lors de la conclusion d’un bail, CA Paris, 31 mai 1983 : Gaz. Pal. 1983, 2, jurispr. p. 554.)
De plus, il ressort tant des dispositions du code de la consommation (article L. 111-2) que de la jurisprudence civile que le professionnel contractant avec un particulier est tenu d’un devoir d’information et de conseil.
En l’espèce, le Tribunal de grande instance de BETHUNE relève avec une motivation poussée :
« […] que cette convention sui generis lie un professionnel avec une non-professionnelle. La société X n’a pas cru utile d’apporter des précisions sur son activité professionnelle mais le fait qu’elle ait proposé à la demanderesse cette prestation de remblayage à laquelle elle avait nécessairement économiquement intérêt démontre qu’elle n’était pas profane en la matière et qu’elle s’est en tout état de cause présentée comme une professionnelle de cette prestation. En conséquence, il lui incombait de connaître précisément les contraintes techniques et réglementaires de la prestation effectuée. La société professionnelle était en outre débitrice d’une obligation pré-contractuelle d’information et de conseil à l’égard de Madame Y, devoir d’autant plus renforcé qu’elle était à l’initiative de la convention.
La société X estime s’être acquittée de ses obligations en ayant sollicité de Madame Y une autorisation auprès du maire de M…, lequel a autorisé par courrier en date du 3 avril 2013 Madame Y à « combler le dénivelé de son terrain » sous la double condition de ne pas polluer le sol par les terres de remblais et de respecter les règles environnementales.
Quoiqu’il en soit, dès lors que le terrain à combler était en zone humide, la société W en sa qualité de professionnelle n’était pas censée ignorer le caractère insuffisant de l’autorisation du maire et la nécessité de déposer un dossier « Loi sur l’Eau » auprès de l’autorité préfectorale.
En effet, même en l’absence de mention de zone humide dans le titre de propriété de la cliente, la société professionnelle ne pouvait se méprendre sur cette spécificité du terrain, laquelle était apparente puisqu’il ressort du procès-verbal de l’ONEMA et des photos jointes que la parcelle était marécageuse et contenait des plantes aquatiques et semi-aquatiques tels des roseaux de la prêle et des saules.
Il ressort d’ores et déjà de ces éléments que la société X a manqué à son devoir d’information et de conseil en n’informant pas Madame Y qu’elle devait déposer un dossier « Loi sur l’Eau » auprès de l’autorité préfectorale.
En outre, le procès-verbal en date du 14 mai 2003 rapporte que lors de la réunion du 3 mai 2013, l’agent d’observation de l’ONEMA a « rappelé à Madame A qu’elle était bien au courant de la loi sur l’Eau puisqu’elle avait était verbalisée pour des faits similaires par l’ONEMA du Nord en 2011 ». Il ressort de cet élément non sérieusement contesté, que la société X n’a pas seulement manqué à son obligation pré-contractuelle d’information et de conseil mais a sciemment dissimulé une information essentielle en n’informant pas la cliente qu’elle avait démarchée de l’obligation de déposer un dossier auprès de l’autorité préfectorale sous peine de commettre une infraction.
Par ailleurs, il ressort du courrier adressé par les services de la préfecture le 4 juillet 2013 au maire de M…. que « les remblais ne sont pas tous des déchets inertes au sens de la directive 1999/31/CE du 26 avril 1999 et présentent un risque de pollution du milieu naturel », ce dont il résulte que la société X n’a de toute façon pas respecté la condition posée par le maire
(…)
Ces éléments en particulier les conditions de conclusion de la convention suite à un démarchage, le caractère apparent de la zone humide, la connaissance personnelle par la gérante de la société X des démarches à respecter dans le cadre de la loi sur l’eau pour un remblai sur une zone humide pour avoir déjà été verbalisée par l’ONEMA, le dépôt de terres non inertes- constituent des présomptions de fait graves, précises et concordantes, de l’intention la société X de taire à son cocontractant une information déterminante aux fins de surprendre son consentement pour pouvoir décharger sur son terrain des gravats, et caractérise ainsi un dol.
Il est évident que si Madame Y avait été informée de la nécessité de déposer un dossier en préfecture et du caractère polluant des terres de remblais, elle n’aurait pas donné son accord à la convention proposée, laquelle sera dès lors annulée ».
La jurisprudence rendue par le Tribunal de grande instance de BETHNUE s’inscrit donc dans la lignée du courant jurisprudentiel à la fois sur le dol et sur l’obligation d’information précontractuelle que doit le professionnel vis-à-vis du profane.
Les particuliers qui s’estiment lésés dans le cadre d’opérations contractuelles même verbales ont donc la possibilité de faire valoir leurs droits et d’obtenir réparation devant le juge judiciaire s’ils deviennent victimes, malgré eux, du non respect de la réglementation environnementale.
Cette jurisprudence vaut également, à notre sens, pour les opérations de remblaiement qui ne seraient
- pas compatibles avec la réglementation Loi sur l’eau (zone humides, lit mineur etc…)
- pas compatibles avec les règles d’urbanisme (exhaussements soumis à déclaration préalable / permis d’aménager)
- ou pas compatibles avec les règles sur les sites (sites naturels classés, relevant du code du patrimoine).