Parutions de deux analyses par Green Law Avocat dans “Droit de l’environnement”: l’expert en contentieux environnemental et l’annulation d’une ZDE pour détournement de pouvoir

L’équipe de Green Law Avocat a publié deux analyses parues dans la revue Droit de l’environnement en Décembre 2014. A l’occasion d’un colloque organisé par le CERDACC le 20 mai 2014 ayant pour thème “l’expert au banc des accusés”, David DEHARBE est intervenu pour évoquer le sujet de l’expert en contentieux administratif de l’environnement. Les actes du colloque sont publiés dans un Hors-Série spécial en décembre. La mission est quasi vue comme impossible dans des domaines aujourd’hui sensibles (OGM, antennes relais, lignes THT…), car elle implique pour l’expert de se voir, tout d’abord, confier une mission. C’est là un effort que doivent fournir les juristes en environnement : admettre le besoin d’un tiers expert et convaincre le juge administratif de son utilité dans des contentieux où la vérité scientifique n’existe pas. Par ailleurs, la jurisprudence administrative relative aux (feu) Zones de Développement Eolien (ZDE) est l’occasion pour Green Law Avocats de revenir sur le risque juridique caractérisé par le détournement de pouvoir. La Cour administrative d’appel de Douai a en effet annulé un arrêté préfectoral approuvant une ZDE car il était entaché d’un détournement de pouvoir. Une telle décision constitue une intéressante contribution à la théorie du détournement de pouvoir, dont les illustrations demeurent malheureusement rares par rapport à la pratique.

Modules photovoltaïques défectueux: quels recours au stade du référé ? (CA Nimes, 5 juin 2014)

Dans un arrêt du 5 juin 2014 (C. d’appel de Nîmes, 5 juin 2014, n°13/05737), la Cour d’appel de Nîmes infirme en grande partie l’ordonnance rendue par le Tribunal de commerce d’Avignon du 5 novembre 2013 en ce qu’elle déclare recevable la demande d’expertise mais refuse de condamner l’installateur photovoltaïque à verser au demandeur une provision de 30 000 euros. En l’espèce, une société avait contracté auprès d’une autre société la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque pour un montant de 255 000 euros. Il est utile de relever que les panneaux installés étaient de marque SCHEUTEN SOLAR. Il ressort de l’arrêt que très rapidement l’installation a été arrêtée au regard des risques incendie que présentaient les panneaux SCHEUTEN. La particularité du litige soumis à la juridiction tenait au fait que la société SCHEUTEN SOLAR, fabricante des panneaux solaires, était en cessation d’activité. Afin d’obtenir une indemnisation pour le préjudice subi, la société victime de l’installation défectueuse a saisi le tribunal de commerce d’AVIGNON d’une demande d’expertise au titre de l’article 145 du code de procédure civile et de provision au titre de l’article 873 du même code. Rappelons en effet que l’article 145 du Code de procédure civile prévoit que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Dans le cadre d’une action en référé et dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut en outre accorder une provision au créancier au titre de l’article 873, alinéa 2 du Code de procédure civile. Cette procédure est applicable quelle que soit la nature de la créance, délictuelle, contractuelle ou quasi-contractuelle. Avant d’accorder une provision, le juge doit seulement s’assurer que l’obligation n’est pas sérieusement contestable, à l’exclusion de toute autre condition. Il est désormais constant que l’urgence n’est pas requise (Cass. 1re civ., 4 nov. 1976 : Bull. civ. 1976, I, n° 330 ; RTD civ. 1977, 361, obs. Normand. – Cass. com., 7 mars 1995 : Bull. civ. 1995, IV, n° 67). Il est acquis que la provision, qui n’est pas une avance, peut donc être accordée pour la totalité de la somme demandée s’il apparaît qu’aucune contestation ne peut être opposée. La pratique parle de « référé 100 % », qui tend alors, malgré son caractère provisoire, à désintéresser le créancier et à devenir définitif. En l’espèce, la Cour d’appel de NIMES confirme l’ordonnance de référé rendu par le tribunal de commerce d’AVIGNON et juge : « Attendu au fond qu’il convient de rappeler que le présent litige intervient en une procédure de référé ; que l’expertise judiciaire ayant été ordonnée en première instance est en cours, que plusieurs parties en parlent mais aucune ne remet à la cour notamment le compte rendu de la première réunion d’expertise ;  Attendu qu’il convient de se reporter aux pièces aux débats pour comprendre que l’installation concerne des panneaux photovoltaïques fait l’objet d’un contrat principal S.A.R.L X / S.A.R.L Y ; que plus précisément et sommairement il faut rappeler et souligner que certains composants sont défectueux et pourraient générer un incendie ;  Attendu qu’aucune partie présente en appel ne conteste le principe même d’une expertise et la mission confiée à l’expert judiciaire ;  Attendu que sur sa demande de provision contre la S.A.R.L X, la S.A.R.L Y doit justifier au sens de l’article 873 du code de procédure civile de ‘l’existence d’une obligation ‘, qui ne serait ‘ pas sérieusement contestable’ ; que s’agissant d’une action ayant pour fondement une responsabilité elle doit préciser la nature contractuelle ou délictuelle de l’obligation, un dommage et un lien de causalité ». Cet arrêt de la Cour d’appel de NIMES est pour le moins intéressant puisqu’il rappelle le pouvoir du juge des référés pour allouer une provision en cas d’existence d’une créance certaine et non sérieusement contestable et les conditions dans lesquelles elle peut être demandée. En l’occurrence, la défectuosité des panneaux photovoltaïques était inconstatable et même relayée par les pouvoirs publics (Sénat question écrite n°7228 du sénateur Jean-Marc-Pastor, JO Sénat, 16 janvier 2014). Cependant, le producteur doit préciser la nature de l’obligation pour pouvoir prétendre à une provision. Au demeurant bon nombres de particuliers ou sociétés sont aujourd’hui confrontées à des problèmes tenant à la mise en liquidation (ou redressement judiciaire) des sociétés qui ont procédé à la pose et la fourniture des installations photovoltaïques.   Ces derniers, et l’arrêt commenté le démontre, ne doivent pas oublier qu’un recours contre les assureurs du fabricant ou de l’installateur des panneaux photovoltaïques demeure un moyen efficace pour obtenir réparation dès le stade de la procédure de référé.   Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat

Le juge, les sites pollués et leur propriétaire : la technique des petits pas

La technique des petits pas « est au fond à la jurisprudence ce que l’expérimentation est à la loi » (Guy Canivet, « La politique jurisprudentielle », Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, La création du droit jurisprudentiel, Dalloz, 2007, p. 79 à 97). Prétorien et fruit de l’interprétation des polices administratives, le droit de l’environnement connaît bien cette technique : « Trois pas en avant, trois pas en arrière…» comme dirait la comptine pour enfants sur la fermière qui allait au marché. Le Conseil d’Etat, grand amateur des petits pas, a utilisé ce moyen pour faire évoluer la responsabilité en matière de gestion des déchets comme nous le confirme cette espèce récente : CE du 24 octobre 2014, n°361231. En effet, la réglementation en matière de gestion des déchets désigne le producteur des déchets ou leur détenteur mais non le propriétaire des terrains sur lesquels des déchets sont entreposés. A titre d’exemple, l’article L. 541-2 du code de l’environnement relatif à la responsabilité en matière de gestion des déchets dispose :  « Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. » Il ne ressort nullement de cet article que le propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés les déchets pourrait voir sa responsabilité recherchée sur son fondement. Pourtant, la jurisprudence a étendu les dispositions de cet article au propriétaire d’un terrain sur lequel sont entreposés des déchets. Le propriétaire a alors été assimilé au détenteur des déchets. Cela a permis d’allonger la liste des responsables potentiels lors d’une défaillance dans la gestion des déchets et de s’assurer ainsi de la prise en charge financière de leur élimination. A cet égard, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel  « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ; » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 26 juillet 2011, n° 328651, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Neil Armstrong aurait sans doute affirmé que « C’était un petit pas pour l’Homme mais un grand pas pour la gestion des déchets ». L’utilisation de l’adverbe « notamment » sous-entendait clairement que la négligence à l’égard d’abandons sur son terrain était une des hypothèses permettant de regarder le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets comme leur détenteur mais que d’autres hypothèses pourraient ultérieurement être identifiées. Le Conseil d’Etat a mis plusieurs années avant d’identifier de telles hypothèses et, après ce premier pas de géant, a préféré y aller à pas de fourmi. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a attendu que la Cour de cassation se prononce. Celle-ci a adopté une solution de principe presque identique à la sienne mais a fait un petit pas supplémentaire en identifiant une nouvelle hypothèse de responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés des déchets : la complaisance. (Peut-être que ce petit pas devrait plutôt s’analyser en un refus de la Cour de cassation de s’aligner mot pour mot sur la jurisprudence du Conseil d’Etat… Je vous laisse le soin de faire votre propre analyse sur cette question. Pour ma part, je préfère considérer qu’il s’agit d’un petit pas). La Cour de cassation a ainsi estimé : « qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairés par les dispositions de la directive CEE n° 75-442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 juillet 2012, n° 11-10.478, Publié au bulletin) Dans un deuxième temps, après ce petit pas en avant de la Cour de cassation, le Conseil d’Etat a fait un petit pas en arrière pour restreindre la responsabilité du propriétaire ayant fait preuve de négligence à l’égard d’abandons de déchets sur son terrain. Aux termes de deux décisions du 1er mars 2013, il a affirmé que cette responsabilité du propriétaire du terrain était subsidiaire par rapport à la responsabilité encourue par le producteur ou les autres détenteurs des déchets. Aussi, la responsabilité du propriétaire du déchet ne pouvait être recherchée que s’il apparaissait que tout autre détenteur des déchets était inconnu ou avait disparu. Il a ainsi considéré que : « si, en l’absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 354188, mentionné dans les tables du recueil Lebon ; voir également en ce sens : Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 348912). Cette solution a été confirmée quelques mois plus tard par une autre décision du Conseil d’Etat (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 25 septembre 2013, n° 358923). Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat a fait un…

Urbanisme / construction d’une maison dont le chantier est abandonné : attention à la péremption du permis en application de l’article L480-4 du code de l’urbanisme !

Par une réponse ministérielle en date du 16 septembre 2014 (réponse ministérielle, 16 septembre 2014 suite à la Question écrite n°62840 de la Députée Marie-Jo ZIMMERMANN), le ministre de l’écologie rappelle que le permis de construire est périmé si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année, de sorte que les travaux déjà exécutés avant l’abandon du chantier peuvent être constitutifs d’une infraction pénale devant être constatés par l’établissement d’un procès-verbal dans les conditions prévues par l’article L480-1 du code de l’urbanisme. Rappelons que la réponse du ministre de l’écologie repose sur l’interprétation qui doit être faite de l’article R424-17 du code de l’urbanisme, lequel prévoit que : Le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de 2 ans à compter de la notification visée à l’article R421-34 du code de l’urbanisme ou de la délivrance tacite du permis de construire ; Le permis est également périmé si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année. La jurisprudence rendue en la matière rappelle que les deux causes de caducité ne sont absolument pas liées. Le Conseil d’État considère ainsi que l’interruption des travaux pendant une durée de plus d’un an rend caduc le permis de construire alors même que le délai de 2 ans n’est pas expiré (CE, 8 nov. 2000, n° 197505). Attention donc au début de travaux avant l’expiration du délai de deux ans qui seraient ensuite interrompus pendant plus d’une année. Les nombreux jugements et arrêts permettent de se rendre compte que les juges apprécient souverainement la notion de “commencement de travaux” ou celle “d’interruption des travaux” au sens des dispositions du code de l’urbanisme : Un permis de construire est ainsi considéré comme périmé dès lors que les travaux ont commencé mais ont été interrompus depuis plus de deux ans dans la mesure où un permis a été accordé pour 500 maisons individuelles mais qu’en 4 ans il n’a été construit qu’un pavillon (CE, 2 déc. 1987, n° 56789) ou encore lorsque seuls des travaux de terrassement et quelques travaux de débroussaillement et de défrichement ont été effectués quelques jours seulement avant le délai de validité du permis (CE, 21 juin 2002, n° 211864). Un permis de construire dont le chantier est interrompu depuis plus d’un an est ainsi considéré comme périmé dès lors que l’on constate l’arrêt du chantier pendant plus d’un an après l’arasement de l’ancien bâtiment (CE, 8 nov. 2000, n° 19750). La réponse ministérielle du 16 septembre 2014 est aussi l’occasion de rappeler la procédure de constatations des infractions prévue par le code de l’urbanisme. On rappellera brièvement que :  Les infractions aux dispositions concernant le permis de construire sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l’État et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de l’Urbanisme, suivant l’autorité dont ils relèvent, et assermentés (C. urb., art. L. 480-1, al. 1er et R. 480-3) ; Lorsque l’autorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire ou le président de l’EPCI compétent ont connaissance d’une infraction de la nature de celles que prévoit l’article L. 480-4, ils sont tenus d’en faire dresser procès-verbal (C. urb., art. L. 480-1, al. 3) ; Sur sa forme, le procès-verbal doit contenir la date, le lieu et la nature de l’infraction, la référence aux textes de loi concernés. Plans et photos peuvent être annexés au PV. Les procès-verbaux dressés par les agents autorisés font foi jusqu’à preuve contraire (C. urb., art. L. 480-1, al. 1er). Copie du procès-verbal constatant une infraction est transmise sans délai au ministère public (C. urb., art. L. 480-1, al. 4). Une vigilance particulière doit donc être portée par les maîtres d’ouvrages sur les risques de péremption de permis de construire et notons enfin qu’aucun délai n’est imparti au maître d’ouvrage pour achever les travaux. Par ailleurs, rappelons qu’il est envisageable d’échelonner les travaux dans le temps à la double condition : – Que l’interruption soit inférieure à un an ; – Que les travaux exécutés d’une année sur l’autre soient suffisamment importants pour ne pas être considérés par la juridiction administrative comme un simulacre destiné à éviter la péremption.     Aurélien BOUDEWEEL Avocat

Garantie décennale: un système de climatisation par pompe à chaleur constitue un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil et la garantie peut s’appliquer (Cass, 24 sept.2014)

Dans un arrêt en date du 24 septembre 2014, la Cour de cassation (C.cass, civ, 3ème, 24 septembre 2014 n°13-19615) est venue préciser qu’un système de climatisation par pompe à chaleur constitue un ouvrage au sens des articles 1792 et suivants du Code civil de sorte que la garantie décennale doit pouvoir s’appliquer. Rappelons que la responsabilité décennale est prévue par l’article 1792 du Code civil qui dispose : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ». L’article 1792-2 du Code civil ajoute que : « La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un bâtiment mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert ». Il résulte de ces dispositions que les dommages allégués doivent présenter un caractère de gravité suffisant pour que la garantie décennale puisse être mise en jeu. Une jurisprudence abondante rappelle que les juges du fond doivent prendre soin d’observer ce caractère de la gravité des dommages (C.Cass. 3e civ., 8 oct. 1977, n° 95-20.903 : JurisData n° 1997-003989 et Cass. 3e civ., 19 nov. 1997, n° 95-15.811) pour éviter la censure de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 20 mai 1998, préc. – Cass. 3e civ., 27 mai 1999, n° 97-17.520 : RD imm. 1999, p. 406, obs. Ph. Malinvaud).  Il convient de distinguer deux types de dommages au titre de la garantie décennale : Les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage (C.civ, art. 1792, al. 1er). La jurisprudence fournit de nombreux exemples à cet égard (C.Cass. 3e civ, 12 mars 1986, n° 84-14.486 : défaut d’étanchéité provoquant des infiltrations à l’intérieur des appartements ; C. Cass. 3e civ., 4 févr. 1986 : une fissure large et traversante ; C.Cass. 3e ci., 14 nov. 1984 : glissement de terrain déstabilisant l’assise d’une construction). Les dommages rendant l’immeuble impropre à sa destination : la référence à la notion de destination de l’immeuble permet alors la mise en œuvre de la garantie décennale. De fait, de nombreux dommages qui n’affectent pas la solidité de l’immeuble peuvent néanmoins être pris en compte au titre de la garantie décennale. Ces désordres peuvent résulter de la défaillance  soit des éléments de construction de l’immeuble (isolation par exemple) soit des éléments d’équipement. En l’espèce, il s’agissait de cette deuxième catégorie de dommages dont était saisie la Cour de cassation. Une société entendait faire jouer la garantie décennale eu égard aux désordres sur une climatisation par pompe à chaleur installée dans son immeuble. La Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel qui n’avait pas accueilli la demande de garantie et rappelle: « … que pour débouter la société Maison Malleval de ses demandes formées sur l’article 1792 du code civil, l’arrêt retient que s’agissant d’un ouvrage conçu au sein d’un bâtiment de commerce et bureaux afin de rafraîchir l’air ambiant, il doit être considéré en raison de son importance et de son emprise sur le sous-sol comme constituant un élément d’équipement, que, compte tenu du fait qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage autonome mais d’un simple élément d’équipement, l’impropriété à destination ne se conçoit pas au niveau de l’élément d’équipement lui-même mais bien à celui de l’ouvrage desservi dans son ensemble et que la société Maison Malleval ne dit pas en quoi un certain rafraîchissement de l’air ambiant était nécessaire au bon fonctionnement de sa surface de vente en rez-de-chaussée et de ses bureaux ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’installation d’un système de climatisation par pompe à chaleur immergée au fond d’un puits en contact avec la nappe phréatique sur un ouvrage existant constitue un ouvrage dont l’impropriété à destination s’apprécie indépendamment de l’immeuble pris dans son ensemble, la cour d’appel a violé les textes susvisés». Cet arrêt de la Cour de cassation confirme que l’enjeu de la qualification d’’ouvrage’ est fondamental.  En cas de désordres, il permet à la victime d’obtenir la responsabilité du constructeur de l’ouvrage dès constat du désordre. En revanche, en l’absence de désordres affectant un ouvrage au sens juridique du terme, la victime de désordres devra rechercher et démontrer une faute, un préjudice, le lien de causalité entre les deux : soit une démonstration classique du droit de la responsabilité contractuelle, parfois difficile à démontrer en matière immobilière. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat