Conclusions indemnitaires pour recours abusif : deux ans de pratique …

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a contribué à réformer le contentieux de l’urbanisme. Elle a notamment créé un article L. 600-7 dans le code de l’urbanisme aux termes duquel : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. Lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement est l’auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. » En vertu de cet article, il est donc possible pour le bénéficiaire d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, faisant l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de présenter des conclusions indemnitaires par un mémoire distinct en cas de recours abusif. L’article précise que cette demande peut être présentée pour la première fois en appel. Deux ans après la création de cet article, il est intéressant d’examiner comment ces dispositions ont été accueillies par les juridictions en examinant la jurisprudence rendue sur son fondement. Une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de cet article a été déposée mais elle a été rapidement écartée (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA02236). Cet article a donc institué une nouvelle règle de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme. Aux termes d’un avis rendu le 18 juin 2014, le Conseil d’Etat a, en l’absence de disposition expresse contraire, considéré que cet article était d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Conformément à la lettre de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, il a ajouté que ces dispositions pouvaient être invoquées pour la première fois en appel (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 18 juin 2014, n°376113, Publié au recueil Lebon ; en ce sens également voir CAA Nantes, 14 novembre 2014, n°13NT00180 ; CAA Versailles, 5 mars 2015, n°13VE03236 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE02888). Notons que les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme ont des conditions d’application très strictes. En premier lieu, cet article ne concerne que les recours pour excès de pouvoir visant des permis de construire, de démolir ou d’aménager. Ainsi, les recours fondées sur une mauvaise exécution ou une inexécution d’un permis de construire ne sont pas au nombre de ceux visés par ces dispositions qui doivent s’entendre restrictivement compte tenu de leur portée (CAA Marseille, 25 juillet 2014, n°12MA03175). De même, les conclusions pour « résistance abusive » sont irrecevables (CAA Marseille, 2 juillet 2015, n°14MA01665). En deuxième lieu, le juge administratif vérifie que les conclusions indemnitaires sont bien présentées dans un mémoire distinct, à peine d’irrecevabilité (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°12MA00380 ou encore CAA Marseille, 6 juin 2014, n°12MA03608). En troisième lieu, le juge administratif s’assure que le droit au recours soit exercé dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant. Cette condition est celle qui est la plus strictement appréciée par le juge (CAA Marseille, 24 mars 2014, n°12MA01160 ; CAA Nancy, 6 novembre 2014 n°14NC00611 ; CAA Nantes, 14 novembre 2014, n°13NT00180 ; CAA Nantes, 30 décembre 2014, n°13NT01278 ; CAA Marseille, 9 février 2015, n°13MA00160 ; CAA Versailles, 5 mars 2015, n°13VE03236 ; CAA Bordeaux, 5 mars 2015, n°13BX01443 ; CAA Nantes, 17 avril 2015, n°14NT00537, CAA Nancy, 30 avril 2015, n°14NC01651 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE02888 ; CAA Marseille, 21 mai 2015, n°13MA02240 ; CAA Marseille, 27 juillet 2015, n°13MA00683). Ainsi, « la seule circonstance que l’association, regroupant près d’une cinquantaine de personnes physiques, ait déposé ses statuts en préfecture postérieurement à l’affichage en mairie de la demande du permis de construire ne peut suffire à faire regarder son action comme excédant la défense de ses intérêts légitimes » (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA03143) De même, l’exercice du droit d’appel ne peut justifier l’allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme (CAA Bordeaux, 16 décembre 2014, n°13BX02549). En quatrième lieu, les juridictions exigent qu’il soit démontré que la personne qui dépose une requête indemnitaire justifie « du caractère excessif de ce préjudice au regard de celui qu’aurait pu causer un recours exercé dans des conditions n’excédant pas la défense des intérêts légitimes d’un quelconque requérant » (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA02161 ; Voir également sur la nécessité de démontrer un préjudice excessif : CAA Marseille 24 mars 2014, n°12MA01160 ; CAA Nancy, 6 novembre 2014, n°14NC00611 ; CAA Bordeaux 5 mars 2015, n°13BX01443 ; CAA Nancy, 30 avril 2015, n°14NC01651 ou encore CAA Marseille, 23 juillet 2015, n°13MA00683). Il est intéressant de remarquer qu’hormis dans son avis sur l’application dans le temps de cet article, le Conseil d’Etat ne s’était pas encore prononcé sur ses conditions d’application. C’est désormais chose faite dans une décision du 3 juillet 2015 où le Conseil d’Etat a estimé qu’il « résulte des termes mêmes de cet article que des conclusions formées par une partie tendant à ce que le juge de l’excès de pouvoir condamne une autre partie à lui verser des dommages et intérêts, lorsque les conditions exigées par ces dispositions législatives sont réunies, peuvent être présentées au juge administratif saisi du recours contre un permis de construire, y compris pour la première fois en appel, mais non devant le juge de cassation » (Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 3 juillet 2015, n°371433, Mentionné dans les tables du recueil Lebon). Cette lecture de…

Xynthia : les « zones de solidarité » non susceptibles de recours

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) A la suite de la tempête Xynthia, une circulaire du 7 avril 2010 du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer (consultable ici) a défini plusieurs mesures afin de faire face au risque de submersion marine dans les zones qui ont été sinistrées. En particulier, cette circulaire a établi des critères pour identifier les zones « d’extrême danger » où une délocalisation des constructions devait être envisagée dès lors qu’elle présentant « un risque d’extrême danger pour la vie humaine sans possibilité de réduire la vulnérabilité des bâtiments ». Cette circulaire prévoyait ainsi les critères provisoires suivants afin d’identifier les bâtiments concernés : « – plus d’un mètre de submersion lors de la tempête Xynthia ; – habitation construite à moins de 100 m derrière une digue ; – lorsque la cinétique de submersion lors de la tempête Xynthia a présenté un danger pour les Personnes ». Il était ajouté que, « Pour chacune de ces zones, il sera précisé le nombre approximatif d’habitations concernées ». En application de cette circulaire, le préfet de la Charente-Maritime a donc déterminé les zones d’extrême danger, renommées ensuite « zones de solidarité ». Le communiqué de presse et le document cartographique relatif à la délimitation de ces zones sur le territoire de la commune d’Aytré furent l’objet d’un recours en excès de pouvoir. Par un jugement n° 1001031-1002711 du 7 juillet 2011, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête en excès de pouvoir. Un appel fut alors formé devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, qui, par un arrêt n°11BX02620 du 17 janvier 2013 a rejeté comme irrecevable le recours en excès de pouvoir (consultable ici). La Cour a jugé que les documents visés par le recours en excès de pouvoir ne constituaient pas des déclarations d’utilité publique au sens de l’article L. 561-1 du code de l’environnement et n’emportaient par eux-mêmes aucune atteinte au droit de propriété. Bien que les « zones de solidarité » aient été prises en compte pour limiter le champ des subventions exceptionnelles attribuées au titre de la réhabilitation des résidences principales sinistrées durant la tempête, les documents de zonage ont été reconnus par la Cour dépourvus d’effets juridiques. La requête a donc été considérée irrecevable. Un pourvoi en cassation fut alors formé devant le Conseil d’Etat. La Haute Juridiction s’est prononcée par une décision du 1er juin 2015 (consultable ici). Le Conseil d’Etat estime que « par les documents de zonage en litige, le préfet de la Charente-Maritime s’est borné à mettre en œuvre les critères énoncés par le ministre de l’intérieur et le ministre de l’écologie pour délimiter les zones au sein desquelles la localisation de biens sinistrés pourrait ouvrir droit au bénéfice d’un dispositif exceptionnel de solidarité nationale mis en place à la suite de la tempête Xynthia, sans pour autant faire obstacle à ce que des personnes situées hors de ces délimitations puissent demander à en bénéficier ». Selon son analyse, cette mise en œuvre des critères posés par la circulaire au sein de documents de zonage ne constitue qu’un dispositif d’information afin que les personnes situées dans ces zones soient informées qu’elles étaient susceptibles de voir leur habitation acquise amiablement par l’Etat : « ce dispositif a consisté à informer les personnes incluses dans ces zones qu’elles étaient susceptibles de bénéficier d’une acquisition amiable de leurs propriétés par l’Etat prévu par l’article L. 561-3 du code de l’environnement, à un prix se référant à la valeur de leur patrimoine avant la tempête ». Ce dispositif d’information ne doit donc, selon le Conseil d’Etat, en aucun cas être assimilé à une étape du processus d’expropriation dès lors que « ce n’est qu’en cas de refus, par les propriétaires intéressés, de bénéficier d’une telle acquisition amiable et après une expertise complémentaire de chaque habitation et terrain que devait être mise en œuvre, le cas échéant, une procédure d’expropriation sur le fondement des dispositions de l’article L. 561-1 du code de l’environnement ». Il en déduit alors « qu’au stade de l’élaboration des politiques publiques auquel ils interviennent et en raison de leur contenu, les documents de zonage en litige n’emportent par eux-mêmes aucun effet juridique ». Il confirme ainsi l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux. D’un point de vue strictement juridique, il est exact que ces documents s’inscrivent en dehors de la procédure d’expropriation et qu’ils n’entraînent aucune interdiction de vivre dans les habitations. Il est exact aussi qu’il s’agit de documents qui n’empêchent nullement les personnes situées en dehors de ces délimitations de bénéficier également du dispositif d’acquisition amiable de leur habitation. Quant aux personnes situées dans le périmètre susvisé, il leur sera loisible de faire valoir leurs droits dans le cadre de la procédure d’expropriation. Les différentes juridictions administratives ne pouvaient donc statuer autrement. D’un point de vue psychologique, ces documents produisent des effets pour les propriétaires des bâtiments concernés. Ne soyons pas dupes, ils serviront très certainement de documents de base pour justifier ou refuser une acquisition amiable selon que la personne est située dans la zone de solidarité ou au-delà de ladite zone. De même, ils pourront aussi être utilisés comme document préparatoire dans le cadre de l’éventuelle procédure d’expropriation qui sera mise en œuvre. Leur dénuer tout effet hormis un simple effet d’information peut donc, pour les personnes concernées, paraître peu compréhensible par celui qui sera exproprié et informé … La légalité commandait donc de statuer ainsi, quand bien même l’opportunité aurait pu en décider autrement. Notons enfin que la tempête Xynthia va sans doute continuer de faire parler d’elle. Au-delà de la procédure d’expropriation qui pourrait être mise en œuvre, notons également que le 7 juillet dernier, un rapport émanant de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a tiré un bilan des enseignements de Xynthia en formulant dix recommandations (rapport consultable ici). Ainsi que le relève le communiqué de presse du Sénat, le constat est en « demi-teinte » car bien…

Valorisation des énergies de récupération / Obligation d’achat: le Conseil d’Etat se prononce aux termes d’une affaire en deux actes (CE, 20 mai 2015)

Par Marie-Coline GIORNO Green law Avocat Le 20 mai 2015, le Conseil d’Etat a rendu deux décisions très intéressantes, qui seront mentionnées au recueil Lebon, concernant l’application du régime de l’obligation d’achat aux installations de valorisation des énergies de récupération et aux installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale. ACTE I : Le Premier Ministre est enjoint de prendre un décret relatif aux installations de valorisation des énergies de récupération (CE, 20 mai 2015, n°380727, mentionné aux tables du recueil Lebon Par un courrier du 30 janvier 2014, la société P…SAS avait demandé au Premier ministre de prendre un décret, complétant le décret du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité, afin de mettre en œuvre les dispositions du 6° de l’article L. 314-1 du code de l’énergie (soit les installations qui valorisent des énergies de récupération dans les limites et conditions définies au même article, notamment au 2°). Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande. La société P…SAS a donc saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir afin de demander l’annulation de cette décision.  Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat commence par rappeler les conditions d’exercice du pouvoir réglementaire par le Premier ministre tel que défini par l’article 21 de la Constitution.  Ainsi, le Conseil d’Etat constate que «  le Premier ministre ” assure l’exécution des lois ” et ” exerce le pouvoir réglementaire ” sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l’article 13 de la Constitution. » Il ajoute que « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle ». Il cite ensuite l’article L. 314-1 du code de l’énergie relatif aux contrats d’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations  qui codifie les dispositions de l’article 20 de la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie : « Sous réserve de la nécessité de préserver le fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, si les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution dans leur zone de desserte, les entreprises locales de distribution chargées de la fourniture sont tenues de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l’achat de l’électricité produite sur le territoire national par :/ (…) 6° Les installations qui valorisent des énergies de récupération dans les limites et conditions définies au présent article, notamment au 2° ». Il considère à cet égard que le 2° de ce même article, qui vise notamment les installations qui utilisent des énergies renouvelables, précise qu’un décret en Conseil d’Etat détermine les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l’obligation d’achat et que ces limites, qui ne peuvent excéder 12 mégawatts, sont fixées pour chaque catégorie d’installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat sur un site de production. En l’espèce, il considère que « l’application de ces dispositions était manifestement impossible en l’absence du décret précisant les différentes catégories d’installations valorisant des énergies de récupération susceptibles de bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité et fixant, sans excéder le plafond légal de 12 mégawatts, les limites de puissance installée de ces installations ». Il en déduit alors « que le gouvernement était ainsi tenu de prendre le décret dont la société requérante demandait l’édiction ». Certes, un décret du 28 mars 2014, qui modifie le décret du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité est intervenu pour préciser les dispositions de cet article. Toutefois, le Conseil d’Etat écarte cette circonstance au motif que ce décret « concerne les seules installations utilisant l’énergie dégagée par la combustion ou l’explosion du gaz de mine ; qu’en prenant un tel décret, qui ne vise, sans justification particulière, que ces installations, le Premier ministre ne saurait être regardé comme ayant satisfait à l’obligation qui lui incombait ». Au regard du délai de plus de sept ans entre la publication de la loi et le rejet implicite, sans que ce délai ne soit justifié par aucun motif particulier, le Conseil d’Etat conclut que le rejet implicite de la demande du requérant est intervenue « après l’expiration du délai raisonnable ». Il annule donc la décision litigieuse et enjoint au Premier ministre de prendre le décret requis pour les énergies de récupération dans un délai d’un an. Cette décision, qui traduit les difficultés pour le Premier ministre à mettre en œuvre le dispositif de l’obligation d’achat pour tous les types d’énergie, souligne également que l’exercice du pouvoir réglementaire est, certes, un droit mais surtout un devoir et que ce devoir doit s’exercer dans un délai raisonnable. Il sera intéressant d’examiner quelles suites le Premier ministre donnera à cette injonction compte tenu du fait que la décision du Conseil d’Etat intervient dans un contexte où le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables fait actuellement l’objet d’une réforme importante. ACTE II : Le Conseil d’Etat maintient l’arrêté du 27 janvier 2011 fixant les conditions d’achat d’électricité produite par les installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale (CE, 20 mai 2015, n380726, mentionné aux tables du recueil Lebon) La société P…avait également saisi le Conseil d’Etat d’une requête en excès de pouvoir tendant à obtenir, d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation partielle du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant, par catégories d’installations, les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité et, d’autre part, l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’écologie sur sa demande tendant à…

Office du juge des référés et régularisation d’une autorisation d’urbanisme

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Aux termes de la décision présentement commentée, le Conseil d’Etat est venu préciser l’office du juge des référés dans une hypothèse particulière, celle d’un déféré préfectoral contre une autorisation d’urbanisme entachée d’un vice susceptible d’être régularisé (CE, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 22 mai 2015, n°385183). Les faits soumis au Conseil d’Etat étaient les suivants. Un préfet a exercé un déféré préfectoral contre un arrêté de permis de construire délivré par le maire d’une commune et a assorti son recours d’une demande de suspension en référé, comme l’y autorise l’article L. 554-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 1400730 du 24 septembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a fait droit à sa demande. Le bénéficiaire du permis de construire suspendu a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Il invoquait trois moyens de cassation mais le Conseil d’Etat les a écartés un par un avant de rejeter son pourvoi. 1) Tout d’abord, le requérant invoquait une méconnaissance de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales instaurant un délai de deux mois pour le déféré préfectoral. Toutefois, l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme dispose que ” les permis de construire délivrés par le maire (…) sont exécutoires de plein droit dès lors qu’il a été procédé à leur notification et à leur transmission au représentant de l’Etat (…) / Les actes transmis sont accompagnés des dossiers et des pièces d’instruction ayant servi à leur délivrance / (…) ” . Ainsi, lorsque la transmission de l’acte au Préfet est incomplète, il appartient à ce dernier de demander à l’autorité communale, dans le délai de deux mois de la réception de l’acte transmis, les éléments manquants. Le Conseil d’Etat déduit de la combinaison des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales et de l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme que lorsque le Préfet a demandé à l’autorité communale de compléter sa transmission, ; « le délai de deux mois prévu pour le déféré préfectoral devant le tribunal administratif par l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ne court que soit de la réception des documents annexés réclamés, soit de la décision implicite ou explicite par laquelle l’autorité communale refuse de compléter la transmission initiale ». En l’espèce, il considère donc que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ni entaché son ordonnance de dénaturation des pièces du dossier en estimant que la demande de production de ces pièces nécessaires à l’instruction du dossier de permis de construire était de nature à proroger le délai de deux mois dont le préfet disposait pour déférer le permis de construire litigieux au juge administratif. 2) Ensuite, le requérant soutenait que le juge des référés, ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit ou entacher son ordonnance de dénaturation, retenir que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du plan de prévention du risque inondation (PPRI) était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’acte déféré. Le Conseil d’Etat a écarté ce moyen après avoir souligné qu’une partie du projet litigieux était située dans une des zones d’aléa fort du PPRI. L’argumentation du Conseil d’Etat est très succincte et repose sur l’office du juge des référés tel que déterminé par les articles L. 511-1 et L. 521-1 du code de justice administrative. L’article L. 511-1 du code de justice administrative prévoit que le juge des référés n’est pas saisi du principal et ne statue que par des mesures provisoires. Il était donc parfaitement cohérent qu’il soit cité par le Conseil d’Etat. En revanche, la référence à l’article L. 521-1 du code de justice administrative peut surprendre. Bien que cet article concerne les pouvoirs du juge des référés, il permet surtout à ce dernier de suspendre un acte lorsqu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision et lorsque l’urgence le justifie. Il sert de fondement au « référé-suspension classique ». En présence d’une demande de suspension à l’occasion d’un déféré préfectoral, le fondement juridique est différent. Il s’agit de l’article L. 554-1 du code de justice administrative. La condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative n’est, par exemple, pas reprise dans cet article. Par suite, le Conseil d’Etat aurait pu décider de se fonder sur l’article L. 554-1 du code de justice administrative pour déterminer l’office du juge en matière de demande de suspension dans le cadre d’un déféré plutôt que sur l’article L. 521-1 du même code. Tel n’a pas été son choix. Cette position s’explique sans doute par le fait que si l’article L. 554-1 du code de justice administrative autorise le Préfet à formuler une demande de suspension, les pouvoirs du juge relèvent, eu égard à la dénomination des différents chapitres du code de justice administrative, de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. 3) Enfin, le requérant soutenait que le juge des référés pouvait faire usage des pouvoirs conférés à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme lui permettant de surseoir à statuer afin de lui permettre de régulariser une illégalité affectant son permis de construire. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : ” Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations “. Le Conseil d’Etat confirme l’analyse du juge des référés selon laquelle « même dans l’hypothèse où le moyen de nature…

Elevages: le délai de recours réduit à 4 mois va t-il survivre aux discussions parlementaires relatives au projet de loi Macron?

Les délais de recours contre les autorisations ICPE ont régulièrement fait l’objet de tentatives d’allégement, parfois réussies, dans un double souci de préserver bien entendu le droit au recours tout en réduisant l’insécurité juridique de l’exploitant de l’installation. Les discussions parlementaires en cours au sujet de la Loi “CROISSANCE, ACTIVITÉ ET ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES” (dite Loi Macron) vont peut être modifier l’état du droit dans le sens d’un raccourcissement des délais. Rappelons que l’état actuel du droit témoigne déjà l’existence de délais “spéciaux”. La règle pour les tiers demeure aujourd’hui celle d’un délai de droit commun d’une année à compter de la publication ou de l’affichage de la décision (avec un tempérament si la mise en service de l’installation n’est pas intervenue six mois après la publication ou l’affichage de ces décisions, le délai de recours continuant alors à courir jusqu’à l’expiration d’une période de six mois après cette mise en service). Ce délai a très longtemps été de 4 ans, sans prorogation. Plusieurs exceptions ont existé et existent encore : pour les élevages : le délai de recours des tiers était raccourci déjà à une année, pour s’aligner aujourd’hui sur le délai de droit commun, avec une prorogation de 6 mois le cas échéant (article L515-27 du code de l’environnement); pour les éoliennes: le délai de recours des tiers est de six mois à compter de la publication ou de l’affichage des décisions, sans prorogation (article L 553-4 du code de l’environnement).   A l’occasion de la Loi Macron actuellement en débat au Parlement, un amendement n°SPE534 relatif à l’article 26bis du projet de loi a été adopté en Commission. Il vise à porter le délai de recours contre les décisions administratives relatives aux élevages d’une année à 4 mois (le Sénat l’ayant auparavant réduit à 2 mois). L’exposé de l’amendement indique: “La réduction du délai de recours contre les arrêtés d’autorisation d’exploitation d’installations d’élevage classées pour la protection de l’environnement, aujourd’hui fixé à un an, est nécessaire. La durée de deux mois semble toutefois trop courte et il est donc proposé de fixer une durée de quatre mois, conformément aux recommandations des groupes de travail sur la simplification du droit de l’environnement, auxquels ont participé les représentants du monde agricole. Cela laissera le temps aux recours de s’exprimer, sans pour autant exposer les exploitants à une trop forte insécurité juridique, puisque le délai de recours actuel est divisé par trois“. On remarquera également qu’à ce stade, le délai de recours raccourci de deux mois pour toutes les installations classées (en supprimant au passage le délai spécial pour les éoliennes) n’a pas passé le filtre de la Commission Mixte Paritaire. Il peut paraître regrettable que les délais soient sujets à de telles variables d’ajustement, moins guidées par des logiques juridiques que par des pressions politiques. Ces dernières peuvent se comprendre, surtout dans un contexte dans lequel les élevages ont besoin de visibilité, de davantage de latitude et d’allégement, si possible selon les circonstances locales, des prescriptions. Mais en ce cas, la cohérence voudrait un raccourcissement général des recours pour l’ensemble des installations classées, élevages et éoliennes comprises car l’ancienne justification des délais “longs” (laisser le temps au voisinage d’apprécier les inconvénients de l’installation) ne peut guère, à notre sens, apparaître comme fondée. Affaire à suivre…