Cristallisation : les moyens imprécis à 2 mois, des moyens nouveaux

Cristallisation : les moyens imprécis à 2 mois, des moyens nouveaux

Par  Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Dans un arrêt du 12 juillet 2024 (n° 22NT01245), la Cour administrative d’appel de Nantes a considéré, en qualité de juge de premier et dernier ressort de l’autorisation environnementale d’un parc éolien terrestre (cf. art. R. 311-5 du CJA), que les moyens, dont la précision, permettant d’évaluer leur portée et leur bien-fondé, n’est apportée qu’après l’expiration du délai de 2 mois prévu à l’article R. 611-7-2 du Code de justice administrative, doivent être considérés comme des moyens nouveaux invoqués tardivement ; ils sont donc irrecevables.

Permis de construire : cristallisation des moyens appliquée au référé «étude d’impact»

Permis de construire : cristallisation des moyens appliquée au référé «étude d’impact»

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Dans une décision n°468789 en date du 17 avril 2023, le Conseil d’État rejette une demande de suspension d’un permis de construire déposé au-delà de l’expiration du délai cristallisation des moyens malgré l’absence d’étude d’impact .

Brèves de contentieux administratif

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Il faut se méfier des certitudes en contentieux administratif, les choses bougent ! Les environnementalistes ne peuvent plus ignorer les évolutions les plus récentes du contentieux administratif. Trois exemples récents l’illustrent parfaitement. La mandat dans le contentieux administratif : nécessairement exprès mais potentiellement verbal Par un arrêt du 19 juillet 2017 (requête n°402185), le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles il doit être considéré qu’un mandat existe, permettant ainsi au mandataire, par le dépôt d’un recours administratif préalable déposé au nom du requérant, de proroger les délais de recours contentieux. Pour le juge administratif, le mandat existe si les conditions suivantes sont réunies : Le mandat doit être exprès(jurisprudence constante), c’est-à-dire manifestant la volonté délibérée de son auteur de donner mandat pour être représenté. Le mandat doit être écrit OU Le Conseil d’Etat valide ainsi la possibilité d’un mandat exprès et oral tout en précisant les modalités de preuve d’un tel mandat. A cette fin, le Conseil d’Etat distingue deux situations. Tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle le mandat oral peut être présumé des termes mêmes du recours administratif préalable, le juge pourra alors présumer l’existence d’un mandat. Ensuite, et dans le cas où le mandat ne peut être présumé, le juge administratif devra apprécier, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si le recours administratif peut être regardé comme ayant été présenté par une personne qui avait qualité pour ce faire au nom du demandeur. L’hypothèse où le mandat est écrit ne pose aucune difficulté puisque que la preuve formelle du mandat existe. En l’espèce, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la Cour Administrative d’appel de Marseille (décision du 9 juin 2016, requête n°15MA04473) qui avait retenu que seule la production d’un mandat écrit pouvait être de nature à établir que le recours administratif préalable avait été formé. Bien évidemment le recours à l’avocat est un moyen de prévenir tout risque en la matière mais souvent les services juridiques des opérateurs engagent eux-mêmes les demandes préalables indemnitaires ; la précaution de prévoir un mandat écrit demeure d’autant plus recommandée, que le juge administratif est friand des fins de non-recevoir pour préserver des deniers de l’Etat. Application de la jurisprudence « CZABAJ » relative à la limitation dans le temps des délais de recours au nom de la sécurité juridique à une décision implicite de rejet Par un arrêt rendu en Assemblée du contentieux le 13 juillet 2016 (requête n°387763), le Conseil d’Etat a posé « la règle selon laquelle le destinataire d’une décision individuelle auquel les voies et délais de recours n’ont pas été notifiées ne peut exercer un recours juridictionnel contre cette décision au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date où il a eu connaissance de la décision » (Cf. Analyse du Conseil d’Etat sur cet arrêt). Rappelons que ce délai raisonnable est apprécié par la même jurisprudence à un an. Le tribunal administratif de Melun juge que cette jurisprudence est applicable dans l’hypothèse d’une décision implicite de rejet (Tribunal administratif de Melun, 2 juin 2017, requête n°1408686). Ainsi, en l’espèce, le tribunal considère que la société requérante qui a saisi sept ans après la naissance de la décision implicite de rejet de sa demande initiale le juge administratif, et ce, alors même que qu’elle pouvait être regardée comme ayant eu connaissance de cette décision implicite de rejet le 1er avril 2010 au plus tard  n’a pas respecté ce délai raisonnable qui est expiré à la date de saisine du juge administratif. Notons que cette solution n’a pas été validée par le Conseil d’Etat mais qu’elle semble être partagée par d’autres tribunaux administratifs (Cf. TA de Lyon, 4 avril 2017, requête n° 1406859). Cette solution ainsi généralisée est bien évidemment une limite au recours contre des décisions de refus explicites ou implicites qui peuvent être opposées aux opérateurs : l’indication des voies et délais de recours n’est plus une garantie pour leur destinataire. La cristallisation des moyens au titre de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme perdure en appel: Pour rappel, l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme dispose que : « Saisi d’une demande motivée en ce sens, le juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués. » Dans un arrêt du 30 novembre 2017 (requête n°15BX01869), la cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’il : « résulte de ces dispositions et de leur finalité que si en principe un requérant peut invoquer pour la première fois en appel un moyen se rattachant à une cause juridique déjà discutée en première instance avant l’expiration du délai de recours, il n’est en revanche pas recevable à invoquer en appel un moyen présenté tardivement en première instance pour avoir été soulevé postérieurement à la date indiquée dans l’ordonnance prise sur le fondement de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme ». Dès lors, la cristallisation des moyens contentieux résultant d’une ordonnance prise sur le fondement de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme en première instance perdure en appel. Quid des nouvelles ordonnances de cristallisation du décret JADE (décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016) ? Ce dernier a en effet modifié l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative pour étendre le mécanisme des ordonnances de cristallisation à l’ensemble du contentieux administratif. La récente jurisprudence de la cour administrative d’appel de Bordeaux leur est-elle applicable ? Les deux mécanismes sont pratiquement similaires, dès lors, rien ne s’y opposerait. Cependant, il convient d’être vigilant tant que le Conseil d’Etat n’a pas validé cette solution jurisprudentielle. La prudence, dans l’immédiat, commande sans doute aux opérateurs de faire deux demandes de cristallisation, d’abord devant le premier juge, puis devant la juridiction d’appel …

Conclusions indemnitaires pour recours abusif : deux ans de pratique …

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a contribué à réformer le contentieux de l’urbanisme. Elle a notamment créé un article L. 600-7 dans le code de l’urbanisme aux termes duquel : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. Lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement est l’auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. » En vertu de cet article, il est donc possible pour le bénéficiaire d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, faisant l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de présenter des conclusions indemnitaires par un mémoire distinct en cas de recours abusif. L’article précise que cette demande peut être présentée pour la première fois en appel. Deux ans après la création de cet article, il est intéressant d’examiner comment ces dispositions ont été accueillies par les juridictions en examinant la jurisprudence rendue sur son fondement. Une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de cet article a été déposée mais elle a été rapidement écartée (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA02236). Cet article a donc institué une nouvelle règle de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme. Aux termes d’un avis rendu le 18 juin 2014, le Conseil d’Etat a, en l’absence de disposition expresse contraire, considéré que cet article était d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Conformément à la lettre de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, il a ajouté que ces dispositions pouvaient être invoquées pour la première fois en appel (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 18 juin 2014, n°376113, Publié au recueil Lebon ; en ce sens également voir CAA Nantes, 14 novembre 2014, n°13NT00180 ; CAA Versailles, 5 mars 2015, n°13VE03236 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE02888). Notons que les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme ont des conditions d’application très strictes. En premier lieu, cet article ne concerne que les recours pour excès de pouvoir visant des permis de construire, de démolir ou d’aménager. Ainsi, les recours fondées sur une mauvaise exécution ou une inexécution d’un permis de construire ne sont pas au nombre de ceux visés par ces dispositions qui doivent s’entendre restrictivement compte tenu de leur portée (CAA Marseille, 25 juillet 2014, n°12MA03175). De même, les conclusions pour « résistance abusive » sont irrecevables (CAA Marseille, 2 juillet 2015, n°14MA01665). En deuxième lieu, le juge administratif vérifie que les conclusions indemnitaires sont bien présentées dans un mémoire distinct, à peine d’irrecevabilité (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°12MA00380 ou encore CAA Marseille, 6 juin 2014, n°12MA03608). En troisième lieu, le juge administratif s’assure que le droit au recours soit exercé dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant. Cette condition est celle qui est la plus strictement appréciée par le juge (CAA Marseille, 24 mars 2014, n°12MA01160 ; CAA Nancy, 6 novembre 2014 n°14NC00611 ; CAA Nantes, 14 novembre 2014, n°13NT00180 ; CAA Nantes, 30 décembre 2014, n°13NT01278 ; CAA Marseille, 9 février 2015, n°13MA00160 ; CAA Versailles, 5 mars 2015, n°13VE03236 ; CAA Bordeaux, 5 mars 2015, n°13BX01443 ; CAA Nantes, 17 avril 2015, n°14NT00537, CAA Nancy, 30 avril 2015, n°14NC01651 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE02888 ; CAA Marseille, 21 mai 2015, n°13MA02240 ; CAA Marseille, 27 juillet 2015, n°13MA00683). Ainsi, « la seule circonstance que l’association, regroupant près d’une cinquantaine de personnes physiques, ait déposé ses statuts en préfecture postérieurement à l’affichage en mairie de la demande du permis de construire ne peut suffire à faire regarder son action comme excédant la défense de ses intérêts légitimes » (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA03143) De même, l’exercice du droit d’appel ne peut justifier l’allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme (CAA Bordeaux, 16 décembre 2014, n°13BX02549). En quatrième lieu, les juridictions exigent qu’il soit démontré que la personne qui dépose une requête indemnitaire justifie « du caractère excessif de ce préjudice au regard de celui qu’aurait pu causer un recours exercé dans des conditions n’excédant pas la défense des intérêts légitimes d’un quelconque requérant » (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA02161 ; Voir également sur la nécessité de démontrer un préjudice excessif : CAA Marseille 24 mars 2014, n°12MA01160 ; CAA Nancy, 6 novembre 2014, n°14NC00611 ; CAA Bordeaux 5 mars 2015, n°13BX01443 ; CAA Nancy, 30 avril 2015, n°14NC01651 ou encore CAA Marseille, 23 juillet 2015, n°13MA00683). Il est intéressant de remarquer qu’hormis dans son avis sur l’application dans le temps de cet article, le Conseil d’Etat ne s’était pas encore prononcé sur ses conditions d’application. C’est désormais chose faite dans une décision du 3 juillet 2015 où le Conseil d’Etat a estimé qu’il « résulte des termes mêmes de cet article que des conclusions formées par une partie tendant à ce que le juge de l’excès de pouvoir condamne une autre partie à lui verser des dommages et intérêts, lorsque les conditions exigées par ces dispositions législatives sont réunies, peuvent être présentées au juge administratif saisi du recours contre un permis de construire, y compris pour la première fois en appel, mais non devant le juge de cassation » (Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 3 juillet 2015, n°371433, Mentionné dans les tables du recueil Lebon). Cette lecture de…