Le Conseil d’Etat et la vocation informative du DDAE : ne pas oublier le public !

Dans un arrêt particulièrement intéressant du 15 mai dernier (Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010), le Conseil d’Etat a été amené, en tant que juge des installations classées, à confirmer les standards de jugement de la complétude du DDAE (dossier de demande d’autorisation d’exploiter) mais aussi à préciser une fois encore l’office du « juge administrateur ».   Le contentieux avait été engagé devant le Tribunal administratif d’Amiens avec succès contre l’autorisation d’exploiter un incinérateur industriel, au motif que le DDAE était incomplet au regard du 5° de l’ancien article 2 du décret du 21 septembre 1977 dès lors que pour justifier de ses capacités financières la société pétitionnaire s’était bornée à citer ses partenaires industriels et son capital social et à communiquer les autres justificatifs confidentiellement au Préfet  (TA Amiens 21 avril 2009, n° 0601680,0601803 et 0700315). Et par un arrêt du 15 juin 2010, Cour administrative d’appel de Douai a écarté les moyens portant sur la régularité du jugement puis a enjoint aux parties de produire les éléments de nature à lui permettre de déterminer, pour le cas où elle confirmerait la décision des premiers juges, si l’intérêt général justifie que les effets de l’annulation de l’autorisation litigieuse soient retardés jusqu’à ce qu’une nouvelle autorisation soit délivrée ainsi que le délai nécessaire au dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation et à l’instruction de celle-ci. Finalement par un arrêt du 30 juin 2011 (CAA Douai, 30 juin 2011, n° 09DA00764, 09DA00961),  elle a rejeté la requête d’appel en retenant deux motifs d’annulation de l’arrêté préfectoral, tirés – l’un de l’insuffisance de l’étude d’impact (à propos des conditions de remise en état du site telle que fixées désormais au I et au 5° du II de l’article R. 512-8 du code de l’environnement) – et l’autre de l’irrégularité de l’enquête publique (eu égard aux lacunes des informations relatives aux capacités financières de l’exploitant contenu dans le DDAE soumis à enquête), sans faire droit à la demande de modulation dans le temps des effets de l’annulation. C’est l’arrêt objet du pourvoi.   La vocation informative, standard de jugement de la complétude du DDAE En cassation le Conseil d’Etat rappelle ce considérant de principe : « considérant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ». On le voit pour la Haute juridiction la vocation informative du DDAE est double : d’une part, via l’enquête publique le public doit bénéficier d’une information complète et, d’autre part, le Préfet ne doit pas avoir été privé d’une information qui l’aurait conduit aurait faussé son appréciation et l’exercice de sa compétente.   Antérieurement, le principe de participation n’avait pas une telle emprise sur la vocation informative du DDAE. Ainsi la CAA de Nancy pouvait-elle réduire l’exigence à la seule information de l’autorité de police décisionnelle : « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances de l’étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et, partant, d’entraîner l’illégalité de la décision d’autorisation que dans l’hypothèse où elles ont pu avoir pour effet de nuire aux objectifs susmentionnés, et notamment si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative en la conduisant à sous-estimer l’importance des conséquences du projet sur l’environnement et sur la commodité du voisinage » (CAA Nancy, du 4 novembre 1993, 92NC00611, SA Union Française des Pétroles, publié au recueil Lebon – reprenant le même considérant : CAA Nancy, 4 mars 2004, 99NC00567, inédit au recueil Lebon).   C’est d’ailleurs la Cour administrative d’appel de Nancy qui sera la première à faire évoluer le considérant pour y intégrer la vocation informative du public : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision d’autorisation d’une installation classée que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’expression de ses observations par la population à l’occasion de l’enquête publique ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative en la conduisant à sous-estimer l’importance des conséquences du projet sur l’environnement et la commodité du voisinage » (CAA Nancy, 19/11/2007, 07NC00106, Inédit au recueil Lebon).   C’est la Cour administrative d’appel de Marseille qui préfèrera la formule « l’information complète de la population » à celle « [d]’expression de ses observations par la population » (CAA Marseille, 02/10/2008, 07MA01524, Inédit au recueil Lebon).   In fine le Conseil d’Etat a lui-même fait évoluer dans son arrêt u 14 octobre 2011, Société Ocréal, n° 323257,  le considérant pour en retenir la version contemporaine qu’il décline dans l’arrêt commenté.   Mais il faut ici apprécier toute la singularité de l’espèce occasionnant son rappel. Passons rapidement sur le fait que le Conseil reproche à la Cour de « s’être bornant à relever que la mention figurant dans l’étude d’impact et relative aux conditions de remise en état du site n’était pas suffisante pour en déduire que l’arrêté litigieux était entaché d’irrégularité, sans rechercher si l’insuffisance ainsi relevée avait pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elle avait été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».   Bien plus riche d’enseignements, le Conseil d’Etat admet dans notre arrêt que la Cour a pu, sans commettre une erreur de droit, reprocher au pétitionnaire d’informer totalement le préfet mais partiellement le public de ses capacités financières. Le juge d’appel avait décidé qu’eu égard à l’intérêt qui s’attache à la qualité et à l’exhaustivité des indications à fournir sur ses capacités techniques et financières, pour permettre au public de les apprécier, l’exploitant doit joindre au dossier d’enquête publique son chiffre d’affaire et son résultat qui ne sont pas des informations présentant un caractère confidentiel. En effet, en transmettant seulement les informations précitées sous pli confidentiel à l’autorité compétente…

Modernisation du droit de l’environnement: la consultation publique est ouverte

La consultation publique relative à la modernisation du droit de l’environnement a débuté ce 26 avril 2013 et prendra fin le 9 juin prochain. Un questionnaire a été mis en ligne sur le site internet du Ministère de l’Ecologie. Le questionnaire aborde cinq thématiques: “questions d’ordre général sur le droit de l’environnement”, “quels types de règles faut il?”, “quel contenu et quelle structure pour les règles?”, “comment sont appliquées les règles?”, “quel contrôle et quelles sanctions des règles?”. Cette première étape vise selon le Comité de pilotage à “établir un diagnostic des qualités et des défauts du droit de l’environnement et à identifier les axes prioritaires de réforme qui devront, dans une seconde étape, faire l’objet d’un travail d’approfondissement en vue de leur mise en œuvre“.

ICPE: la délivrance de l’autorisation après l’annulation d’un refus rend l’appel sans objet (CAA Douai, 7 mars 2013, n°11DA01927)

La Cour administrative d’appel de Douai vient de prononcer, dans un arrêt en date du 7 mars 2013, (CAA Douai, 07 mars 2013, n°11DA01927, jurisprudence cabinet), un non-lieu à statuer sur une requête d’appel contestant un jugement ayant précédemment annulé un refus d’autorisation ICPE, dès lors que l’autorisation en question avait été délivrée ultérieurement après une nouvelle instruction :  « Considérant qu’il appartient au juge de plein contentieux des installations classées des installations classées pour la protection de l’environnement de se prononcer sur l’étendue des obligations mises à la charge des exploitants par l’autorité compétente au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue ; Considérant qu’à la suite de l’annulation et de l’injonction de procéder au réexamen de la demande de la société X…. prononcées par le Tribunal administratif d’Amiens dans son jugement du 18 octobre 2011, le Préfet de l’Oise, par un troisième arrêté du 16 décembre 2011, pris après une nouvelle instruction, sous la forme notamment d’une consultation du conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques du département, a cette fois autorisé la société X… à exploiter un centre de regroupement, de transit et un centre de stockage de déchets non dangereux à Y…. ; que cette autorisation, qui ne présente par elle-même aucun caractère provisoire, rend sans objet le litige relatif au précédent refus, et ce, quand bien même elle n’a pas acquis, à la date du présent arrêt, de caractère définitif ; qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’elle serait intervenue avant l’introduction de leur requête par l’ASSOCIATION W… et autres ; que, dans ces conditions, il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions d’appel dirigées contre le jugement attaqué prononçant l’annulation du refus d’autorisation d’une installation classée contenu dans l’arrêté du 15 juillet 2009 du Préfet de l’Oise ; »   (CAA Douai, 07 mars 2013, n°11DA01927)    Il est constant que le juge de plein contentieux des installations classées se prononce au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue (Conseil d’Etat, 6 / 2 SSR, du 20 janvier 1978, 03006, inédit au recueil Lebon ; Conseil d’Etat, 6 / 2 SSR, du 6 février 1981, 03539, mentionné aux tables du recueil Lebon), et ce qu’il soit saisi d’une demande dirigée contre une décision autorisant ou refusant l’ouverture d’installation classée (Conseil d’Etat, Section, du 7 février 1986, 36746, publié au recueil Lebon).   En application de ce principe, le Conseil d’Etat a pu juger que si l’acte attaqué pris en application de la législation sur les installations classées est retiré par l’administration avant que le juge n’ait statué, le juge doit prononcer le non-lieu à statuer sur la demande, que ce retrait ait ou non acquis un caractère définitif (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 05/07/2006, 259061, Publié au recueil Lebon).   De la même manière, la Cour administrative d’appel de Nancy a pu conclure au non-lieu à statuer sur une requête d’appel, eu égard à l’édiction d’une nouvelle décision – second refus d’autorisation – se substituant à la décision annulée par le Tribunal en première instance (Cour Administrative d’Appel de Nancy, 4ème chambre – formation à 3, 25/02/2008, 07NC00121, Inédit au recueil Lebon).   En l’espèce, le second refus d’autorisation opposé à la société X… le 15 juillet 2009 (annulé par le Tribunal le 18 octobre 2011 et objet de l’appel) avait été retiré implicitement par un arrêté préfectoral du 16 décembre 2011 délivrant l’autorisation d’exploiter. En application de la jurisprudence précitée, le litige porté devant la Cour administrative d’appel avait inévitablement perdu son objet. Et l’autorisation finalement délivrée ne l’avait pas été du seul fait de l’injonction prononcée par le Tribunal (ce qui aurait éventuellement pu faire obstacle au prononcé d’un non-lieu) mais après une nouvelle instruction, le Préfet ayant choisi de consulter à nouveau le CODERST, lequel a rendu un avis favorable.   Précisons enfin que les requérants ne se sont trouvés aucunement lésés par le prononcé d’un non-lieu puisqu’ils avaient intenté un recours en annulation à l’encontre de l’arrêté d’autorisation d’exploiter finalement délivré.   Me Anaïs De Bouteiller Green Law Avocat

Affaire AZF : carences fautives de l’inspection ICPE et perte de chance

Par deux arrêts (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 24 janvier 2012, n°10BX02880 et n°10BX02881), le juge administratif a reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001 du fait des carences fautives de ses services dans la surveillance de cette installation classée.   Perte de chance Si cette reconnaissance de responsabilité est un évènement, on ne peut s’empêcher de remarquer que les montants – 1250 euros dans la première affaire et 2500 euros dans la seconde – des indemnités que l’Etat a été condamné à verser aux requérants sont bien dérisoires à côté des préjudices subis par ces habitants.   Même si le juge administratif a pour réputation –  justifiée ou non –  de n’accorder des dommages et intérêts que très limités en comparaison de ceux qu’octroie  le juge judiciaire, la faiblesse de ces montants dans ces deux affaires peut se justifier pour plusieurs raisons.   D’abord l’objet même de la demande était ici limité par les requérants respectivement à 10000 et 20 000 euros en réparation d’un préjudice moral et de trouble dans les conditions d’existence, tenant en particulier au fait que l’explosion a été à plusieurs titres une source d’angoisse (leur maison a été dévastée  et ils sont restés plusieurs heures sans nouvelle de leur enfant). En effet, les préjudices matériels avaient déjà été indemnisés par les compagnies d’assurances.   Ensuite, il ressort très clairement des deux arrêts que la caractérisation du lien de causalité entre les carences de l’Etat et l’explosion de l’usine AZF était malaisée et a obligé le juge administratif à recourir à la théorie de la perte de chance, théorie apparue en 1928 en droit administratif (CE, 03 août 1928, Bacon) et très utilisée dans le contentieux administratif de la responsabilité hospitalière.   C’est pourquoi, le juge relève à propos du bâtiment 221 que : « s’il n’est pas certain qu’aucune explosion ne se serait produite en l’absence de faute commise dans la surveillance de ce dernier entrepôt, il est établi que la mise en contact du mélange explosif avec des produits qui auraient été stockés dans des conditions régulières, et dont la réactivité aurait été ainsi très inférieure, n’aurait pas eu les mêmes conséquences ; que, dans ces conditions, la carence de l’État dans la surveillance de cette installation classée doit être regardée comme ayant fait perdre à M. B…une chance sérieuse d’échapper au risque d’explosion tel qu’il s’est réalisé et d’éviter tout ou partie des dommages qu’il a personnellement subis du fait de cette explosion » (affaire n°10BX02880).   Ainsi, au sens du juge administratif le seul lien de causalité établi est celui entre la faute de l’Etat et la perte de chance pour les requérants d’échapper au risque d’explosion de l’usine et d’éviter les dommages en découlant.   On comprend alors que les requérants ne pourront se voir indemniser non le préjudice « final » qu’ils ont subi (maison dévastée, angoisse d’avoir perdu un proche) mais seulement le préjudice « initial » que constitue la perte de chance d’échapper au risque d’explosion et d’éviter les dommages en découlant.   Ce préjudice « initial » correspond à une fraction du « préjudice final » qui est déterminée par le juge administratif en fonction du degré de certitude de la perte de chance. Et ici l’appréciation souveraine de la chance perdue conduit à imputer d’emblé  de moitié l’indemnité sollicitée.     C’est pourquoi, le juge administratif décide dans les deux affaires « qu’eu égard à l’importante probabilité de survenance d’une explosion du seul fait du croisement de produits hautement incompatibles entre eux, il y a lieu d’évaluer l’ampleur de cette perte de chance à 25 % et de mettre à la charge de l’Etat la réparation de cette fraction des dommages qu’a subis le requérant et qui sont restés non indemnisés ».     Le juge évaluant les préjudices « finaux » à 5000 euros pour la première affaire, et à 10 000 euros pour la seconde, il accorde en indemnisation du préjudice « initial », seul préjudice indemnisable, les sommes de 1250 et 2500 euros aux requérants.   Cette  reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans l’explosion de l’usine AZF à Toulouse par la juridiction administrative sera sans doute tenue pour  symbolique. Mais il n’est pas totalement déraisonnable de penser que les requérants recherchaient d’abord ici la reconnaissance de principe de la responsabilité de l’Etat pour ses carences fautives dans le contrôle des installations classées en cause. Il ne faut jamais perdre de vue les fonctions multiples de la responsabilité administrative (D. Lochak, « réflexions sur les fonctions sociales de la responsabilité administrative, In Le droit administratif en mutation, PUF, 1993, p. 275) ;  ce serait finalement l’insupportable impunité pénale de l’Etat personne morale qui  se trouve palliée par le pis allé d’une responsabilité administrative déclaratoire et « sanctionnatrice ».     Carences fautives Concernant la reconnaissance des carences fautives des services de l’Etat et tout particulièrement de celles du service de l’inspection des installations classées, le cheminement du juge bordelais est limpide et peut difficilement souffrir de contestation.   Celui-ci relève tout d’abord « qu’il ressort de l’arrêt précité de la cour d’appel de Toulouse du 24 septembre 2012, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée quant aux faits constatés par le juge pénal (…) que l’explosion qui s’est produite le 21 septembre 2001, initiée dans le bâtiment 221 de l’usine AZF, a pour origine la réaction chimique accidentelle née du mélange de nitrates d’ammonium et de produits chlorés dans un environnement et des conditions d’entreposage qui ont favorisé cette réaction ».   Remarquant que « la procédure pénale a mis en évidence le non-respect des prescriptions réglementaires quant aux modes de stockage des nitrates d’ammonium déclassés », le juge administratif considère que « l’existence même de ces modes irréguliers de stockage de produits dangereux dans le bâtiment 221, pour des quantités importantes et sur une longue durée (…) révèle une carence des services de l’Etat dans son contrôle de cette installation classée ».   Au surplus, il s’avère que l’étude de danger relative aux ammonitrates et autres engrais réalisée par la société était « ancienne et partielle ». C’est pourquoi, un arrêté du…

ICPE/ servitudes: l’indemnisation dans le temps des servitudes édictées (Cour de cass, 12 septembre 2012, n°11-10687)

Dans une décision Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 12/09/2012, n°11-10687, la Cour de cassation a jugé que les servitudes d’utilité publique instituées avant le 28 février 2002 sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation ne peuvent ouvrir droit à leur indemnisation par l’exploitant. Ce faisant, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux en précisant que la loi n°2002-276 du 27 février 2002 instituant l’indemnisation des servitudes prévues à l’article L515-11 du code l’environnement dispose uniquement pour l’avenir.   Les faits: Dans cette affaire, il s’agit d’une société foncière A. ayant acquis en 1995 un terrain sur lequel a été institué au mois de février 2000, des servitudes d’utilité publique telles que prévues au Code de l’environnement aux articles L515-8 à L515-12, en raison de la présence d’une pollution résiduelle à l’amiante. En effet, sur ce terrain, a été exploitée jusqu’en 1986 par la société B., une installation classée pour la protection de l’environnement ayant engendrée des pollutions. La société foncière A., se prévalant d’un préjudice direct, matériel et certain résultant de l’institution de ces servitudes, saisi le juge de l’expropriation, pour que celui-ci fixe l’indemnité que devra lui payer le dernier exploitant du site, c’est-à-dire la société B., en réparation de ce préjudice. Le juge de l’expropriation, au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties, prend la décision de chiffrer le préjudice à la somme de 1 143 368 euros. La société B. arguant notamment que la société A. aurait acquis le terrain litigieux dans le but d’obtenir une indemnité conteste le droit à indemnisation de cette société en interjetant appel de la décision du juge de l’expropriation devant la Cour d’appel de Bordeaux. La Cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt en date du 24 novembre 2010 va infirmer la décision du juge de l’expropriation en réformant son évaluation du préjudice à 1 189 102,32 euros tout en décidant, cependant, que les conditions d’indemnisation prévues à l’article L.515-11 du Code de l’environnement étaient bien remplies par la société A.   La société B., insatisfaite de cette décision, se pourvoit en cassation. Elle soutient dans un moyen principal que la Cour d’appel a violé les articles 2 du Code civil, et L515-11 et L515-12 du Code de l’environnement dans leur rédaction antérieure à la loi n°2002-276 du 27 février 2002. Les juges de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation vont lui donner raison en affirmant que la loi du 27 février 2002, « a ajouté à l’article L. 515-12 du code de l’environnement, l’indemnisation, dans les conditions prévues à l’article L. 515-11, des servitudes prévues aux articles L. 515-8 à L. 515-11 pouvant être instituées sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation, (…) » et qu’ « En l’absence d’une disposition contraire expressément affirmé par le législateur, la loi n°2002-276 du 27 février 2002 (…) ne dispose que pour l’avenir »… autrement dit, que les servitudes instituées avant l’entrée en vigueur de la Loi ne pouvaient donner lieu à une indemnisation.   La servitude dont il est question dans le litige ayant été instituée le 14 février 2000, la Cour de cassation conclue en la violation par la Cour d’Appel de Bordeaux des articles précités. Elle décide, par suite, en réponse à un moyen annexe que l’institution avant le 28 février 2002 de servitudes d’utilité publique sur des terrains pollués par l’exploitation d’une installation ne peut ouvrir droit à leur indemnisation par l’exploitant.     Une solution critiquable au vu des travaux parlementaires   Si cette solution peut sembler de prime abord dans la droite ligne de la jurisprudence en matière de non-rétroactivité de la loi, elle apparait, dans une lecture plus approfondie, être inappropriée en l’espèce. En effet, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation avait déjà jugé par un arrêt du 1er octobre 2008 (3ème civ., 01/10/2008, n°07-15717), que, concernant l’article L.515-8 du Code de l’environnement, la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 n’était pas rétroactive. Cette loi avait eu pour effet d’étendre le champ d’application des servitudes prévues à cet article aux risques supplémentaires créées par une installation nouvelle sur un site existant et par conséquence avait ouvert droit à leur indemnisation. Ainsi, en  application du principe de non rétroactivité, le juge judiciaire est venu affirmer que seules des installations nouvelles postérieure à la loi du 30 juillet 2003 et créant des risques supplémentaires pouvaient ouvrir droit à indemnisation.  Par conséquent, la position de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 septembre 2012 est, concernant le principe de non-rétroactivité, en accord avec ses décisions antérieures.   Cependant, l’affirmation par la Cour de cassation de l’inexistence avant 2002 d’une possibilité d’indemnisation de la part de l’exploitant des servitudes d’utilité publique prévues à l’article L.515-12 du Code de l’environnement est plus critiquable. En effet, en prenant cette décision, elle valide le premier moyen de cassation présenté par l’avocat de la société B et selon lequel : « l’institution des servitudes d’utilité publique prévues par l’article 7.5 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 197 6, devenu article L. 515-12 du code de l’environnement, ne pouvait, jusqu’en 2002, donner lieu à indemnisation de la part de l’exploitant ; que ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, non rétroactive, qu’est ouverte la possibilité d’indemnisation des servitudes de l’article L. 515-12 du code de l’environnement, dans les conditions prévues à l’article L. 515-11 du même code ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le juge de l’expropriation était saisi, en application de l’article L. 515-11 du code de l’environnement, d’une demande indemnitaire formée par la société A. à l’encontre de la sociétéB., ancien exploitant de l’installation polluante, et ayant pour fondement l’institution de servitudes résultant de l’arrêté préfectoral édicté le 14 février 2000, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi précitée de 2002 ; que dans ces conditions, le prétendu préjudice lié à l’institution de la servitude n’était pas indemnisable par l’exploitant ».   En validant ce moyen,…