Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant (Green Law Avocats)
Le mécanisme de l’autorisation provisoire, dans l’attente de l’instruction d’une demande d’autorisation ICPE après annulation contentieuse du titre initial d’exploitation illégal, a été imaginé par le Conseil d’Etat dès les années 1980. En présence d’une installation démunie d’autorisation, le préfet peut imposer des prescriptions pour la sauvegarde des intérêts protégés par la loi. Cette solution résulte d’un avis de la section des travaux publics (CE, avis, 4 janv. 1983. – C. envir. : Dalloz, 2002, p. 526).
Le Conseil d’État va ensuite aller plus loin : il déduit de la « possibilité » pour le préfet de suspendre l’activité de l’installation (en même temps qu’il la met en demeure de régulariser sa situation), l’alternative consistant à autoriser provisoirement le fonctionnement jusqu’à régularisation. Cette autorisation provisoire doit être octroyée eu égard aux conséquences économiques et sociales de l’interruption d’activité, le Conseil d’État y décelant un motif d’intérêt général (CE, 15 oct. 1990, Province de la Hollande septentrionale : Lebon, p. 277 ; CE, 20 juin 1997, n° 172761, Assoc. de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions).
Le juge administratif vise sans doute avec cette formule le maintien des emplois, au-delà de la liberté du commerce et de l’industrie. La jurisprudence administrative censure (TA Pau, 4 juill. 1996, n° 95/1584, 95/1585, 96/435 et 96/436, Sté EMGA-Sté des Éts Vve Proères-Sepanso Landes) ou renonce (dans le cas d’un POS incompatible avec l’implantation de l’ICPE, TA Nancy, 29 sept. 1992, n° 921026, 921027, 921054 et 921057, Assoc. de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions et a.) aux autorisations provisoires, eu égard à la dangerosité irrémédiable de l’installation.
Dans le même sens, l’impossibilité de respecter des prescriptions nationales justifie l’annulation de l’autorisation provisoire (CAA Bordeaux, 21 déc. 2000, n° 96BX01853, Sté des Éts Vve Proeres et fils c/ Sté Exploitation mécanique des graviers de l’Adour [EMGA]). Mais il semble que face à une exploitation irrégulière, portant atteinte aux intérêts protégés par la loi du 19 juillet 1976, le juge administratif s’assure, avant de refuser l’autorisation provisoire, de l’absence de toute considération d’intérêt général d’ordre économique et social (TA Toulouse, 20 avr. 2000, n° 99/3955 et 99/3956, J. Doucède c/ préfet Haute-Garonne : Dr. env. avr. 2001, p. 63, note F. Deliessche. – CAA Bordeaux, 21 déc. 2000, préc.).
Désormais ce régime jurisprudentiel est conforté par l’alinéa 2 de l’article L. 171-7 du Code de l’environnement : « Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l’utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d’autorisation, d’enregistrement, d’agrément, d’homologation ou de certification, à moins que des motifs d’intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s’y opposent ».
Dans le droit fil de ce régime jurisprudentiel de la régularisation, le Tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 12 janvier 2023 (n°2201802, 2202043, téléchargeable ci-dessous), le tribunal administratif de Strasbourg annule l’autorisation préfectorale de poursuivre, à titre conservatoire, les travaux entrepris en vue du stockage, pour une durée illimitée, des déchets dangereux situés dans les anciennes mines de potasse à Wittelsheim.
C’est un énième épisode du feuilleton de l’affaire Stocamine. Après que la société Stocamine a été autorisée, en 1997, à exploiter dans les anciennes mines de potasse un stockage souterrain réversible de déchets dangereux à Wittelsheim, environ 44 000 tonnes de déchets y ont été stockées entre 1999 et 2002. Un incendie survenu en 2002 dans le bloc 15 de cette structure a mis un terme à la réception de nouveaux déchets. Depuis lors, les déchets déjà stockés sont, pour l’essentiel, restés dans ce site.
En 2015, la société Les mines de potasse d’Alsace (MDPA), qui a succédé à la société Stocamine, a demandé l’autorisation de fermer le site de stockage et de confiner les déchets restants. Par un arrêté du 23 mars 2017, le préfet du Haut-Rhin lui a accordé cette autorisation de prolonger, pour une durée illimitée, le stockage des déchets dangereux, non radioactifs, dans les blocs dans lesquels ils avaient été placés.
Mais, cet arrêté a été annulé. A la suite de cette annulation, le préfet du Haut-Rhin a fait usage de ses pouvoirs de police environnementale et a mis la société MDPA en demeure de déposer un nouveau dossier de demande d’autorisation en vue du stockage des déchets pour une durée illimitée, afin de régulariser la situation du site.
Dans l’attente, le préfet a autorisé, à titre conservatoire, d’une part, les activités nécessaires à la maintenance et à la sécurité des installations et, d’autre part, la poursuite de certains travaux nécessaires au confinement des déchets, dont la construction de six barrières de confinement et le remblayage du bloc 15.
Mais, la Collectivité européenne d’Alsace et deux associations de défense de l’environnement avaient alors demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler ces dernières mesures et avaient obtenu du juge des référés la suspension de leur exécution. Dans son jugement au fond du 12 janvier 2023 le tribunal administratif de Strasbourg estime que :
- d’une part, le préfet ne pouvait pas, à titre conservatoire, autoriser des travaux de confinement des déchets pour une durée illimitée, notamment par l’achèvement de barrières de confinement et le remblayage du bloc 15 ;
- d’autre part, le préfet ne justifie pas d’un motif d’intérêt général pour procéder en urgence à de telles opérations, sans attendre l’instruction d’une nouvelle demande d’autorisation. ;
Ainsi le juge estime que les travaux autorisés, « eu égard à leur nature, ont un caractère définitif. Si la société MDPA fait valoir que les barrières de confinement en béton dont l’achèvement a été autorisé pourraient être ultérieurement détruites par havage, elle ne produit aucun élément technique de nature à établir la possibilité de retirer ces barrières ou, à tout le moins, d’y forer un passage suffisant pour le transport de déchets, tout en prenant en compte la fragilité de la mine. En outre, il ressort tant des termes de l’arrêté contesté que de son dispositif que ces travaux sont nécessaires au confinement des déchets et qu’ils ont donc vocation à être entrepris en vue d’organiser le stockage des déchets pour une durée illimitée. Dès lors, ces mesures, qui anticipent sur la délivrance d’une autorisation que la société MDPA est mise en demeure de solliciter, ne présentent pas un caractère provisoire. Par suite, le préfet du Haut-Rhin ne pouvait, à titre de mesures conservatoires au sens des dispositions citées au point 9, autoriser la réalisation de ces opérations » .
Par ailleurs, selon les juges du fond ni le préfet du Haut-Rhin, ni la société MDPA ne démontrent que l’ensemble des travaux de confinement doivent impérativement être réalisés sans attendre la délivrance d’une autorisation de stockage des déchets pour une durée illimitée.
Dès lors, « dans ces conditions, le préfet du Haut-Rhin ne justifie pas d’un motif d’intérêt général pour autoriser les travaux énumérés au deuxième alinéa de l’article 3 de l’arrêté en litige », sans attendre l’instruction de la demande d’autorisation et la consultation du public.
Mais comme le fait remarquer le communiqué de presse du Tribunal, ces jugements ne remettent pas en cause l’obligation d’effectuer les travaux de maintenance et de mise en sécurité de la mine et de l’installation de stockage des déchets.